« C’est une joie pour les yeux,
les narines et le palais de cuire les andouillettes sur le gril posé sur un feu de sarments, dans la grande cheminée flanquée de ses deux placards typiquement champenois », m’avait appris
mon Grand-père.
Que mangeait-on autrefois ?
La plus ancienne recette retrouvée : à Troyes, en 1662, les pauvres « ont eu grande nécessité ». Pour les soulager, on fit des potages 4 à 5 jours par semaine, lesquels étaient faits : « 1 ou 2 seaux d’eau, 3 quarterons de beurre, de lard ou autre graisse, ½ potot de sel, quelque peu ou plus, pour 2 sols de poivre, 1 pinte et demie de pois cuits dès le soir auparavant, 1 grande panerée d’herbes. En tout ce que dessus bien bouilli ensemble dans une grande chaudière. On y mettait 12 à 15 livres de pain coupé en morceaux carrés, et après avoir bouilli, on en distribuait une écuelle à chaque pauvre. Pour rendre meilleurs les dits potages, on y mettait quelquefois 1 fressure de mouton ou quelque autre morceau de viande coupée ».
Lors de la disette de 1817 dans l'Aube, il y avait 4 recettes de pain de pommes de terre. Dans les années qui suivirent l’invasion de 1814-1815, la misère fut grande dans notre région, à cause de la rareté et de la cherté des denrées. Les pauvres gens ne se nourrissaient que d’un mauvais pain fait de farine de grains mêlés, où l’avoine dominait. L’abbé Girardon a fait de nombreux essais et il a pu fabriquer 4 qualités de pain, par des mélanges de farine de blé, de la fécule de pommes de terre et du son.
1ère qualité de pain : il était obtenu de la façon suivante : 10 livres de farine de blé ou fécule de pommes de terre cuites à l’étouffée. La veille du jour où on veut faire du pain, faire un levain avec les 2/3 des 10 livres de farine de blé. Le lendemain, pétrir avec ce levain les 10 livres de fécule et les 10 livres de pommes de terre cuites ou encore chaudes, bien écrasées, ajouter le 1/3 restant de farine de blé, pétrir longtemps. Ne mettre d’eau que ce qui est nécessaire pour lier des diverses doses et former une pâte ferme. Mettre dans des corbeilles, laisser lever et mettre au four. Ces 30 livres de mélange donnent en moyenne 36 livres de très beau pain. La dépense met le prix de la livre à 2 sous 8 deniers (0,33 F).
2ème qualité : 10 livres de farine de froment, 10 livres de fécule, 20 livres de pommes de terre cuites. Avec ce mélange l’abbé Girardon a obtenu 40 à 43 livres de beau pain, inférieur au précédent, mais bon pain de ménage. Prix de la livre : 2 sous 6 deniers (0,119 f).
3ème qualité : Pour cette qualité, l’abbé utilisait le son ou les râpures de pommes de terre. Mélanger 10 livres de farine de froment, 6 à 7 livres de fécule, le son ou les râpures de 40 livres de pommes de terre, 10 livres de pommes de terre cuites. Il faut laisser les râpures passer la nuit dans l’eau fraîche et le matin, les presser fortement dans un linge pour en faire sortir l’eau autant que possible, et il ne restera que 7 ou 8 livres. Mettre à pressurer dans une terrine ou avec un peu d’eau bouillante à verser dessus en remuant. Pétrir avec le levain, la fécule et ce qui reste de farine et les pommes de terre cuites écrasées et encore chaudes. On obtient ainsi de 30 à 38 livres de pain moins beau et moins friand que les précédents, mais bon comme pain bis et plus profitable dans un gros ménage que la 2ème qualité. Le prix de revient est le même que pour le pain de 2ème qualité.
4ème qualité : on n'emploie plus la fécule, elle est conservée pour être utilisée plus tard. Cette qualité est pour les pauvres qui voudraient conserver pour la nourriture de leurs enfants ou pour la leur propre dans un autre moment, la fécule de pommes de terre qu’ils consommeraient. 10 livres de farine de froment, le son ou les râpures de 20 livres de pommes de terre, 10 livres de pommes de terre cuites. On obtient 30 à 36 livres de pain assez tendre. La livre revient à 2 sous 9 deniers.
Quel fut le succès de ce pain ? Une coutume qui était pratiquée dans la région des Riceys vers 1868, permet de supposer que l’abbé Girardon a eu des imitateurs. Quand la ménagère faisait le pain de la maisonnée, elle ajoutait de la farine de pommes de terre à la pâte. On disait que cela conservait le pain plus frais.
Je vais vous donner maintenant quelques recettes dont je me suis régalé toute ma jeunesse chez ma marraine à La Villeneuve-au-Chêne, dont j’ai vu la « fabrication », et retrouvées dans un très vieux carnet.
Les crottes d’âne : Vous prenez un « têchon » et mettez la farine au fond. Vous faites un trou au milieu et versez dedans un grand bol de crème, en ayant soin de ne pas mettre la « caillatte » (le lait caillé tombé au fond du pot dans lequel on avait laissé mûrir la crème). Vous ajoutez du sel, des oeufs, un peu de beurre et de la levure de boulanger. Vous « touillez » avec une cuiller en bois jusqu’à ce que vous obteniez une pâte suffisamment épaisse. Vous la malaxez avec les mains et la laissez ensuite reposer pendant 1 heure ou 2. Vous étalez la pâte légère, moelleuse, vous l’étalez au rouleau et vous la coupez en losanges. Ces « crottes d’âne » sont ensuite mises à frire à grande friture de saindoux. On obtient une espèce de beignet salé, délicieux quand il est frais, mais qui se conserve très longtemps.
Pommes de terre au cul brûlé : garnir de saindoux le fond d’un pot en fonte, puis couper en fines rondelles les pommes de terre, dont on faisait, sur le saindoux, un premier lit. On coupait ensuite là-dessus : échalotes, ail et persil, on salait, on poivrait. On recommençait alors avec un lit de pommes de terre, les assaisonnements et ainsi de suite jusqu’à la ration voulue. Enfin, on ajoutait du beurre. Puis le pot était bouché et mis sur le feu. Tout ce qui était en contact avec le pot, sur le fond et sur les bords, était délicieusement grillé.
La fromagée : elle est faite de lait caillé, qui n’est pas encore mis en éclisses, battu avec du sel, du poivre, de l’échalote et des fines herbes. C’était une nourriture rafraîchissante, que les ouvriers emmenaient aux champs pendant les travaux d’été.
La galette au fromage : c’était la friandise traditionnelle offerte aux amis ou savourée en famille, surtout le dimanche ou lors de la fête patronale du village. Il faut dire qu’au début du XX° siècle, rares étaient chez nos paysans, les desserts et autres gâteries. Quand on cuisait le pain, la ménagère ajoutait à la fournée, 1 ou 2 galettes de pâte à peine différente de celle du pain, garnies de fruits ou de sucre. Mais la fête du village était l’occasion de chauffer le four (ou la cuisinière à bois) pour bien autre chose que la cuisson du pain. Chaque maîtresse de maison préparait une tournée entière de galettes : sucrettes, « tartes en cerises » ou « en prunes », mais surtout les célèbres « galettes en fromage ». La semaine précédente, la ménagère met du lait « en » présure. Le fromage obtenu est mis à égoutter dans des éclisses pour que s’échappe le « petit lait » car le « matton » doit être bien sec. Dans des pots de grès posés au frais dans l’entrée de la cave 3 à 4 jours avant, on lève sur chaque récipient une couche épaisse de belle crème jaune, onctueuse, grasse à souhait. Le jour du repas, sur la table, on verse la farine, y fait une fontaine où on fait couler du saindoux ramolli, de l’eau tiède et salée. On délaye la pâte, mélangeant les ingrédients, jusqu’à obtenir une grosse boule de pâte molle. Un linge dessus et on laisse reposer 1 heure. Pendant ce temps, la farce est préparée : dans un seau, on met les fromages bien égouttés, on les écrase à la main, puis on casse dessus plusieurs œufs. On y mêle du sucre en poudre et de la crème, on remue bien. Ensuite, on étale la pâte sur la table enfarinée avec une bouteille vide (ou un rouleau à pâtisserie), on ajoute une bonne quantité de beurre, on replie la pâte et on recommence environ 3 fois, on la met sur la tôle à tarte, et on verse dessus la farce. Après environ ½ heure de cuisson, le plat était tout doré. Elle se mangeait chaude, tiède ou froide.
La fondue : prendre du fromage blanc sec, bien égoutté pendant 4 ou 5 jours afin qu’il ne contienne plus d’eau. Dans une cocotte en fonte, on coupe un morceau de beurre. On écrase le fromage à la fourchette, on le mélange au beurre et l’on « touille » tout cela sur le feu, jusqu’à obtenir une crème assez liquide. On ajoute alors un peu de farine, pour obtenir la consistance d’une béchamel. Là-dessus, tout doucement on verse du lait. On ajoute un peu de sel, du poivre, 1 œuf, en remuant constamment. Il n’y a plus qu’à se servir, et manger en trempant son pain dedans. Il y a sans doute plus de 65 ans que je n’en ai pas savouré, mais j’en ai l’eau à la bouche rien que d'en parler.
Choux à l’huile : je n’ai jamais mangé cette recette délicieuse depuis ma jeunesse ! Dans une cocotte en fonte, on fait « frire » de l’huile, on y jette les choux épluchés, simplement coupés en 2. On les tourne un bon moment. Quand ils sont « revenus », on ferme la cocotte après avoir mis un peu de sel et de poivre, et on les laisse cuire à la vapeur.
La Gremée : j’appelle cela la bouillie pour enfants, et j’aimais en manger en guise de soupe le soir. Faire bouillir du lait sucré. Quand le lait bout, le saupoudrer de farine. Laisser cuire tout doucement de façon à ce que la farine renfle. Peut se déguster salée ou sucrée.
J’ai retrouvé une recette ancienne : « Les Greumiets » : c’était une sorte de soupe composée de petites miettes d’une pâte friable qu’on laissait tomber dans du lait en ébullition. On ajoutait du sel et du poivre. 5 minutes de cuisson suffisaient. Les greumiets étaient très connus, surtout à Savières, Arcis-sur-Aube et à Ramerupt où on disait « gremets ». Il était d’usage d’en confectionner pour régaler les teilleurs de chanvre le dernier soir de leur ouvrage. La « soirée des greumiets » se poursuivait ensuite par des danses et des jeux.
Lorsque j’aurai quelque loisir, je rechercherai d’autres recettes anciennes.
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