En certaines circonstances, quand de graves événements agitent la nation, il est bon de savoir ce qu’ils ont produit, soit en bien, soit en mal, jusque dans les plus petites localités. Relevons dans le Registre municipal de Montaulin de 1790 à 1795, des détails intéressants pour l’histoire de la Révolution. Ce qui se passait à Montaulin se passa partout ailleurs, la France rurale, soumise au même régime, connut les mêmes épreuves que ce petit coin de terre et subit les mêmes péripéties. Ce fut l’enthousiasme au début, les déceptions et la misère vinrent ensemble.
Le 12 novembre 1789, l’Assemblée nationale décréta qu’il y aurait une municipalité dans chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de campagne, et le 14 décembre, les municipalités existantes furent abolies. Ce décret fut publié au prône de la messe paroissiale et affiché à la porte de l’église de Montaulin. Le 17 février 1790, les habitants, convoqués au son de la cloche, se rendirent dans l’église paroissiale qu’ils avaient choisie comme maison commune. Ils étaient 46 citoyens actifs, ayant droit d’élection. M. Pierre-Nicolas Houet, curé de la paroisse prit la parole pour exposer l’objet de la réunion. Puis on procéda au vote pour la nomination du président et du secrétaire de l’assemblée. Toussaint Jacquinot fut élu président et Léger Autran secrétaire. Le président lut la formule de serment que devaient prêter tous les membres de l’assemblée, et chacun d’eux, à son tour, répondit : « Je le jure ». On procéda à l’élection du maire. Sur les 40 électeurs, M. Houet, curé de Montaulin (depuis février 1797, né à Riceys-Bas), obtint 26 suffrages et fut immédiatement proclamé maire de la commune. Puis furent élus 2 adjoints, le procureur de la commune et 6 conseillers de la commune. Avant d’entrer en fonction, chacun des membres du conseil prêta individuellement, en présence de tous les habitants, serment de maintenir de tout son pouvoir la constitution du royaume, d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, et de bien remplir ses fonctions. Claude Fleuriot, recteur d’école, fut choisi par le conseil de commune comme secrétaire-greffier.
Les citoyens de Montaulin, usaient avec ferveur de leurs nouveaux droits civiques et s’acquittaient de leurs devoirs. « Tout de feu pour la liberté, ils entrevoyaient un avenir plein de promesses et se forgeaient une félicité qui les transportait de joie ». Il ne leur fallut pas beaucoup d’années pour en rabattre.
Dans les premiers mois de 1790, une paix relative régnait encore en France. Les municipalités, surtout celles de la campagne, n’ayant pas à s’occuper de politique, vaquaient librement au soin des intérêts communaux. Il pouvait sembler étrange que le curé fût en même temps maire de la commune. Mais la Constitution civile du Clergé, votée par l’Assemblée nationale le 12 Juillet 1790, et revêtue, le 26 décembre, de la signature arrachée à la faiblesse de Louis XVI, allait changer du tout au tout la situation. Elle soumettait à l’élection du peuple les évêques et les curés, et défendait aux évêques élus de demander au pape l’institution canonique. Par suite, ces évêques manquaient de tout pouvoir de juridiction dans leurs paroisses. C’était le schisme et l’anarchie dans le domaine religieux. A Montaulin, le curé manqua de lumières ou de courage ! Peut-être ne comprit-il pas que la Constitution civile du Clergé était une œuvre schismatique, en opposition avec les principes les plus certains de l’orthodoxie catholique, ou bien, s’il s’en rendit compte, il eut peur d’affronter la persécution qui menaçait les prêtres fidèles. Le 23 janvier 1791, à l’issue de la messe paroissiale, M. Houet prêta serment, en présence du Conseil général de la commune et de tous les habitants. Ainsi, la paroisse de Montaulin se trouvait soustraite à l’autorité légitime du Pape et de l’Eglise et tombait dans le schisme constitutionnel. Les habitants se plaignirent de ce que l’éducation de leurs enfants était négligée et le culte public, presque délaissé. Le 23 novembre 1792, un recteur fut nommé pour les 2 écoles de Montaulin et de Montabert, et servant en même temps de chantre à l’église.
Conformément aux décrets relatifs aux droits seigneuriaux du 17 juillet 1793, tous ces papiers où étaient consignées les redevances ci-devant seigneuriales, furent brûlés au pied de l’arbre de la liberté, au milieu des acclamations du peuple qui criait : « Vive la République, la Liberté et l’Egalité ! ». Le malheur est que l’Etat, se substituant aux seigneurs, a repris pour son compte la plupart des droits que l’on croyait à jamais disparus et qu’il a confisqué la plupart des libertés que l’on s’imaginait avoir reconquises. Après avoir brûlé les titres féodaux, il fallait mettre la main sur les biens, meubles et immeubles de l’église. Le 14 décembre 1794 les biens de la fabrique de Montaulin furent vendus aux enchères. La Révolution, si fort acclamée à son aurore ne devait pas tarder à provoquer des mécontentements et des récriminations. A la fin de 1793, la municipalité de Montaulin fut obligée, par des arrêtés du Département de l’Aube, de réquisitionner hommes, chevaux et voitures pour conduire, à Metz ou autres lieux indiqués, des approvisionnements de fourrages qu’on devait charger au dépôt ou magasin militaire de Troyes, l’ancien couvent de Notre-Dame-aux-Nonnains. Les réquisitions se succèdent ainsi, de semaine en semaine. Tant pis pour ceux qui possédaient de nombreux chevaux pour la culture de leurs terres !
Mais les réquisitions ne se présentaient pas seulement sous la forme de voyages à faire. La disette régnait à peu près partout, et il fallait fournir des vivres. Les populations faisaient souvent la sourde oreille à ces réquisitions incessantes et s’efforçaient de soustraire leurs provisions à l’avidité des proconsuls républicains. Mais elles n’y réussissaient pas toujours. En septembre 1794, la commune de Troyes exposait de nouveau sa pénurie en fait de subsistances de première nécessité, notamment les grains. Le conseil de Montaulin, apitoyé sur cette misère, requérait des laboureurs de la commune de conduire à Troyes, devant l’église Saint-Jean, 200 quintaux de froment bien, vanné et criblé. Après la réquisition de blé, ce fut la réquisition de foins, et 200 quintaux furent réclamés à Montaulin. Le 1er août 1794, on trouve un autre genre de réquisition. Il s’agit toujours de chevaux et voitures, mais c’est pour conduire des prisonniers de guerre. En fait d’étrangers internés dans le département, il n’y avait pas que des prisonniers, il y avait aussi des déserteurs à qui l’on assignait un domicile dans différentes communes.
Aux réquisitions s’ajoutait aussi l’emprunt forcé. Toutefois, en dépit de son Comité de surveillance, la commune de Montaulin n’entrait pas avec assez d’ardeur dans les idées du jour. En mai 1794, elle recevait une lettre de l’agent national pour la fabrication du salpêtre dans le district de Troyes déclarant « qu’elle n’était point encore en activité révolutionnaire », la requérant de s’y mettre, et prescrivant de nommer un citoyen sachant lire et écrire, pour se porter sur-le-champ à Lusigny afin d’y recevoir les instructions nécessaires pour l’exploitation du salpêtre. Pendant ce temps, la misère allait grandissant.
La loi du 6 ventôse an II essaya d’y porter remède en fixant le prix maximum au-dessus duquel aucune denrée ne pourrait être vendue…
La Révolution s’était faite au nom de la liberté, et c’est par là qu’elle avait séduit les cœurs les plus honnêtes et les meilleurs esprits. Mais elle fut bientôt, par la force des choses, un régime d’oppression et de tyrannie : oppression des consciences par la constitution civile du Clergé, la fermeture des églises et la confiscation de leurs biens, la proscription des prêtres fidèles jetés au bagne ou traînés à l’échafaud, oppression des intérêts par l’impôt sur le revenu, les réquisitions incessantes et l’emprunt forcé, oppression ou plutôt suppression de la liberté par l’établissement de ces Comités de surveillance qui organisaient en grand l’espionnage et la délation et ne permettaient plus à personne de penser et de parler librement. En se prolongeant, ce régime intolérable devait provoquer la révolte des consciences et des intérêts coalisés. Aux âmes le plus éprises de liberté, le despotisme de l’anarchie devait faire désirer le despotisme de l’autorité. Ce fut, en effet, ce qui arriva : la Révolution s’effondra dans l’Empire.
Souhaitons que l’histoire du passé serve de leçon au présent. Il ne faut pas que la liberté fasse faillite à ses promesses, qu’elle soit une réalité, et non pas seulement un mot, qu’elle soit la justice égale pour tous sous l’égide inviolable de la loi. Autrement le régime qui la proclame et qui la viole est condamné, tôt ou tard, à périr.
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