Religion



L’autodafé de Troyes de 1288


Larousse: autodafé : " Jugement sur des matières de foi. Exécution du coupable à la suite de cette sentence ".

 

Il y a 725 ans, sous le règne de Philippe le Bel, l’autodafé de Troyes fait monter sur le bûcher le 24 avril 1288, 13 juifs troyens, victimes du fanatisme populaire, et du tribunal de l’Inquisition. C’est en récitant le " schema ", la profession de foi juive, qu’ils périssent dans les flammes.

 

Cet événement à la fois pathétique et tragique nous est rapporté par un manuscrit de la fin du XIII° siècle, retrouvé dans la Bibliothèque du Vatican.

 

Il comporte un poème connu sous le nom de " Complainte de Troyes ", qui évoque la scène de façon si douloureuse, que ce document littéraire est sans doute le plus impressionnant de la littérature judéo-française du Moyen-Age.

 

C’est une apologie des Martyrs de Troyes, inspirée par le souvenir de leur mort tragique et exemplaire. C’est une époque des plus sombres où l’intolérance sévit avec une extrême violence. De cette guerre naît le tribunal de l’Inquisition, initialement destiné à traquer les hérétiques, utilisant la pratique de la torture, et n’hésitant pas à recourir au " bûcher " à l’encontre de tous ceux qui refusent de se soumettre à l’Eglise, essentiellement les Juifs.

 

L’Inquisition recourt à des procédés de contrainte et de cruauté extrême, comme en use à Troyes, l’ordre des Cordeliers qui décide du sort des 13 Juifs troyens et en fait des martyrs.

  

Une dénonciation anonyme, des rumeurs publiques, de simples soupçons, peuvent conduire au pire. Telle est l’atmosphère qui règne au moment où prend corps l’accusation diabolique de " crime rituel ", lancée contre les membres de la Communauté juive de Troyes en 1288.

  

Le fanatisme religieux, la haine, et l’envie semblent avoir été à l’origine de l’affaire. Toujours est-il que le vendredi 26 mars, la maison du chef de la Communauté juive, Isaac Châtelain, riche propriétaire, est envahie par des Chrétiens, car accusé d’un crime supposé et ayant tramé un complot. Ils déposent subrepticement un cadavre dans sa maison. Celui-ci découvert, les chrétiens de la ville s’ameutent contre les Juifs, et l’accusation absurde se répand d’un " crime rituel " : " Les Juifs n’avaient-ils pas besoin de sang humain pour célébrer leurs Pâques ? ".

 

Isaac Châtelain est arrêté avec sa femme, ses 2 enfants et sa belle-fille. Sa maison est livrée au pillage. On s’empare ensuite des principaux notables juifs de la ville : 13 d’entre eux demeurent aux mains des Chrétiens. Comme ils sont accusés d’un crime religieux, on les livre au tribunal ecclésiastique et " l’Inquisition "(les Cordeliers) est chargée du procès.

 

Les 13 accusé sont condamnés au supplice du feu. Les Juifs offrent de se racheter à prix d’or. Le Saint Office refuse. On leur promet la vie sauve, à condition qu’ils veuillent abjurer. Ceux-ci préfèrent la mort à l’abjuration, et le samedi 24 avril, ils montent sur le bûcher.

  

Le nom, la physionomie morale, l’attitude et les propos mêmes de chacun d’eux, revivent avec une intensité pleine d’émotion dans les strophes de la " Complainte de Troyes " où l’auteur évoque les scènes successives qui précèdent le moment suprême. C’est ainsi qu’apparaissent Isaac Châtelain, le président de la Communauté de Troyes, sa femme, ses 2 fils, et sa bru qui " tant fut belle ". Ils vont à la mort, les mains liées derrière le dos, chantant des chants hébreux et s’encourageant mutuellement. La beauté de la jeune femme semble émouvoir le tribunal. On lui offre la vie sauve avec le baptême, on lui offre richesses et dignités :  " Nous te donnerons un écuyer qui t’aimera beaucoup ". Elle refuse avec indignation et va rejoindre son mari dans les flammes.

  

Vient ensuite Samson, qui s’est dévoué pour sauver les autres et meurt en adressant des paroles d’encouragement à ses compagnons.

 

Salomon, le trésorier de la Communauté de Troyes, " jeune homme si plein de bonté " qui souffre aussi héroïquement la mort pour l’amour de son Dieu.

 

Il est suivi par Simon de Chatillon, qui meurt en pleurant non sur lui-même, mais sur sa famille.

 

On voit alors apparaître Bonfils, d’Avirey, qui s’enhardit à outrager les bourreaux.

 

Puis, Isaac, le Rabbin, qui, requis par les Frères Prêcheurs de se tourner à leur croyance, déclare que prêtre de Dieu, il lui fait " l’offrande de son corps ".

 

Ensuite, c’est le tour de Haïm, l’illustre chirurgien, le " maître de Brinon " qui rend la vue aux aveugles et à qui le bailli lui-même promet la vie sauve s’il veut abjurer.

 

Enfin arrive son homonyme, Haïm de Chaource, on le fait mourir à petit feu " du milieu des flammes, il huchait Dieu, et menu et souvent ".

 

Après cette exécution, Philippe le Bel interdit de poursuivre tout Juif du Royaume de France sans informer au préalable le bailli (en 1306, le roi expulse de France tous les Juifs). Sa décision est inspirée par la volonté de porter un coup au Saint-Office et de préserver la prérogative royale. Il inflige un blâme à son bailli pour s’être fait le serviteur de l’Inquisition et met la main sur les biens des Juifs, victimes de ce massacre, " bonne affaire " pour le trésor royal, car Philippe le Bel encaisse (et non l’Eglise) les 15.000 francs or, montant de la prise sur la fortune des 13 martyrs juifs.

 

Les Juifs doivent attendre 1791 pour obtenir de l’Assemblée Constituante le droit de vivre sur un pied d’égalité avec les autres citoyens. L’émancipation juive découle de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : " les hommes naissent libres et égaux en droits ".

 

 

 

La Complainte des Martyrs de Troyes

 

Elle est mise à grand mal, la malheureuse gent ; Et ce n’est pas sa faute, si la rage la prend, car d’entre eux sont brûlés maints preux braves et gens, Qui n’ont pu pour leur vie donner rachat d’argent.

Notre joie est troublée, troublé notre déduit. Car ceux que la Torah occupait sans répit, Etudiant sans fin et de jour et de nuit, Ils ont reconnu Dieu ! Et tous ils sont détruits.

De la réforme gent, nous souffrons ces douleurs, A bon droit nous pouvons bien changer de couleur. Dieu ! prends-nous en pitié : entends nos cris, nos pleurs ! Car nous avons perdu maint homme de malheur.

En place est amené Rab Isaac Châtelain Qui pour Dieu laissa rentes et maisons tout à plein. Il se rend au Seigneur. Riche était de tous bien Bon auteur de Tosphot et bon auteur de plains.

Lorsque la noble femme vit brûler son mari, Le départ lui fit mal ; elle en jeta grand cri : "Je mourrai de la mort dont mourut mon ami." Elle était grosse ; aussi grand’peine elle souffrit.

Deux frères sont brûlés, un petit et un grand ; Le plus jeune s’effraie du feu qui lors s’éprend : "Haro ! je brûle entier !" et l’aîné lui apprend : "Au paradis tu vas aller ; j’en suis garant."

La bru qui fut si belle, on vient pour la prêcher : "Pour te tenir bien chère, nous t’offrons écuyer". Elle, aussitôt, contre eux commença à cracher : "Je ne laisserai Dieu, vous pouvez m’écorcher."

D’une voix tous ensemble, ils chantaient haut et clair, Comme des gens de fête qui dussent caracoler. Leurs mains étaient liées, ils ne pouvaient baller, Jamais on ne vit gens si vivement marcher.

Le félon, le maudit, les brûlait, irrité Les uns après les autres. Alors un kadosh : "fais, Fais grand feu, méchant homme", il osa l’outrager. Elle fut belle, la fin de Biendict d’Avirey.

Il y eut un noble homme qui se prit à pleurer : "Pour mes enfants, je pleure ici désespéré, Non pour moi." Il se fit brûler sans plus tarder ; Ce fut Simon, sopher , qui sut si bien orer.

Les prêcheurs sont venus Isaac Cohen quérir : "Qu’il abjure, ou sinon il lui faudra périr." "Que me demandez-vous ? Pour Dieu je veux mourir. Prêtre, je veux l’offrande de mon corps lui offrir."

"Tu ne peux échapper, puisque nous te tenons, Deviens chrétien." Mais lui, aussitôt répond : "Non, Pour les chiens, je ne veux laisser Dieu, ni son Nom !" On l’appelait Haïm, le maître de Brinon.

Il y eut un kadosh qui fut conduit avant ; On lui fit petit feu qu’on allait avivant. De bon coeur, il invoque Dieu, menu et souvent, Souffrant doucement peine au nom du Dieu vivant.

Dieu vengeûr, Dieu jaloux ! Venge-nous des félons ; D’attendre ta vengeance, le jour nous semble long ! A te prier d’un coeur entier, là où nous restons et allons, Nous sommes prêts et disposés, réponds, Dieu, quand nous t’appelons.


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