Sur le plan des principes, les difficultés résultant du caractère clandestin des promesses de mariage, devaient se perpétuer jusqu’au Concile de Trente, en l’an 1563.
En effet, à la suite de ce concile, la Réforme catholique redresse et organise la discipline du mariage. Le curé doit aussi proclamer l’annonce du mariage en trois bans successifs, et demander à quiconque connaît un empêchement de mariage de le signaler.
Jacques Raguier, évêque de Troyes (1483-1518), délègue en 1503, M. l’Official, juge ecclésiastique, afin d’exercer en son nom la juridiction contentieuse, pour trancher une affaire qui apparaîtrait de nos jours fort curieuse.
En voici le compte-rendu : « Le Promoteur exerçait ses poursuites contre 3 personnages : le père, Félisot Belle, de Chantemerle paroisse d’Isle-Aumont, un long truand aux poils raides, menteur comme Belzébuth… Le fils, Thomas Belle, garçon éveillé, à l’œil vif, à la main preste… Enfin Pierrette, la servante, fille de Colinet de Laignes, rude gaillarde, fort appétissante, aux reins souples…
A en croire de mauvaises langues, Thomas et Pierrette sacrifient à une passion coupable, et Félisot le sait parfaitement.
N’écoutant que sa concupiscence, ce drôle ne s’est pas moins « fiancé en face l’église », il y a 15 jours, avec Pierrette ! La veille de l’audience, le père n’a-t-il pas effectué des démarches pour obtenir la dispense du 3° ban ? Si fait, puisqu’ayant obtenu celle-ci, Félisot « s’est marié en face l’église », commettant ainsi une faute très grave : « il a trébuché dans l’inceste et offensé Dieu ».
L’accusation fourbit ses armes et trousse des conclusions visant à la nullité des fiançailles et des épousailles de Félisot et de Pierrette.
Les soi-disant conjoints devront connaître la prison, et Thomas aussi, pour avoir méprisé la vertu.
Prudent, Félisot feint d’ignorer les rapports de Pierrette avec son fils, tandis que Thomas reconnait avoir succombé à la tentation. D’ailleurs, ses frères et lui-même s’en sont ouverts plusieurs fois au père avant qu’il ne se fiançât avec Pierrette.
Félisot savait donc ne pouvoir contracter mariage avec la gaillarde.
Père et fils sont enfermés en des prisons distinctes.
Au cours d’un second interrogatoire, Pierrette, sous serment, se départit de sa morgue habituelle, minaude et devient dolente. Elle s’explique. Elle a fait citer Thomas devant l’Officialité, un peu avant la nativité de saint Jean-Baptiste, alléguant alors que le fils l’avait « créantée » (promise), et qu’il devait la prendre pour femme.
Comment se firent les « créantailles » (rite populaire troyen : promesse de mariage) ?
Pierrette dit que Thomas lui aurait fort simplement retiré une bague qu’elle portait au doigt, puis, en fiancé économe désireux de sauvegarder sa bourse, il la lui aurait replacée sans ambages, en nom de mariage.
Autre question : Pierrette a-t-elle eu des rapports charnels avec Thomas ou d’autres hommes ?... Dans une belle flambée de pudeur, la servante rejette semblable calomnie. Mieux, elle offre de se laisser visiter par des accoucheuses.
Pierrette sera donc visitée par Jeanneton, femme de Pierre de Mandes, Marguerite, femme de Jacquet Roullier, Pierrette, femme de Paul Marteau, et Jeanne, femme de Etienne Debaire, toutes 4 demeurant à Troyes.
Pourquoi Félisot ne peut-il contracter mariage avec Pierrette ?...
Comment de simples paroles accompagnées d’un signe nouent-elles les liens sacrés du mariage ? C’est toute la question des promesses de mariage et des empêchements que Félisot Belle soulève avec un brin de malice.
La doctrine de l’Eglise au Moyen Âge ne considère la formation du mariage qu’en fonction de 2 éléments essentiels : le consentement des époux, puis la consommation.
Au XIII° siècle, on distingue 2 sortes de promesses de mariage. D’une part celles de se prendre « dans l’avenir » pour mari et femme.
Il s’agissait alors de simples fiançailles dites par « paroles du futur » obligeant néanmoins les fiancés à procéder au mariage. De telles promesses devenaient mariage par l’échange des consentements.
D’autre part les promesses de se prendre « dès à présent ». Il s’agit en l’espèce d’un véritable mariage, bien que non entouré de publicité, bien que non suivi de consommation…
Dans les 2 cas, seule, cette consommation rend l’union indissoluble.
Pierrette affirme sous serment que Thomas lui a fait des promesses de présent, qu’il l’a « créantée ».
Si l’affirmation est exacte, on doit alors considérer qu’il y a mariage, et, dans ce cas, fiançailles puis mariage du père sont nuls : celui-ci a commis un inceste…
Pierrette a-t-elle menti ? Dans ce cas, le mariage du père serait incontestablement valable… à moins que Pierrette n’ait été déflorée par Thomas…
Les accoucheuses ont formulé 3 propositions. Elles prétendent « que Pierrette n’est point vierge et qu’un homme l’a connue charnellement, qu’un tel événement remonte à plus de 15 jours, que ladite Pierrette n’a jamais eu d’enfants…».
Sur ces entrefaites, Félisot Belle, le père, eut le bon goût de mourir ».
Le mot de la fin : aucun obstacle ne s’opposait au remariage de la veuve dès le décès de son mari ! ! !
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