Je vais vous conter une manifestation plus bruyante que véritablement dangereuse, organisée à Troyes en 1834, par des réfugiés polonais et qui a mis en émoi la Police, le Parquet, la Préfecture et la Justice.
A la suite de la Révolution polonaise de 1830, Troyes accueille une cinquantaine d’émigrés polonais, Officiers, Magistrats, pour la plupart, mais aussi de simples gens.
Le 29 novembre 1834, ils mettent sur pied un banquet pour célébrer l’anniversaire de cette Révolution, qui doit se tenir à l’Hôtel du Commerce.
A ce banquet sont invités des sympathisants français.
Le banquet se passe bien, discours d’entrée, réponses, paroles de liesse, toasts, acclamations, mais la bonne chère, les vins aidant, quelques paroles discordantes s’élèvent à la fin.
Ce qui doit arriver ne manque pas, une dénonciation anonyme parvient à la Police, qui transmet au Parquet, et du Parquet à la Préfecture.
Lettre à la police : " N’avez-vous point connu les bruits… pour que vous restiez inactif ? Les cris de à bas Louis Philippe ! mort aux autorités de Troyes ! à la potence le procureur du roi ! vive la République !… Et qui les profère ces cris ? de misérables polonais que nous nourrissons, que nous hébergeons ! … ".
Le 1er décembre, le Commissaire enquête et dresse un rapport…
Le 3 décembre, le Procureur saisit le Juge d’Instruction : "… il n’est personne dans la Ville qui prétende ignorer les cris de guerre contre la monarchie ont été proférés, des appels à la République… on est allé jusqu’à lever le couteau au cri de mort au Roi, mort à Louis Philippe… ".
Ecoutons maintenant les témoignages. Ils sont flous, plus ou moins sincères, les uns n’ont rien vu, les autres n’ont rien entendu :
Le sieur Charles Philippe répond qu’il était dans la cuisine, et n’a rien entendu…
Sauvageot Joseph, garçon de salle : je n’ai pas eu le temps d’écouter des discours en prose et en vers, mais n’ai pas compris le sens… A entendu crier Vive la République polonaise ! N’a vu personne un couteau à la main…
Louis Verdun, domestique, trop occupé par le service, n’a pas prêté attention aux discours, a juste entendu crier : vive la République polonaise, et personne n’avait de couteau à la main…
Fontaine Adolphe, bachelier ès lettres : les discours ont été plein de convenance et d’attachement pour la France… un toast à la République polonaise a été acclamé. Dans le même temps, il a entendu un toast à Louis Philippe et même, a cru entendre et à son auguste famille, mais peut affirmer n’avoir pas entendu mort à Louis Philippe…
Pierre Jeoffroy, agent de change :… aucune expression ne lui a paru attaquer la dignité royale, sans quoi il se serait retiré… Au dessert, la Marseillaise a été chantée…
Breton Louis notaire : aucune attaque contre le Roi dans les discours… l’ordre n’a pas été troublé, et n’a pas vu brandir un couteau…
Lorette Félix, avoué rue du Mortier d’Or : même déclaration…
Bernot Edme, notaire : même déclaration, et a dit qu’il était question des Droits de l’Homme…
De même que Douine Charles filateur, Michaux Sulpice banquier, Cardon Louis imprimeur, Soleil Jean, rédacteur au Progressif, Biliard Jules, Rédacteur au Journal de l’Aube… et beaucoup d’autres.
Lenoir, Principal clerc d’avoué :… il a lu des vers disant mort au Tsar ! Guerre aux Russes ! aux armes ! Tyran de la Pologne voici venir les hordes d’esclaves ! nous te reverrons Pologne ! mais le fer à la main !…
Le Colonel Perrot de la Garde Nationale, invité en tant que Président du Comité polonais : … les discours ne traitaient que de la Révolution polonaise, du rétablissement de la République polonaise… a entonné la Marseillaise…
Le Préfet convoque les Polonais et leur fait remarquer que, accueillis par la France, ils se doivent de rester modérés, plus circonspects, et leur fait signer à tous une déclaration pour l’avenir.
Voici la décision du Procureur : Nous, Procureur du Roi, vu les pièces de l’instruction sur les cris séditieux proférés à l’Hôtel du Commerce lors du banquet polonais du 29 novembre dernier, que des individus avaient signalés, qui nient avec énergie, ne laisse cependant aucun doute, et les faits sont suffisamment établis. Attendu néanmoins et quelque scandaleuse qu’ait été l’orgie, qu’il ne résulte de l’instruction aucune preuve suffisante contre les inculpés, requérons que plaise à M. Le Juge d’Instruction et à la Chambre du Conseil, dire qu’il n’y a pas lieu à poursuivre.
Malgré le classement de l’affaire, 3 des Polonais ont été priés de quitter Troyes. Les journaux de l’Aube ont ouvert une souscription en leur faveur.
La morale de cette histoire montre 2 choses : le peu de fiabilité des témoignages, le peu de solidité des poursuites pour " offenses " aux chefs d’Etat ou Gouvernements de quelques régimes politiques qu’ils soient : Royautés, Empires ou Républiques.
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