Il est des sympathies que le temps et la distance n’altèrent pas, et dont la résultante est une certitude absolue de pouvoir trouver, aux jours d’affliction, l’appui matériel et moral dont on a besoin. C’est cette foi qui fit se tourner les Polonais vers la France, au lendemain de la malheureuse insurrection de 1830, réprimée par la Russie, avec la cruauté que l’on sait. Sur 7.000 exilés, 5.000 adoptèrent la France comme seconde patrie, et la France n’a pas trompé leur espoir d’accueil fraternel. Retraçons le séjour des Polonais dans la ville de Troyes, d’après les documents conservés dans les archives municipales.
Nous lisons dans Journal « L’Aube » du 18 septembre 1831 : « La nouvelle de la prise de Varsovie, répandue ce matin à Troyes, a jeté le deuil et la consternation dans toutes les âmes. Partout il n’y avait qu’un cri de douleur : Malheureuse Pologne ! ». Le 4 mars 1832, le Préfet de l’Aube, suivant les directives du Ministre de l’Intérieur, prescrit au maire de Troyes Alexandre, Claude Payn, d’établir chaque mois, un état des étrangers résidant à Troyes. Le 31 mars 1833, le maire reçoit une lettre demandant des subsides, formulée par un officier polonais, le lieutenant Gorski, habitant la ville depuis 2 mois. Un relevé du 25 janvier 1834 révèle la présence de 49 réfugiés polonais. Ce nombre varie très peu : 1er juillet 1834, 52 réfugiés, 21 janvier 1836, 50, 30 avril 1839, 50, 1847, 47. Ne sont pas compris dans ces chiffres les individus absents momentanément de la ville. Le dernier état renseigne également sur la situation militaire et les occupations des réfugiés. Leurs grades et fonctions se répartissent ainsi : 1 capitaine, 1 major, 3 sous-officiers, 5 soldats, 1 magistrat, 1 aumônier, 1 étudiant. En regard de chaque nom figure la profession adoptée. L’aumônier est devenu bonnetier, les officiers sont « teneurs de livres », musiciens, peintres, dessinateurs, l’un d’eux est teinturier, ainsi que les soldats. Si tous ont choisi un métier, beaucoup sont affligés de la mention : « Sans travail, n’a de ressources que dans les subsides ». En effet, presque tous reçoivent les subsides alloués par le Gouvernement. En 1836, sur 52 réfugiés, 49 touchent l’allocation. En 1843, le nombre des subventionnés est descendu à 31, et en 1860, on n’en compte plus que 13.
Ce fut ensuite la deuxième émigration de 1863, et l’arrivée de religieuses polonaises et d'anciens officiers de l’armée polonaise du dernier soulèvement. Le Département indique 74 subventionnés le 31 décembre 1867. Au dossier figurent de nombreux de passeports gratuits, permettant aux réfugiés de voyager en France, pour leurs affaires ou leur santé, sans être inquiétés. Ces passeports sont toujours accordés. En 1848, l’un des Commissaires du Gouvernement adresse une lettre au maire de Troyes, le priant de délivrer des passeports gratuits à tous les réfugiés polonais qui en demanderont pour retourner dans leur Patrie. Indépendamment des états numériques mensuels, un contrôle nominatif fonctionne au Commissariat central. Une lettre du Préfet du 9 mars 1834, faisant suite aux instructions du Ministre de l’Intérieur et des Cultes, « invite le Maire de Troyes à faire dresser immédiatement une feuille que les réfugiés seront obligés de signer une fois par semaine ». Cette mesure excessive est rapportée le 15 mai suivant, en considération de la conduite tenue par les réfugiés. Le journal « L’Aube » écrit qu’il y eut un incident regrettable : « En remplissant le formalité de la signature, le lieutenant d’artillerie Antoine Zarski a été insulté par un agent de police. Une pétition adressée par les officiers polonais au Préfet se termine ainsi : Les soussignés viennent vous prier, Monsieur le Préfet, d’ordonner qu’à l’avenir ils ne soient plus dans la fâcheuse nécessité d’avoir de relation avec l’agent de police ci-dessus désigné. Ils croiraient déroger à leur dignité en se soumettant à un homme qui a si gravement compromis la sienne ». Communiquant cette lettre au Maire, le Préfet prescrit une enquête et l’application de mesures disciplinaires : « Le Gouvernement, en demandant que la présence des réfugiés fût constatée, n’a jamais entendu les rendre l’objet de mesures vexatoires et son intention est, au contraire, que la surveillance que lui commande sa sûreté soit exercée avec tous les ménagements qui sont dus à la malheureuse position de ces victimes des événements politiques ».
Avec la population, les rapports sont cordiaux. Il n’y eut que quelques lettres de marchands tailleurs ou d’hôteliers, signifiant les dettes contractées par des réfugiés, celles-ci ayant été réglées par retenue sur les subsides touchés par les débiteurs. Voici un certificat délivré par le maire, le 20 janvier 1834, sur l’attestation de plusieurs habitants : « Les soussignés, voulant donner à M. Martin Szamowki, magistrat polonais réfugié, un témoignage de leur estime, certifient que depuis 8 mois qu’il habite la ville de Troyes, il s’y est toujours conduit en homme d’honneur et plein de délicatesse, qu’il ne s’y est jamais occupé d’affaires politiques, ni fait aucune manifestation d’opinions quelconques, mais que reconnaissant pour les bienfaits qu’il reçoit du Gouvernement français, il remplit fidèlement les obligations auxquelles il peut être astreint sur cette terre d’asile. C’est pourquoi ils se plaisent à lui donner le présent certificat pour lui être utile au besoin ». Cette même année, le Maire accorde au lieutenant Gorski, un certificat aussi élogieux, attestant que « depuis 1 an qu’il habite cette ville, il s’est toujours fait remarquer par la régularité de sa conduite, par la délicatesse de tous ses procédés, qu’il n’a jamais prit part à aucune manifestation politique et s’est toujours contenté de la seule société des personnes bienveillantes et honorables de la ville qui ont bien voulu l’accueillir ». Le 3 mai 1838, le Commissaire de police certifie l’honorabilité du sieur Tustanowski, officier polonais. Un autre document confirme la cordialité des rapports entre Troyens et Polonais. C’est le compte-rendu rédigé par le Commissaire de police du 5 septembre 1938 : « Le 3 septembre 1838, 16 Polonais sont arrivés à Troyes, à 6 h 20 du soir. Ils ont été accueillis par le colonel de la Garde Nationale et plusieurs officiers. Une souscription, s’élevant à 202 francs a été faite par ces derniers a l’effet de leur offrir un repas qui a eu lieu à l’Hôtel du Commerce. Le 4, à 2 h de l’après-midi, ces Polonais ont quitté la ville pour se rendre à Auxon. Ils sont partis à pied de l’Hôtel de Commerce, bras dessous et dessus avec plusieurs habitants de la ville, dont quelques uns avaient revêtu l’uniforme de la Garde Nationale, et suivis par des enfants. En passant dans les faubourgs, ceux qui accompagnaient le Polonais ont chanté la Marseillaise. La conduite a été faite jusqu’à Saint-Germain où une diligence était en avant, ainsi qu’un cabriolet dans lequel étaient 4 personnes qui s’étaient chargées des rafraîchissements ».
Bien accueillis par la population, les exilés fixés à Troyes, désirent payer leur dette de reconnaissance. Le 28 janvier 1826, ils avisent le Préfet de la décision qu’ils ont prises « unanimement de donner un concert au profit des incendiés du département de l’Aube, avec le concours des artistes et amateurs choisis parmi leurs compatriotes et de faire venir de Paris, à leurs frais, un artiste distingué ». Le journal de « l’Aube » « loue, sans réserves, le choix des morceaux et le talent des interprètes ». Malgré l’exil, les artistes polonais se sont remis au travail : le Baron A. Warkulewicz a écrit un mélodrame en 3 actes « Dix mille Polonais en Prusse », puis « Triumvirat aboli ou les Polonais à Dantzig » et « Captivité des Polonais en Prusse », tous édités à Troyes. Le lieutenant Borucki a publié : « Essai sur le Cercle » et « Raisons de la décadence de la concurrence des produits de l’industrie française à l’étranger ». Un Polonais a peint un tableau représentant « L’incendie de Saint-André », qui est au Musée. Le 5 janvier 1853 est lue au Conseil Municipal , une lettre d’un réfugié polonais, M. Blizinski : « inventeur d’un nouveau modèle de moulin à vent pouvant servir de moteur pour faire monter l’eau à certaines élévations, suivant le besoin ».
Le 1er septembre 1881, les réfugiés Polonais écrivent au Maire de Troyes : « Sur l’ancien cimetière dit Clamart, se trouve un monument funéraire sur le terrain concédé par la Ville, attestant la dernière demeure de plusieurs de nos compatriotes morts sur le terre de France, après avoir combattu pour l’affranchissement de la Patrie. Ce monument a été élevé par la sympathie des patriotes troyens et la piété de leurs compatriotes, le 3 mai 1839. Voulant conserver ce triste et en même temps précieux souvenir de nos amis et préserver leurs restes mortels de la dispersion et d’anéantissement ainsi qu’ajouter les noms d’Etienne Kiewliez décédé le 10 mars 1863 et de Michel Wierzbolowiez décédé le 13 décembre 1869 et enterrés sur le même terrain dont les noms ne se trouvent pas encore inscrits sur la colonne, nous vous prions, M. le Maire de vouloir bien faire désigner la place et autoriser à transporter les restes mortels et le monument funéraire sur le nouveau cimetière de la ville ainsi que d’accorder la gratuité des frais d’exhumation ». Cette demande a reçu satisfaction au cours de la séance du Conseil Municipal du 16 septembre 1881.
Ainsi, loin de la Patrie, les exilés Polonais ont repris courage. Entourés de la sympathie générale, ils ont acquis droit de cité. Bien accueillis par la population, plusieurs ont contracté des alliances avec d’honorables familles troyennes (voir « Banquet subversif »).
L’un après l’autre les Patriotes Polonais sont morts. Les Archives municipales possèdent l’inscription gravée sur la tombe du lieutenant Baron A. Warculewicz, décédé à Troyes en 1846, « emportant avec lui le regret de mourir loin de sa Patrie ». Il reposait dans le cimetière de Clamart, où s’élevait ensuite l’école Diderot. Le cimetière de Troyes renferme un monument à la mémoire des Polonais, et, chaque année, au cours des cérémonies du Souvenir, les personnalités et les drapeaux viennent s’incliner devant l’humble stèle où sont gravés les noms des disparus. La ville possède une lettre émouvante adressée par la colonie polonaise au Maire de Troyes : « Alexandre Milewski, réfugié polonais, est mort loin de sa Patrie. Ses amis voulaient qu’un simple monument rappelât son souvenir. Ils invoquaient le concours des cœurs généreux dont les sympathies consolent et soutiennent ces pauvres exilés. Ce n’est point ici un appel aux idées politiques, c’est le malheur et la reconnaissance implorant un secours pour payer la Pierre d’un Tombeau pour graver le nom d’un Officier Polonais et celui de la France, sa seconde Patrie ».
A partir de 1918, de nombreux autres polonais viennent travailler à Troyes, principalement dans les vignes et surtout en bonneterie. Une forte immigration est relevée à partir de 1964, et nombreux sont les Polonais qui travaillent chez Michelin et Kléber Colombes.
En octobre 1924 les polonais de Troyes créent leur première organisation sous le nom de l’Union des Travailleurs Polonais qui est une filiale de l’Union Centrale des Ouvriers Polonais de Paris. En même temps, le 9 novembre 1924, un Orchestre Polonais est créé, suivi par l’ouverture d’une Bibliothèque Polonaise. En 1926, l’Union des Travailleurs Polonais de Troyes prend le nom de l’Association des Ouvriers Polonais Jozef Pilsudski et se développe en créant le Cercle Théâtral qui participe avec succès aux nombreux concours de théâtres amateurs à Paris. Dès 1933, l'association organise des cours du soir de français et de polonais pour adultes. Mis à part les activités culturelles l’Association aide financièrement des personnes âgées, seules, malades ou sans travail. En 1963, le groupe folklorique de « L'Aube Intellectuelle Polonaise » remporte un 1er prix de folklore à Paris, pour la seconde fois. Entre temps l’association change à nouveau de nom pour devenir l’Association Maréchal Jozef Pilsudski et pour prendre enfin en 1974 son nom actuel : l’Association Culturelle Polonaise de Troyes (A.C.P).
Le 6 juin 1970, le jumelage avec la ville polonaise de Zielona Gora est solennellement proclamé par MM. Terré et Mamak, maires des 2 villes, lors de la présence d’une délégation zieleno gorienne à Troyes.
En 2014, un avocat troyen Jean-Baptiste Rougane de Chanteloup, a été nommé Consul honoraire de la Pologne, pour une durée de 5 années. Ce titre lui a été accordé car le département compte une importante communauté polonaise. A cette occasion, le 16 juin François Baroin député-Maire de Troyes, a accueilli Tomasz Orlowski, ambassadeur de la République de Pologne en France. Le consul, a la charge d’accompagner et d’aider administrativement les ressortissants polonais de l’Aube. Le nouveau Consul honoraire a été nommé par le ministère des Affaires étrangères de Pologne car cette nouvelle responsabilité était l’aboutissement de plus de trente années de relations avec ce pays, où il est retourné chaque année, se faisant de nombreuses relations au plus haut niveau.
Le 15 mai 2015, pour le centenaire de la République Polonaise, le Consul de Pologne à Troyes, a organisé une fête à l’Hôtel de Ville de Troyes, avec la présence de la Consule Générale de France, et en offrant un très beau concert, puis une réception à la Polonaise !
Consul honoraire : Jean Baptiste Rougane de Chanteloup, 2, rue Guivet, 10000 Troyes. Tel. : 08.99.87.99.22 : Fax : +33 (3) 25 43 40 36 konsulatrp.troyes@orange.fr
Mon grand-père et un de mes grands oncles ont fui avec les nationalistes polonais la répression russe de 1864, et sont arrivés à Troyes. Pour mes autres grands oncles, l’un est resté en Pologne, deux ont émigré en Allemagne et un en Angleterre.
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