Le roi Louis VIII-le-Lion (1223-1226), l’époux de la belle reine, et maintenant régente, Blanche de Castille, venait de mourir.
Quelle que soit la part et surtout l’espèce d’influence qu’exerçait la régente sur « Thibaut-aux-Chansons » (Thibaut le Chansonnier 1223-1253, voir ce chapitre), le comte, pour le moment, en était vis-à-vis d’elle, c’est-à-dire de la cause royale, au dévouement et à la constance.
Cependant, à travers les oscillations de cette fidélité quelque peu incertaine, la ligue des barons avait trouvé jour à faire tomber le comte dans ses intérêts, en lui faisant accepter pour épouse Yolande, fille du duc de Bretagne. Tout était prêt pour la cérémonie, qui devait avoir lieu à l’abbaye du Val-Secret, près de Château-Thierry, lorsque le Comte reçoit de Blanche ce message laconique et d’une habileté toute féminine, que les historiens de Bretagne nous ont conservé : « Sire Thibaut de Champagne, j’ai entendu dire que vous avez convenu et promis à prendre à femme la fille du comte Pierre de Bretagne. Pourtant vous demande que si cher, que vous avez tout tant que âmes au Royaume de France, que vous ne le fassiez pas. La raison pour quoi vous savez bien, je jamais n’ai trouvé pis qui mal m’ait voulu faire, que lui ».
La dépêche de la régente ne manqua pas son effet. Le comte, aussitôt après l’avoir reçue, rebroussa chemin, laissant là sa fiancée et ses hôtes, et assumant, par cet affront, le dépit et la vengeance de tous.
En effet, ses anciens alliés ne lui pardonnèrent pas son outrage.
Les barons coalisés envahirent ses domaines et vinrent mettre le siège devant Troyes.
En vain le comte, retenu lui-même à Provins, qui se trouvait également en péril, s’adressa au roi de France, pour implorer de lui l’assistance que tout suzerain devait à un fidèle vassal.
Dans cette extrémité, les bourgeois de Troyes appelèrent à leur secours Simon de Joinville, sénéchal de Champagne, père de l’historien de Louis IX (Saint-Louis). Simon accourt en toute hâte, se jette dans la place, pendant que le roi et la reine venaient se réunir à ses efforts.
Et la ville de Troyes fut ainsi préservée « d’une atteinte formidable » : «… Et les bourgeois de Troyes mandèrent subit Simon seigneur de Joinville, qu’il les vienne secourir. Et ainsi le fit le bon seigneur. Car incontinent, à toute sa gent, vint après les nouvelles à lui venues, et fut devant la cité de Troyes, avant que le jour fut, et de sa part fit merveilles de secourir aux bourgeois et tant que les barons faillirent à la cité prendre…».
Ceci se passait de 1228 à 1230. Or, c’était le temps où Thibaut, sentant tout le prix dont pouvaient être pour lui les associations communales, mettait ses villes et ses villages en communes, ayant plus de confiance en ces sortes de ligues, que dans ses armées elles-mêmes.
Le comte organisa donc par la charte de 1230, sa commune de Troyes.
En examinant les termes dans lesquelles elle est conçue, on acquiert la conviction que cet acte était l’œuvre spontanée de Thibaut, émanée de son propre mouvement et de sa seule volonté. Le Maire, ainsi que ses 12 collègues, n’est en définitive qu’un « très humble et très dépendant serviteur du comte ». La mairie qu’institue le diplôme était si peu l’objet des vœux et de l’enthousiasme populaires, que, dans l’article même qui règle la nomination du maire, l’insouciance des bourgeois est formellement prévue et que le comte se charge d’y suppléer.
C’est au milieu de la guerre que Thibaut organise sa commune. Sa charte d’institution est en même temps un édit boursier.
Enfin, à peine le maire et ses échevins sont-ils installés, que leurs fonctions consistent à « endosser » ses obligations pécuniaires. Ces dettes « contractées sous l’empire d’une nécessité pressante, employées à la plus grande utilité de la commune » ne sont autre chose que les frais de la guerre. Mais il est évident qu’il s’agit de dépenses faites pour le compte de Thibaut et non pour celui de la ville. La démarche de ce dernier qui se porte lui-même en garant de la créance et la note insérée par le bailli, ne laissent aucun doute possible à cet égard. Cependant, à « 12 ans de là », la dette subsistant toujours, dette souscrite au nom de la commune, le comte lance une seconde charte, qui pourrait être appelée aussi un appel de fonds, et la commune, par ce même acte, est anéantie.
Jusqu’au XV° s. la commune ne reparait plus. Le comte Thibaut V en 1270, en 1284, Philippe-IV-le-Bel (1285-1314) et Jeanne de Navarre, sa femme, comme héritière de Champagne, et, plus tard, d’autres souverains, confirmèrent la charte de 1242, à laquelle ils ajoutèrent même quelques nouveaux privilèges.
Cependant, même après la suppression de 1242, aussi bien qu’avant la charte de 1230, la ville posséda toujours quelques libertés municipales, et les rudiments d’une administration populaire. C’est dans cette situation que se retrouva la ville, lors de la révolution de 1242.
La commune de Troyes, même pendant la courte durée de son existence régulière, ne scellait pas ses actes d’un sceau particulier. C’est seulement en 1624 qu’un édifice spécial fut construit par elle et affecté à ses besoins. Jusque là, les assemblées municipales avaient eu lieu tantôt à l’ « hôpital du Saint-Esprit », tantôt aux « Cordeliers », tantôt à la « Vicomté », et plus anciennement encore, dans la salle capitulaire de la cathédrale. En 1426 c’était la cloche du beffroi qui servait à convoquer les habitants aux délibérations municipales.
Ainsi, la ville de Troyes ne posséda jamais au moyen-âge, ni le « sceau », ni la « cloche », ni l’« hôtel-de-ville », ces 3 symboles par excellence de la commune et dans lesquels éclataient, chez les populations jalouses de leurs libertés municipales, « le luxe et la pompe populaire ».
Puis en 1470, la ville, pour se conformer à un usage généralement adopté, demanda à l’autorité royale d’être érigée en échevinage.
Ces privilèges tardifs lui furent accordés. En mai 1470, Louis XI (1461-1483) donna aux habitants une charte qui règle le mode d’élection des maires et échevins et les attributions du corps municipal.
Cette constitution, qui fut révisée dès l’année 1482, fut encore depuis cette époque, l’objet de nombreuses modifications successives.
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