Origine de leurs paroisses Lusigny et Montreuil.
La légende que je rapporte, ne date que de 200 ans. On pense que ce n’est qu’une fable, inventée pour servir d’explication à une simple anomalie de délimitation de paroisses.
La limite qui sépare les 2 territoires de Lusigny et de Montreuil, se trouve, d’une part, « à près d’une lieue de l’église Saint-Martin de Lusigny, et d’autre part, elle est très rapprochée de l’église Saint-Gilles de Montreuil, elle touche aux maisons de ce dernier village ».
On pense que pour donner raison de cette inégalité dans la délimitation des 2 finages, ce récit légendaire fut de toutes pièces imaginé, et n’a pas la prétention de publier un fait historique. Mais, nous constatons, avec la finesse malicieuse du XVIII° siècle, un usage beaucoup plus ancien, une manière de dire tout à fait primitive, qui consistait à personnifier jadis les familles, les communautés, les peuples mêmes, et à raconter les faits généraux de leur commune vie comme étant des actes particuliers à leurs chefs.
Ainsi, les 2 paroisses de Lusigny et de Montreuil se trouvent représentées par leurs saints patrons.
Cette légende est d’ailleurs oralement conservée par la tradition des presbytères. Elle est attribuée au bon saint Gilles :
« En Champagne et non loin de l’antique cité de Troyes, sur les humides bords de la rivière Barse, 2 villages étalaient leurs maisons rustiques. Leurs habitants, d’une nature calme et lente, froids comme le sol de la contrée, avaient vécu dans la paix. Le premier de ces villages se glorifiait surtout du nom et des miracles du grand saint Martin. Les vertus de l’humble saint Gilles faisaient la principale richesse du second.
Or, voici que poussés par l’esprit du monde, nos 2 villages chrétiens voulurent avoir chacun son territoire particulier. On parla beaucoup, beaucoup… sans pouvoir s’entendre. Enfin, l’on résolut de prendre pour arbitres nos thaumaturges, patrons des 2 paroisses.
Saint Martin et saint Gilles décidèrent que le lieu de leur rencontre ferait la limite des droits de chacun. On convint donc du jour et de l’heure de départ, sans autres conditions.
A l’heure dite, saint Gilles endosse sa robe de bure, chausse ses gros sabots de bois et se met en route gravement, d’un vrai pas d’ermite. Appuyé sur son bâton, il lutte péniblement contre le poids des années et la fange tenace du chemin, car, par amour de sa chère famille, il essayait de se hâter. Déjà, tout haletant et couvert de sueur il avait atteint avec une joie visible la dernière maison de son village, lorsque… Ô mystère ! Saint Martin à cheval arrive au galop, faisant résonner la terre sous les pas de son fier coursier.
« Je suis vaincu ! s’écrit saint Gilles tout déconcerté. Telle est sans doute la volonté de Dieu. Mais d’où vient, grand saint Martin, le changement de votre cœur ? Naguère vous partagiez votre manteau avec le pauvre d’Amiens, et aujourd’hui… ? »
« Bon saint Gilles, interrompt saint Martin, telle est la volonté de Dieu qui m’a inspiré et qui fait tout ce qu’il fait. D’ailleurs, qu’aviez-vous besoin de toutes ce terres, vous qui n’avez en tout qu’une chèvre à nourrir ? Vous qui avez quitté votre riche et beau pays de Grèce pour la solitude et le silence de ces lieux ? Pour moi, il faut un plus vaste domaine à ma nombreuse famille, il faut au noble compagnon de mes labeurs, et de l’espace, et beaucoup d’herbe tendre. Que si vous avez, pour l’honneur de Dieu, quelque désir de gloire humaine, n’avez-vous pas été honoré par la visite d’un grand roi ? ».
« Grand saint Martin, répond saint Gilles, revenant peu à peu de son étonnement, ce n’est pas pour moi que je prêche, mais ma petite famille est encore si attachée à la terre… Cependant, je l’aime, et comment lui annoncer… ? ». Il s’arrête soudain, puis, d’un ton calme, accompagné d’un sourire un peu malin : « Que la volonté de Dieu soit faite, ajoute-t-il, vivons en paix comme auparavant. Mais n’oubliez pas qu’il est écrit « Ainsi les derniers seront premiers et les premiers derniers ». Que ces promesses éternelles rendent modeste votre triomphe, et qu’elles fassent à jamais la consolation de mon ermitage. Adieu ! ».
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