Lors des célèbres Foires de Troyes, au milieu de la multitude de marchands et de curieux qui déambulent, des ménestrels, acrobates, jongleurs… attirent les badauds, pour leur soutirer quelques sols ou deniers !
Parmi eux se trouve un baladin, Jehan le jongleur.
Nous sommes en 1230. Comme chaque année, une grande procession est organisée par la confrérie de " l’Annonciation de Notre-Seigneur ". Elle part de la place du Marché-au-Blé (notre place Jean Jaurès), et se dirige vers la basilique Saint- Urbain. Les chanoines portent des reliques de la vraie croix, suivis des confrères porteurs de cierges allumés. Les chants alternent avec les acclamations de la foule qui, au passage, se met à genoux, se signant.
Jehan, tout à sa jonglerie, ne prête guère attention au vénérable cortège. Les 6 boules multicolores qu’il lance allègrement, fendent l’air à toute vitesse, et retombent dans ses mains agiles.
Lorsque la châsse arrive à sa hauteur, le peuple a un air de réprobation pour ce mécréant qui ne pense qu’à ses tours plutôt qu’à s’incliner, quand notre jongleur manque ses balles et tombe soudainement, le corps étendu, la face contre terre.
Nul ne sait ce qui vient d’arriver, mais dès cette minute, Jehan change du tout au tout.
Il se relève, serre ses boules dans son grand sac, prend sa viole et cesse de faire ses numéros. Il est vrai que sa bourse n’est pas plate, il a déjà fait une assez belle recette.
C’est alors que l’on entend le bruit de la crécelle d’un lépreux. Chacun s’enfuit craignant la contagion.
Notre jongleur lui, ne bouge pas, malgré les adjurations des gens qui s’écartent, devant le visage hideusement rongé par le mal. Le ladre lui dit :
- N’as-tu donc point peur ?
- Que nenni mon frère, je n’ai peur que de l’offense faite à notre Seigneur !
- Tu as peut-être raison, mais pour moi, la lèpre est bien pire que tout, c’est l’enfer sur terre !
Prenant alors sa bourse, Jehan la lui remet, l’étreint dans ses bras, et ose l’embrasser sur sa joue trouée.
Un cri monte des badauds, mais le jongleur part sans s’occuper des gens qui s’écartent comme s’il était déjà lépreux.
Arrivant à Saint-André, il entend le son de la cloche de l’abbaye de Montier la Celle.
Fondée sous le règne de Clovis, elle a toujours été reconnue pour l’une des plus importantes abbayes d’Europe. C’est là que saint Bernard s’est retiré en 1115, avant d’aller fonder Clairvaux.
Jehan s’assied sur le banc des pauvres. Le portier, jetant un œil par le judas l’aperçoit, et dit au prieur qu’il y a un ménestrel avec une viole qui ne bouge pas depuis plusieurs heures. Le père abbé pense qu’il est peut-être blessé, qu’il a faim, et qu’il faut le secourir.
Au portier qui lui dit que les aumônes ne sont distribuées que le vendredi, Jehan répond timidement qu’il souhaite rencontrer le prieur.
Le portier répond que le révérend père ne se commet pas avec un jongleur, qu’il passe son chemin !
Le lendemain, le frère portier regardant par le judas voit le saltimbanque toujours là. Il court prévenir le père prieur, lui dire qu’il veut être reçu par lui.
- Eh bien allez vite le chercher.
Quand le prieur entre dans le parloir, Jehan se met à genoux et réclame sa bénédiction. Il explique qu’au passage de la Vraie Croix, il a reçu mission de se repentir.
Il est admis au couvent comme frère convers. Il ignore le latin, mais peut rendre quelques services. Le baladin aide aux travaux agricoles, à la cuisine, au nettoyage.
Le dimanche avant Noël, les prières redoublent au monastère, mais sans lui.
Priant devant la statue de Notre-Dame il a une illumination. Il court chercher ses accessoires de foire, enfile le maillot qu’il revêtait, jongle, fait des sauts périlleux, puis relevant la tête vers la statue il croit voir un sourire tandis que le Divin Enfant bat des mains !
Alors, le baladin promet de jongler jusqu’à Noël, avec des épées, des torches, avalant le feu !
La veille de Noël, pendant que les moines chantent les psaumes en latin, Jehan joue mieux qu’il ne l’a jamais fait !
Passant par là, le portier voit le spectacle, et court vers le Père abbé lui dire que le diable est à l’abbaye. Jehan est amené devant lui, par 2 solides religieux.
Il se jette à genoux, et dit :
- Ne sachant pas le latin, j’ai voulu offrir pour Noël à Notre-Dame ce que je sais faire.
- Le prieur le relève et lui dit :
- Continuez en paix votre bel office, ne faites pas attendre Jésus et Notre-Dame.
Au terme de sa vie, tout le couvent se porta devant la pauvre cellule de Jehan.
Le père abbé le bénit en disant :
Veuillez faire abaisser pour lui
Le pont-levis du Paradis
Le saltimbanque plein d’amour.
Une douce et céleste lumière illumina la cellule de frère Jehan et Notre-Dame ferma les yeux du baladin.
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