A la fin de 1793, la Convention était plus puissante et plus despotique que jamais. Les représentants qu’elle envoyait en mission disposaient de la liberté et de la vie des citoyens, ils brisaient toutes les résistances et faisaient fléchir toutes les volontés.
Jamais l’autorité n’avait été aussi absolue, le commandement plus impérieux, la répression plus terrible.
Le représentant Bô, que la convention envoyait dans l’Aube avec des pouvoirs illimités, était originaire de l’Aveyron où il exerçait la profession de médecin. Il avait épuré révolutionnairement les autorités de Mézières, fait arrêter 40 « muscadins » (nom donné en 1793 aux royalistes qui affectaient une mise recherchée et dont le musc était le parfum préféré) qui dominaient dans la Société populaire de Givet, pris l’argenterie des églises et les cloches, et exigé une taxe sur les riches.
On lui dépeignit la commune de Troyes comme animée à son égard des intentions les plus hostiles, lui disant même que la ville oserait violer en sa personne la représentation nationale.
Ce fut sous l’influence de ces calomnies que Bô arriva à Troyes. Il descendit à l’auberge où logeait Rousselin (qui est en l’an II commissaire national à Troyes), et en dînant avec lui, se laisse prévenir contre les actes et les intentions de ses adversaires.
Le conseil général de la commune s’empressa de se transporter à l’auberge du Petit Louvre pour lui offrir ses hommages. Bô tint le langage le plus violent : « La loi révolutionnaire a été violée…».
Sans examiner les procès-verbaux, il fit arrêter le président et les secrétaires de la 3° section qui les lui apportaient. Un commandant de la garde nationale et membre du conseil général qui avaient répondu avec le plus de fermeté à Bô, furent incarcérés par ses ordres. Il proposa un duel au pistolet au lieutenant-colonel de volontaires qui le mettait en garde contre Rousselin.
Pour la fête de la Convention du 10 nivôse (30 décembre 1793), Bô se rendit sur la place de l’Hôtel de Ville, où l’on avait planté un arbre garni de rubans, de portraits de princes, et d’effigies d’aristocrates. Au pied étaient amoncelés des titres féodaux tirés des archives des notaires et des tribunaux. Après y avoir mis le feu, il se dirigea vers le temple de la Raison (la cathédrale), monta dans la chaire, et après avoir tonné contre le fanatisme et contre l’abus de signes extérieurs, il recommanda le sacrifice des ornements d’église.
Bô réunit les bureaux des 8 comités de surveillance et leur tint un langage menaçant. Il leur enjoignit de surveiller les intrigants et les meneurs…
Il ne lui suffisait pas d’intimider les habitants par des menaces, il fallait les terrifier par des actes. Le 31 décembre, sous le prétexte que l’aristocratie « toujours dominante, mais toujours lâche », avait voulu tenter un mouvement contre-révolutionnaire, Bô mit en état d’arrestation 36 citoyens parmi ceux qui avaient parlé avec le plus d’énergie dans les sections. Tous avaient donné des gages de leur attachement sincère aux principes justes de la Révolution. Ils furent arrêtés dans la soirée, et envoyés dans les bâtiments de l’ancienne école militaire de Brienne (évacuée récemment par les élèves). Tous étaient pères de famille, et on les arrachait à leurs foyers, la nuit, sans les entendre, pour les faire conduire en prison, à 8 lieues de distance, par le plus grand froid. Les sympathies de la population étaient si vives pour ces citoyens estimables, qu’on craignait de les laisser à Troyes. Elle savait bien que ceux que Bô qualifiait d’intrigants et de meneurs étaient les plus fermes défenseurs de ses libertés et de ses droits.
La population était résolue à ne plus avoir Gachez pour maire. Bô comprit qu’il serait impossible de le lui imposer plus longtemps. Il décida que provisoirement il n’y aurait plus de maire dans la commune de Troyes puisque le « seul maire sans-culotte dont elle pouvait se glorifier avait été jalousé et calomnié… un soldat, un invalide, un patriote ardent ». Il déclara que le corps municipal serait composé désormais de 16 membres et qu’il nommerait tous les 15 jours son président.
En même temps, il destitua 3 officiers municipaux et 11 notables, et les remplaça par des partisans des sans-culottes.
Pour réduire complètement au silence l’opinion publique, il fallait supprimer la Société populaire, qui avait cependant donné tant de gages et rendu tant de services à la Révolution. Elle se composait alors de 500 à 600 membres. Bô n’hésita pas à la dissoudre, sous le prétexte « qu’elle compromettait par son modérantisme la liberté menacée », et nomma une commission de 24 sans-culottes pour former « le noyau de sa régénération ». L’arrêté fut signé le 1er janvier 1794.
Bô partit le 2 Janvier en emmenant avec lui dans sa voiture le maire Gachez, et la ville de Troyes fut délivrée à jamais de la présence du « seul maire sans-culotte » qu’elle ait eu. Celui-ci alla se réfugier à Paris, employé dans un bureau de timbre. Il s’en fit chasser pour un acte d’improbité. Il essaya alors, à l’aide de faux certificats, d’obtenir du ministre de la guerre une pension de lieutenant d’invalide. Sa fraude fut découverte, on le poursuivit, il se réfugia à Clermont, où il fut arrêté en mai 1794. Le 11 novembre, le tribunal criminel du département de Paris le condamna pour faux en écritures publiques, à la réclusion pendant 8 ans et à l’exposition préalable pendant 6 heures. Tel était l’homme qui avait été élu maire de Troyes, et que le représentant Bô avait défendu contre la majorité des sections.
Le départ de Gachez était une satisfaction donnée à la population de Troyes. Rousselin ne tarda pas à le suivre, chargé des malédictions de la population qu’il avait terrorisée pendant 2 mois.
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