Parmi les anciennes institutions de la France, les Etats Généraux méritent d’attirer l’attention. Les cahiers de doléances qui leur ont été envoyés sont autant de dépositions écrites par des témoins autorisés, qui donnent sur les coutumes, sur les idées, sur les opinions, des indications précieuses, principalement aux Etats Généraux de 1576, 1588 et 1614.
En 1789, ces assemblées paraissaient être une nouveauté, tandis que, de fait, elles furent un des moyens les plus actifs et les plus fréquemment employés par la monarchie, aux XIV° et XV° siècles.
Dès 1262, on signale des assemblées particulières des Trois-Etats, et en 1295, une assemblée générale se réunit à Paris. De 1295 à 1363, il se serait tenu 70 de ces assemblées, provoquées surtout par des besoins d’argent.
Ce n’est qu’en 1351, que la ville de Troyes est nommée parmi les villes qui envoient des députés à ces grandes assemblées. Il s’agissait surtout d’établir une taxe sur le produit des ventes.
Décembre 1355 : après concertation, l’assemblée accorde la solde pour une armée de 30.000 hommes (5.000.000 l). Cette somme devait être le produit d’une gabelle (taxe royale sur le sel) sur le sel et d’une taxe de 8 deniers par livre, sur le prix de toutes marchandises. Ces taxes devant être payées par tous, clercs ou laïques, nobles ou non, le Roi et sa famille n’en étant pas exempt. La bourgeoisie avait obtenu l’égalité devant l’impôt.
Cahiers de doléances de 1440, de Bourges : L’existence simultanée de 2 papes, l’un à Rome, l’autre à Avignon, troublait la chrétienté ; la guerre avec les Anglais continuait. Poursuivre la pacification de l’Eglise et la paix avec l’Angleterre, tel était le double but assigné aux députés des 3 Etats. Ce fut une nullité des résultats, qui ne laissèrent aucunes traces, sauf une demande de remboursement pour le messager qui a porté les lettres à Bourges.
Les Etats Généraux se réunissent à Troyes en 1463, pas de compte-rendu.
Tours 1467 : petites questions de remboursement de dettes.
1483 et 1506 à Tours, où nos représentants rappellent que Troyes est bien la capitale du comté de Champagne. Ils demandent que pour le bien du royaume et de ses sujets, le mariage de Mme Claude de France, fille du roi, avec M. le duc de Valois, seigneur d’Angoulême, et si le Roi, que Dieu ne veuille, vient à trépasser, « nous tiendrons le duc de Valois pour notre Roi et souverain seigneur et comme tel lui obéirons ».
Paris 1516 : confirmation que la « Cour des Grands jours » (voir ce chapitre) aura toujours lieu à Troyes. Cette plus haute des juridictions, était née à Troyes, et était une institution permanente, au même titre que le Parlement de Paris.
1560 Orléans : « Que l’ordonnance des tavernes et cabarets de porter pistolets, dagues ou autres bâtons défensifs et offensifs soit observée, et défense faite à toute personne, ouvrir ou tenir tavernes et cabarets que préalablement ils se soient présentés au gouverneur, maires et échevins des villes pour connaître leurs qualités et capacités… Que Sa Majesté reconnaisse le travail et l’oppression qu’a souffert son peuple durant le long temps des guerres, et modérer les tailles qui existent sur son peuple et les réduire comme au temps de feu le roi Louis XI (1461-1483)… Que toutes marchandises entrent et sortent librement dans toutes les villes du royaume sans rien payer… Que les chefs d’hôtels seront tenus d’aller en leurs paroisses et y envoyer leur famille, les dimanches et autres solennité, pour assister à la grande messe, vêpres et prédication, sous peine d’amende… Que toutes personnes seront interdites d’aller en tavernes les dimanches et fêtes, s’ils ne sont pas étrangers passants. Aussi défense à tous hôteliers et cabaretiers de permettre en leur maison jouer aux cartes, dés ni autres jeux défendus…Que tous charretiers seront défendus de sortir de leur maison pour des charrois les dimanches et jours de fêtes solennelles, pour vendre… Que tous les acrobates, pitres, saltimbanques, bouffons, baladins et autres gens faisant profession de jouer publiquement, seront interdits, comme gens oisifs, divertissant le peuple de son travail… Que ceux qui sont bannis du royaume soient chassés, de même que ceux qui ne pensent qu’à des larcins, pilleries… Que tous ceux qui ont interdiction de prêcher la parole de Dieu, de quelque qualité qu’ils soient, recevront « grandes peines » s’ils n’obéissent pas… Qu’il soit interdit à tous gens d’église, de quelque qualité qu’ils soient, de porter des robes de soie, et que le nombre de leurs serviteurs leurs soit limité, et les vivres modérées, pour qu’ils puissent plus abondamment donner aumône aux pauvres… Les curés de campagne devant veiller sur leur troupeau, que Sa Majesté donne l’ordre qu’ils ne soient pas inquiétés par leurs seigneurs, qu’il ne descendent pas dans les presbytères des gens de guerre qui, après avoir consommé leurs vivres, pillent et emportent linges, vêtements et autres meubles, ce qui force ces curés de se retirer dans les villes… Que chaque curé soit sobre avec sa famille, avec 1 serviteur et 1 femme qui soit chaste, et 1 homme d’église pour le secourir au ministère et service de l’église quand il sera malade ou empêché légitimement… Qu’il soit fait honnête et nécessaire que les paroissiens aillent au moins 1 dimanche sur 2 à sa paroisse, pour entendre le curé dire ce qu’il aura à faire au long de la semaine… Que la non chasteté, l’avarice, l’ambition et autres vices que l’on dit être pour le clergé, sont aussi communs aux gens mariés. Il est besoin de rappeler les lois contre l’adultère et punir les délinquants… Le peuple demande que les fêtes soient en moins grand nombre… Que c’est chose répugnante à l’état ecclésiastique qu’un évêque, un abbé, un archidiacre, un chanoine et autre homme d’église aient auprès de lui des serviteurs armés de dagues, épées ou autres bâtons… Que la nourriture des chiens et oiseaux pour la chasse et le vol soit interdite aux ecclésiastiques, gens de justice et marchands non roturiers à cause de la grande dépopulation du gibier et les destructions occasionnées aux blés et vignes des laboureurs et vignerons… Qu’il plaise à sa Majesté, eu égard à la pauvreté de ses sujets de modérer les grosses tailles (impôt direct, très impopulaire dû au fait que les bourgeois des grandes villes, le clergé et la noblesse en sont affranchis) et décimes (taxe perçue exceptionnellement par le roi sur les revenus du clergé) dont ils sont chargés… Que tous ceux qui suivent Sa Majesté et autres princes eussent à modérer en dépenses tant de vivres que d’habits et de nombre de serviteurs et en chevaux…
Pontoise 1561 : il ne faut plus mettre de gabelle sur le sel, de même qu’un impôt sur le vin, « qui, avec le pain est la première nourriture du commun peuple »… Que les deux tiers des revenus des Templiers soient pris... Que le Seigneur Roi prenne sur toutes les abbayes de son royaume la moitié de leur revenu… qu’il prenne 4 décimes par an sur les archevêchés, évêchés, prieurés, curés, chanoines et chapelains.
1576 Blois : Que le Roi crée des économes ou receveurs pour gérer le revenu des abbayes, monastères, prieurés… dont les abbés et prieurs seront ainsi « plus enclins et libres pour le service de Dieu, et on leur distribuera autant que besoin et nécessaire pour leurs vivres, vestiaires et entretien des édifices, le surplus sera employé à l’acquit des dettes du Roi et des autres affaires du Royaume »… Il en sera de même pour les bénéfices des cures, des chanoines, des chapelles, églises, cathédrales, collégiales… les curés ne prendront de leurs paroissiens, que les droits mortuaires… Les délégués « supplient très humblement le Roi pour réduire les dépenses de sa maison, que les seigneurs et gentilshommes de son royaume se réforment, et retranchent de leurs dépenses inutiles, tant en habits, suite des gens et chevaux… Que sa Majesté décharge sa cour et sa suite de gens inutiles… Qu’il plaise à sa Majesté ne faire dons immenses à quelques personnes et pour quelques mérites que ce soit… Que soit réduit le nombre des maîtres des requêtes, notaires et secrétaires… Que la taxe du sel soit modérée… Que le nombre effréné de juges et juridictions soit restreint, et ne soient pas créés de nouveaux offices… Plaise au Roi entendre que son pauvre peuple est grandement surchargé de tailles, gabelles et impôts, ne pouvant y satisfaire, étant réduit à l’extrême pauvreté… Que le Roi sache que les gens de pied outragent le pauvre peuple, violent à force femmes et filles, le pillent et rançonnent… Cette pauvreté et misère est advenue car 2 grosses armées tant étrangères que domestiques sont restées aux portes de Troyes et de son baillage, tout le pays a été pillé, tout le bétail emmené, les chevaux des laboureurs, les meubles et ustensiles et tout ce que les armées ont pu prendre, ravir et emporter, ont fait manger par leurs chevaux les blés encore verts… les terres du pays sont demeurées en friches, sans être labourées… les blés et vins avaient été gelés l’année précédente… Qu’il plaise au Roi leur remettre quittes toutes tailles, empreints, gabelles et autres impôts pendant 10 ans… Nous supplions sa Majesté que les compagnies de gens de guerre et gentilshommes soient des gens d’armes de nation française et qu’il n’y ait aucun étranger… Que les affaires de la guerre cessées, les soldats se retournent en leur état et métier, sans se tenir oisifs et vagabonds, sous peine d’être punis corporellement et employés aux œuvres publiques… que les péages soient levés où il n’y a pas de chaussées à entretenir… Pour le bien des marchands fréquentant les foires de Troyes, qu’elles soient affranchies de l’impôt comme elles l’étaient du temps du Roi Philippe le Bel, jusqu’au temps du roi François 1er… Qu’il plaise ordonner à sa majesté qu’il n’y ait en son Royaume que l’exercice de la Religion catholique, apostolique et romaine, vu les calamités advenues en ce Royaume par la diversité des Religions… ».
Etats-Généraux Blois 1588 : mêmes demandes qu’en 1576, pour la Religion catholique… Suite au grand et notable scandale au diocèse de Troyes, d’une abbesse qui, avec l’une de ses religieuses, vit en son abbaye en hérétique contre la volonté de son évêque, nous supplions humblement sa Majesté d’intervenir… Faire observer inviolablement ses édits contre les blasphémateurs du nom de Dieu et des saints qui subiront les peines prévues. De même contre les sorciers, devins et faiseurs d’almanachs qui excèdent les termes de l’astrologie licite… Ne soit permis à aucuns histrions (acteurs, mimes), bateleurs comédiens et autres donneurs de passe temps au peuple de représenter aucunes farces, comédies, tragédies et dialogues sans les communiquer à l’évêque… Que soient réitérées les défenses faites aux cabaretiers, tripotiers (gérance d’une maison de jeu), taverniers et autres brelandiers, joueurs d’instruments et maîtres d’escrime d’ouvrir leurs maisons les jours de dimanche et fêtes, pour y recevoir des personnes et principalement durant le service divin… Semblables défenses soient faites à tous marchands et artisans d’ouvrir leurs boutiques, étalages, ni vendre leurs marchandises sous peine d’amende arbitraire… De même pour toutes personnes de quelque condition qu’elles soient, qui se promènent par les églises pendant le service divin… qu’il ne soit plus coupé aucun bois de haute futaie en Champagne où la rareté et nécessité est très grande… Que toute marchandise, de quelque qualité qu’elle soit sera bonne, juste et loyale, à peine de confiscation et jugement de la police… Que les foires anciennes de Troyes soient remises avec leurs anciennes libertés et franchises pour le profit et l’utilité de la province… Que les députés des trois états du baillage de Troyes et ceux de la province soutiennent la prééminence et la préséance de la Champagne contre les prétentions de ceux de Bretagne…
Après la mort d’Henri IV, l’insécurité renait un peu partout. Les états généraux de 1614 se tiennent à Paris du 27 octobre 1614 au 23 février 1615, peu après la déclaration de majorité de Louis XIII et le voyage de celui-ci dans les provinces de l'ouest. Ils se déroulent donc au moment où le pouvoir royal se raffermit face aux manœuvres des grands féodaux. Ce sont les derniers états généraux avant ceux de 1789. On retrouve toujours les mêmes revendications : qu’il plaise à Sa Majesté de modérer les tailles qu’il lève sur son peuple à cause de sa pauvreté, que le prix du sel soit modéré… Le 17 avril 1615, Jean Bazin, maire de Troyes et député aux Etats généraux fait un rapport au Conseil de Ville sur son activité à Paris pendant les mois précédents. Il montre que le roi avait promis qu’en attendant la résolution des cahiers de doléances, le droit annuel appelé la pallotte était révoqué, la vénalité des offices ôtée… C’étaient bien là les promesses que la Cour avait faites à la clôture des Etats. Mais elles ne furent pas suivies d’effets, et ne servir seulement qu’à calmer les députés qui « battaient encore le pavé parisien, au lieu de regagner leurs provinces ». Les cahiers n’avaient nulle indulgence pour les ecclésiastiques : « Ils portent l’arquebuse, vont à la chasse, ont des habits scandaleux, ils font payer les sacrements, les prières pour les morts, exigent trop pour les funérailles. En prélevant les dîmes, ils commettent des exactions, encore faut-il s’estimer heureux lorsqu’ils n’assiègent pas le lit des mourants pour extorquer dans les testaments des legs pour leurs églises. On en voit qui entretiennent des servantes ou des filles de joie dans leur presbytère dont ils ont des enfants. Ces femmes sont plus richement habillées que celles des meilleurs laboureurs et marchands. Les prêtres hantent les cavernes, dansent, se querellent, blasphèment. Ils exigent toujours de nouveaux droits, de nouvelles dîmes… ». Hostilité également des cahiers envers les domestiques et les pauvres : « les pauvres provoquent un mélange de peur et de mépris, quant aux domestiques, il convient de les fixer dans leur condition. Les pauvres devraient être tenus de résider au lieu de leur naissance sans aller mendier ailleurs. Les malades et les invalides seront nourris par leurs paroisses, ceux capables de travailler seront contraints au travail ou devront apprendre un métier. Il devrait être défendu de recevoir un domestique s’il ne présente un certificat de son ancien maître, ils ne pourront se marier pendant le temps de service sans le consentement de ses maîtres… Les cahiers de 1614 sont d’esprit réformateur, tournés vers un passé qu’il s’agit de restaurer alors que ceux de 1789, sont tournés vers le futur, ils se terminent par : « Qu’il plaise à Sa Majesté nous entretenir en paix, priant Dieu lui donner bonne et longue vie et vengeance sur ses ennemis qui voudront troubler le repos et la paix de son royaume ».
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