Napoléon 1er aurait donné comme directive à Fouché, ministre de la police : « Surveillez tout le monde, sauf moi ! ».
Regardons le département de l’Aube, sous l’œil du guet pendant le Second Empire. C’est l’ancêtre des renseignements Généraux (R.G.), créés en 1907, devenus en 2008, Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI).
Si l’on en croit les nombreux rapports des préfets, sous-préfets, commissaires de police, rien et personne n’échappe à l’œil du guet dans l’Aube.
C’est une véritable peinture de la vie à Troyes, à cette époque.
Dans notre département, l’esprit des populations est reconnu comme « excellent » : « La population est animée d’un bon esprit d’ordre et de paix, ayant des opinions conformes aux vœux du Gouvernement » (Commissaire central le 28/10/1861). Du même le 14/01/1862 : « En général, la population est toujours animée d’un bon esprit ; elle admire, dans le Chef de l’Etat, sa haute sollicitude pour le bien-être de la société ». Du commissaire de Sainte-Savine le 14/06/1862 : « J’ai parcouru un grand nombre de communes, j’ai vu les hommes de près. J’ai remarqué qu’ils étaient dévoués à l’Empereur et que sa politique bienfaisante avait infusé dans leurs cœurs un amour qu’il serait difficile de détruire. Leur langage est en rapport avec ce qu’ils pensent ; ils disent, en parlant de ces rares utopistes de la ville, que c’est de la mauvaise herbe ou de l’ivraie au milieu d’un champ de blé ». Le commissaire de Bar-sur-Seine (13/10/1861) : « Indifférence complète des populations rurales pour toutes les questions politiques ». Le même, le 30/01/1867 : « Ce qui occupe généralement les esprits, c’est la cherté toujours croissante de presque toutes les denrées alimentaires et notamment du pain ».
Commissaire central de Troyes, 29/06/1862 : « On a toujours grande confiance dans le chef de l’Etat et son gouvernement pour mener à bonne fin la guerre du Mexique et les affaires d’Italie ». En janvier 1867 : «La grande majorité de la population de Nogent-sur-Seine fait preuve d’une indifférence remarquable en ce qui concerne les questions purement politiques ». 30/09/1867 : « En ce qui concerne la possibilité d’un conflit entre la France et la Prusse, toutes les nouvelles qui s’y rattachent sont recueillies avec avidité. On ne pense pas que l’ambition allemande soit compatible avec le maintien de la paix. Les neuf dixièmes le jugent ainsi. Enfin, le sentiment à cet égard devient tellement unanime qu’il prend la tournure d’une croyance populaire. On ne désire pourtant pas la guerre, mais dans ces conditions, si elle venait à éclater, elle serait courageusement acceptée ».
Le sous-préfet de Bar-sur-Aube le 28 janvier 1867 : « Je constate que le parti orléaniste s’efforce de jeter l’inquiétude dans les esprits en répandant le bruit que l’état de santé de Sa Majesté l’Empereur est alarmant, que les charges publiques sous le gouvernement de juillet étaient moins élevées, que l’agriculture et l’industrie étaient plus florissantes. Ces menées et ces nouvelles, auxquelles on ajoute peu de foi, ne produisent pas généralement l’effet que ce parti attend »
La presse départementale est surveillée de très près. Du 30/11/1869 : « Les journaux, par légèreté, calcul ou malveillance, se font volontiers les éditeurs empressés des bruits les plus mensongers. Le plus souvent, les fausses nouvelles qui circulent dans les campagnes n’ont pas d’autre origine. Le commis-voyageur à table d’hôte, au café ou chez le client, contribue à cette propagande ».
Pour le clergé, il est difficile, son attitude étant réservée, de savoir ce qu’il pense. « Il n’est guère favorable au régime, il n’approuve pas sa politique vis-à-vis de Rome, son recrutement est médiocre, d’où son peu d’influence dans un département où la foi est peu vive ». Juin 1862 : « Au milieu des excitations des journaux religieux et des démonstrations pompeuses de la Cour de Rome qui leur servent de prétexte, le clergé du département continue à faire preuve d’une sage réserve ».
Le commissaire central en octobre 1861 : « La moralité publique laisse beaucoup à désirer à Troyes, ville de fabriques, où le contact des deux sexes de la classe ouvrière est permanent ». Le préfet en janvier 1862 : «La moralité publique est peu satisfaisante, surtout dans la classe ouvrière industrielle ». Du 14/06/1862 : « La moralité chez la vieillesse est plus licencieuse que chez la jeunesse. S’il y a quelques veufs dans la commune, ils prennent des servantes et vivent maritalement avec elles ».
La classe ouvrière est en outre, avide de plaisirs de toutes sortes. Commissaire central du 31/03/1864 : « Les ouvriers et les ouvrières lisent des feuilletons, des romans dans leurs ateliers, et dans les demeures et ils choisissent toujours ce qu’il y a de plus passionné et, conséquemment, de contraire à la morale. Ils vendent leur pain, leurs effets pour pouvoir fréquenter les spectacles aux drames excitants… ».
Le commissaire central, le 13/1/1864 : « L’abus des boissons dans la classe ouvrière porte le plus grand préjudice à la moralité publique ». 31/05/1867 : « Les débits de boissons, comparés au chiffre de la population, sont très nombreux et excèdent les besoins de la consommation locale. Ils ont doublé depuis 10 ans (on en compte 1 par 75 habitants). Ils prennent à l’ouvrier son temps et son argent et ainsi sa santé, sans compter qu’ils l’habituent à l’ivrognerie. Les affaires de corps et d’injures qui viennent se dénouer devant la Justice sont, 9 fois sur 10, dues à l’abus des boissons ».
Autre trait de l’absence de moralité : du 14/03/1863 : « Des plaintes me sont parvenues que des habitants qui tiennent des dépôts de pain, le vendent sans le peser à moins qu’on le demande. J’ai constaté que des pains de 2 kilos pesaient jusqu’à 115 grammes de moins que le poids ».
Janvier 1869 : « La bonneterie fait travailler depuis l’enfant de 5 ans jusqu’au vieillard ».
Le guet ne néglige rien. Des faits qui nous semblent relever des tribunaux comiques, sont gravement instruits par la police, signalés au préfet et transmis au gouvernement. Tel ce poivrot qui a proposé de casser « la figure » de l’Empereur si on lui donnait 100 francs. Plusieurs citoyens se sont empressés de le dénoncer à la police et de contribuer à son arrestation. « On ne lui a infligé que 2 mois d’emprisonnement ».
S’agit-il de connaître le nombre de protestants à Troyes ? Un état nominatif, divisé en 7 colonnes, est dressé, portant la profession, la demeure, la moralité, l’opinion, le nombre des membres de la famille du réformé, le degré de confiance qu’on peut avoir en lui ».
Rien n’échappe à l’œil du guet sous le Second Empire !
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