La période de la Révolution détermine des difficultés d’ordre économique qui viennent aggraver à l’extrême l’état de tension du régime politique : la crise du ravitaillement, la hausse des prix, l’agiotage sur les denrées de première nécessité (qui consiste à conserver des biens en comptant sur la hausse de leur prix sous le coup de l'inflation).
Prenons l’exemple d’Ervy-le-Châtel de 1792 à 1795.
Plaintes des boulangers : le 8 septembre 1792, un ordre du Conseil général de l’Aube enjoignit aux communes de battre leurs grains et de les réduire en farine pour en conduire une certaine quantité à Châlons.
Dès le mois d’octobre, il fut impossible de s’approvisionner tant au marché d’Ervy qu’à ceux des environs, et les cultivateurs furent accusés de cacher leurs grains, pour se mettre à l’abri des privations qu’on redoutait déjà.
Le 3 octobre, accompagnés des officiers municipaux, les boulangers d’Ervy, protestant contre cet état de choses, vinrent exposer au Directoire comment il leur avait été impossible de trouver les grains nécessaires à la troupe, ils demandaient que des mesures fussent prises « pour faire cesser les plaintes du public et prévenir les dangers qui résulteraient infailliblement d’un plus long retard ».
Des « moyens coercitifs » furent proposés pour assurer l’approvisionnement du marché d’Ervy, et ajouter la nourriture d’un bataillon d’infanterie.
Le 12 mai 1793, après des perquisitions, des menaces de l’agent national eurent lieu pour que les grains, comme les fourrages, ne soient conduits avec une parcimonie suspecte aux endroits désignés.
La récolte de 1793 fut particulièrement bonne, mais la nonchalance des cultivateurs obligea l’Administration à prendre des mesures sévères pour recenser les grains et obtenir, à la fin de décembre, le battage de ceux demandés pour les armées de la Moselle.
On peut douter du succès de ce recensement, car le 23 mars 1794, les moulins avoisinants Ervy étaient soupçonnés de cacher des grains.
De sérieuses perquisitions furent ordonnées, et le 4 avril, on annonça l’arrivée d’un détachement de 11 hussards, commandés par un officier, chargés de presser l’exécution des réquisitions.
Mais les ressources étaient sérieusement affaiblies et la misère se faisait déjà sentir dans plusieurs communes.
Outre les réquisitions courantes, Ervy avait envoyé des secours à Troyes, et, reconnaissant qu’on lui demandait plus qu’il ne pouvait accorder, il s’était engagé à approvisionner le marché des Riceys.
Le 7 avril, des fermières s’étaient présentées au bureau de l’agent national pour lui demander des subsistances, et déclarèrent qu’elles se présenteraient le lundi suivant au four commun, pour y prendre le pain qu’elles y trouveraient. Des voitures de grains destinés au département des Ardennes furent arrêtées à Villery par des citoyens de la commune, qui les partagèrent entre les habitants.
La ville d’Ervy, « à la veille d’éprouver les horreurs de la famine », attendait des secours.
Début juillet 1794, le district de Meaux fut chargé de fournir 1.500 quintaux de grains à celui d’Ervy. Le temps pressait car depuis plus d’un mois, on ne pouvait attribuer qu’une demi-livre de pain d’orge par tête et par jour, et on était à la veille de faire cesser cette attribution.
50 communes fournirent 60 voitures attelées de 3 chevaux, chargées de se rendre à Meaux et à Lagny pour le transport des grains. 52 communes bénéficièrent ce cette attribution.
Dans cette période, les marchés n’existèrent plus.
Sollicités par les réquisitions et soucieux de leurs propres besoins, les cultivateurs avaient perdu l’habitude de conduire leurs produits aux marchés des cantons.
La nécessité de ravitailler les centres populeux obligea le gouvernement et les administrateurs départementaux à réapprovisionner ces marchés par voie de réquisitions communales. Le 10 septembre 1794, l’agent national, rendant compte des efforts infructueux faits en ce sens, expliqua les raisons de son insuccès : « Citoyens, j’ai requis les municipalités d’approvisionner les marchés. Un petit nombre a obéi, car sur les marchés, les grains se vendent au maximum et, chez eux, les cultivateurs les vendent au gré de leur intérêt. Les cultivateurs, pour éviter la réquisition, se font accompagner par les habitants, qui prennent au maximum le grain dont ils ont besoin et que, ils n’achètent que pour revendre à un prix beaucoup plus haut… Malheur à eux, si je peux en acquérir la preuve, et malheur à tous ceux qui les imitent, puisqu’ils veulent être les ennemis du peuple au lieu d’en être les soutiens, puisqu’ils veulent être les sangsues au lieu d’être les pères nourriciers, puisqu’ils sont sourds à la voix de la justice et de l’humanité, qu’ils tremblent ! Bientôt des punitions exemplaires feront justice de leur lâcheté ».
Un mois après, l’agent national constata les mêmes infractions, le maximum volé partout : « cossonniers (marchands de menues denrées), revendeurs, marchands, achètent à n’importe quel prix, revendent de même, et le peuple ne peut rien se procurer. Les marchés se font à huis clos et sous la cheminée… Si les citoyens veulent s’approvisionner, ils sont obligés de parcourir les campagnes et les cultivateurs leur font la loi ».
Le concours de la gendarmerie devint chose courante et indispensable pour forcer les communes à conduire quelques approvisionnements aux marchés.
En juin 1795, l’agent national renouvelle ses plaintes sur la pénurie des subsistances : « La disette que nous éprouvons est purement factice. Si la malveillance n’était pas intéressée à en prolonger le cours, on la verrait bientôt disparaître et l’abondance reprendre sa place, mais la cupidité ne connait point de bornes ».
D’un autre côté, il faut admettre la méfiance du paysan au milieu d’événements dont il ne saisissait pas toujours la signification, de même que son obstination à ne rien livrer de ses produits lorsqu’il s’apercevait que sa famille elle-même risquait d’en manquer.
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