Après la lecture de ce chapitre, vous pourrez vous étonner du calme de nos ancêtres, qui, il y a 113 ans, auraient pu avoir leurs « gilets jaunes », et même plus ! !
En 1906, la Chambre de Commerce de Troyes pense à créer un « enseignement professionnel », qui n’existait pas encore en France, mais n’était pas d’accord avec la loi projetée visant cette organisation.
Cette loi, dans l’esprit de ses auteurs, était appelée à remédier au mal qui menace la prospérité industrielle et commerciale. Suite aux lois des 2 novembre 1892 et 30 mars 1900, les ouvriers adultes, employés dans un atelier où sont occupés des femmes et des enfants, sont astreints à observer le même temps de présence, c’est-à-dire à ne pas faire plus de 10 heures de travail par jour. Pour échapper à cette prescription, pour retrouver les 11 heures et souvent les 12 que leur donnait avant la loi cette catégorie d’ouvriers, nombre d’industriels ont séparé les enfants des hommes, ou pis encore, les ont congédiés, le plus souvent définitivement, parfois temporairement, pour permettre aux adultes, en cas de commandes pressées, de revenir à la journée de 12 heures. Toutes ces mesures ont désorganisé ou fait disparaître l’apprentissage. Puisque l’enfant ne pouvait plus recevoir l’instruction professionnelle à l’atelier, il fallait lui donner au dehors, dans des cours spéciaux.
Le Ministre du Commerce Doumergue propose de réduire légalement à 10 heures la durée maxima de la journée de l’ouvrier adulte, il rend de nouveau possibles sa présence dans un même atelier et celle de l’enfant, il permet de faire revivre l’apprentissage, mais à quel prix ?
Par une atteinte à la liberté, en imposant à l’homme, en possession de sa pleine et entière liberté, l’obligation de ne pas travailler autant qu’il lui plait. Nous nous élevons contre, nous ne voulons envisager l’enseignement professionnel, comme le seul moyen proposé à ce jour et discutable de remédier à la crise de l’apprentissage.
Les communes devront obligatoirement, organiser des cours professionnels, quand ces cours auront été reconnus nécessaires pour des professions industrielles ou commerciales.
L’organisation et le fonctionnement des cours, l’établissement des programmes, seront confiés, dans chaque commune, à une Commission locale professionnelle composée de membres de droit : Conseillers municipaux et Conseillers Prud’hommes, élus par leurs collègues, inspecteur de l’enseignement technique et Inspecteurs du Travail, puis membres désignés par le Préfet : fonctionnaires de l’enseignement, industriels et commerçants, ouvriers et employés, anciens ou en exercice, résidant dans la commune.
Les cours seront essentiellement gratuits. Les dépenses d’organisation et de fonctionnement des cours seront à la charge des communes, avec subvention possible de l’Etat.
Les cours professionnels seront obligatoires, dès qu’ils auront été organisés, pour les jeunes gens et jeunes filles, âgés de moins de 18 ans, qui sont employés dans le commerce et dans l’industrie, pendant une durée de 1 à 3 ans, jusqu’à ce qu’ils aient obtenu un certificat d’aptitude.
Les incapables ou reconnus tels, au bout au moins 1 an d’assiduité aux cours, pourront obtenir une dispense pour les 2 années suivantes.
Le temps de présence aux cours sera pris sur la durée de la journée légale de travail, sans que ce temps puisse excéder 2 heures par jour et 8 heures par semaine.
Le patron et les parents de l’enfant seront responsables de l’assiduité de ce dernier. Des sanctions allant du simple affichage à la porte de la mairie du nom du délinquant, à la comparution en simple police avec amende de 5 à 15 frs pour chaque cas, puis, s’il y a récidive, à la comparution en police correctionnelle avec amende de 16 à 100 frs, sont prévues contre les auteurs responsables de manques d’assiduité.
L’industriel qui aura contrevenu à la loi perdra la faculté de former des apprentis par contrat.
L’organisation des cours professionnels obligatoires devra être achevée dans un délai maximum de 5 années après la promulgation de la loi.
Mais la Chambre de Commerce se dit être en droit d’en faire la critique : « Les cours projetés apporteront-ils le remède qu’on peut souhaiter aux difficultés survenues dans l’apprentissage ? L’industrie pourra-t-elle, avec eux, voir se former ses apprentis d’autrefois ? La réponse ne saurait faire doute pour personne : elle doit être franchement négative. Rien ne peut remplacer l’instruction professionnelle de l’atelier, rien ne peut suppléer le travail fait en commun par l’ouvrier habile et par l’aide qui finira par l’égaler un jour. En revanche, et tout le monde est aussi d’accord sur ce point, ces mêmes cours devront élever le niveau intellectuel d’un certain nombre. Ils devront leur fournir des notions qui pourront leur être profitables dans l’exercice de leurs professions, mais ces notions seront bien plus théoriques que pratiques, elles seront d’ordre général et ne seront acquises, pour ces raisons, que par les plus intelligents, par une certaine élite qui sera toujours et forcément restreinte. On peut se demander, dès lors, si, pour ces quelques uns, il est juste de frapper la masse des frais qui incomberont à une telle organisation et à son fonctionnement. Pour échapper à tous ces ennuis, à toutes ces tracasseries, le patron, s’il ne peut se passer de leur concours, il congédiera les enfants, s’il en a encore, en tout cas, après les avoir congédiés, il ne les reprendra pas.
A-t-on songé aux industries où la main-d’œuvre de l’ouvrier de 13 à 18 ans est absolument nécessaire à l’adulte, comme la filature, la bonneterie ? Ces industries, par répercussion de la loi de 1900, ont déjà dû réduire à 10 heures le travail des adultes, et leur production a diminué d’autant. Va-t-on, avec la loi projetée, leur faire perdre encore 8 heures par semaine, soit près d’un 1/8 de leur rendement ?
Pour conclure, nous dirons : nous n’accepterions les cours professionnels projetés, avec leur organisation, leur fonctionnement, comme moyen d’élever le niveau intellectuel d’un certain nombre, comme moyen de fournir à ceux-là des notions dont ils devront profiter dans l’exercice de leur profession, mais nous contestons qu’on puisse obtenir des résultats vraiment pratiques au point de vue de la formation des apprentis en tant qu’ouvriers de métiers, nous repoussons de façons absolue le principe de l’obligation visant la fréquentation, nous demandons, en revanche, qu’on mette à l’étude les moyens d’encourager la fréquentation libre.
Tant qu’un effort analogue n’aura pas été fait dans les autres pays, l’industrie française ne saurait diminuer en rien son temps de travail ! ».
113 ans après, nous en sommes toujours au même point en Europe !
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