En 1911, les vignerons aubois affirment dans la lutte et la révolte, leur ferme volonté d’être considérés comme CHAMPENOIS, refusant d’être une nouvelle fois un enjeu, refusant que l’on décide une nouvelle fois pour eux.
En 1910, dans ses 34 communes viticoles, le Barséquanais compte près de 57 % des vignes du département. Au XIXème siècle, le vignoble aubois est important et florissant. Le phylloxera qui fait son apparition dans l’Aube en 1888, ruine le vignoble et entraîne la disparition progressive des vignes françaises. A partir de 1896, le troyen Charles Baltet préconise les moyens de lutte contre ce puceron et reconstitue le vignoble français par sa méthode de greffage,de bonnes variétés américaines. Tout est terminé en 1812.
Un décret du chef de l’Etat du 17 décembre 1908, exclut l’Aube de la Champagne viticole !
En attendant, les Vignerons aubois espèrent continuer de vendre leurs récoltes à la Marne, quand en février 1911, est votée à la Chambre des Députés une loi qui ruine les vignerons aubois qui ne peuvent plus vendre leurs vins à la Marne en vue de leur champagnisation.
Le 29 janvier 1911, a lieu une première manifestation regroupant plus de 1.500 vignerons à Bar-sur-Aube, au cours de laquelle est créée la Fédération des Vignerons de l’Aube.
En février Gaston Cheq crée La Ligue de Défense des Vignerons de l’Aube. Il est né à Bar-sur-Aube en 1866. Postier, puis Agent d’assurances, il possède quelques vignes. Socialiste, il se dévoue aux œuvres laïques et se consacre tout entier à la défense de la cause des vignerons. " C’est un petit bonhomme, sec, énergique, décidé, qui mène la bataille avec une activité de diable. On le voit partout à la fois. Il a l’œil à tout, dirige tout. Tout s’efface devant lui, c’est le chef…".
Les vignerons imitent d’autres mouvements révolutionnaires, ils brandissent le drapeau rouge en tête de chacune de leurs manifestations. Puis, ce drapeau rouge remplace le drapeau tricolore au fronton des mairies.
Entre le 23 février et le 3 juillet, la lutte des vignerons est telle, que le vignoble est occupé par la troupe, et que dans cette même année, ont été usés 2 préfets, 2 sous-préfets à Bar-sur-Aube, et 1 capitaine de cavalerie.
12 mars : à Essoyes 300 vignerons jurent de lutter par tous les moyens, même extrêmes, pour faire valoir leurs droits ; manifestation à Polisot rassemblant 2.000 vignerons, le Comité Central est constitué. 13 mars : création de comités de défense à Ville-sur-Arce, Colombé-le-Sec, Chervey, Bertignolles, Polisot, Avirey-Lingey…16 mars : démission du Conseil municipal Bar-sur-Aube, avec grève administrative le 17 pour les 29 communes viticoles du Bar-sur-Aubois. 18 : la même chose à Bar-sur-Seine, Troyes et dans les communes viticoles de l’arrondissement de Bar-sur-Seine. A Bar-sur-Aube, on efface sur la mairie, la devise républicaine. A Essoyes, 3.000 personnes Vignerons et conscrits manifestent avec des drapeaux rouges, les feuilles d’impôt sont brûlées sur la place de l’Hôtel de Ville à Bar-sur-Aube. 19 : 23 nouvelles démissions sont remises au Sous-Préfet de Bar-sur-Seine. A Polisot, Bar-sur-Seine, 12.000 vignerons sont rassemblés. Même les communes non viticoles s’associent à ce mouvement. Alors que le Département compte 446 communes, 275 font parvenir leur démission au Préfet. De plus, sur les 26 Conseillers généraux, 13 démissionnent, et les 13 autres refusent de siéger ! Un grand nombre de Conseillers d’Arrondissement donnent également leur démission. Toute la vie administrative du département est paralysée. Le 20 : Mussy. Le 21 : Les Riceys. Le 22 : notre Préfet est reçu par le Président du Conseil à Paris. Démission du Conseil de Sainte-Savine. Le 25 : les démissions continuent partout. 5 avril : 2.000 vignerons manifestent à Bar-sur-Aube. 6 avril, constitution du Bataillon de FER de l’arrondissement de Bar-sur-Seine, qui part le 8, pour la grande manifestation du 9 à Troyes, où il arrive triomphalement en fin de matinée. La route a été longue et la municipalité offre à déjeuner au Bataillon de Fer de Bar-sur-Seine et à celui de Bar-sur-Aube, venu lui aussi à pied. La population troyenne tout entière, exprime sa solidarité avec les vignerons. Arrivent aussi par trains spéciaux (10 trains supplémentaires bondés), plus de 2.000 Barséquanais. Cette manifestation est grandiose et constitue le point culminant de la révolte : plus de 20.000 manifestants !! Par la force calme qui s’en dégage, il n’y a aucune violence, aucun acte de sabotage.
Toute la presse parisienne en parle le lendemain et reconnaît unanimement la grandeur de cette manifestation.
C’est aussi un grand moment d’enthousiasme : chaque village est précédé de sa fanfare qui joue l’hymne des vignerons, l’hymne étant repris en chœur par tous les manifestants. La ville est pavoisée, des sociétés musicales vont au-devant de vignerons, de la nourriture, des boissons sont distribuées. Dans un grand moment d’exaltation, les manifestants accrochent à la grille de la Préfecture, une hotte et un drapeau rouge.
Face à une manifestation d’une telle ampleur, le 10 avril, le gouvernement saisit le Conseil d’Etat du dossier de la révision de la délimitation de la Champagne viticole. Le 11 avril, le Sénat adopte une résolution au cours de laquelle est adoptée une résolution souhaitant une loi assurant tout à la fois l’abandon des délimitations et la répression des fraudes.
Le 9 mai, une délégation est entendue par le Conseil d’Etat.
Plus de 5.000 soldats ont occupé les 2 arrondissements de Bar-sur-Seine et Bar-sur-Aube : plus que de vignerons ! La nuit du 2 au 3 mai, 4 trains spéciaux arrivent à Bar-sur-Seine : le 21° Régiment d’infanterie de Langres, 3 escadrons du 26° Dragons de Dijon. 80 gendarmes à cheval arrivent par petits détachements. Durant 3 mois, la plus vive animation règne dans la paisible sous-préfecture, devenue ville de garnison. Landreville est occupé par 2 compagnies du 20° de ligne, 2 pelotons du 26° Dragons, 10 gendarmes. Les Riceys reçoivent à leur tour, 2 compagnies du 21° de ligne, 2 pelotons de Dragons et 20 gendarmes.
Le 9 mai, une délégation est entendue par le Conseil d’Etat. Le mouvement des vignerons aubois va avoir une influence sur le gouvernement, le Parlement, le Conseil d’Etat.
La situation s’apaise le 7 juin 1911, le Sénat, par 265 voix contre 16, vote ce que désirent les vignerons aubois. D’août à novembre, c’est le retrait des troupes occupant le vignoble.
Mais il faudra attendre 16 années de lutte pour obtenir pleine et entière satisfaction : la réintégration et l’appellation "Champagne " tout court !
La guerre interrompt les travaux, et ce n’est que le 6 mai 1919, que la loi est votée. Enfin, tout aboutit à la loi du 22 juillet 1927 : toutes les communes viticoles de l’Aube sont réintégrées, ainsi, 71 communes auboises ont droit à l’appellation "Champagne" pour leurs vins.
On peut dire que la Révolte de 1911 a été déterminante pour l’avenir du vignoble aubois. Que seraient devenus les coteaux du Barséquanais sans Gaston Cheq et ces milliers de vignerons qui luttèrent avec un courage et une détermination exemplaires, qui créèrent avec l’énergie du désespoir, leur colère contre l’injustice, qui affirmèrent avec vigueur leur volonté d’être Champenois ?
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