La vie à Troyes



Les Charlatans


Il y a plus de 600 ans, du XV° au XX° siècle, Troyes a compté énormément de charlatans. Je ne citerai que quelques cas, les plus instructifs.

 

En 1460, Simon Vannier, meunier, avoue que Jehan Lebedu, qui se dit médecin et maître en diverses sciences, lui dit que " s’il mettait une certaine herbe(qu’il lui a vendue), dans la main droite de sa femme, il saurait s’il était cocu ".

 

En 1494, Nicolas Ehrart est expulsé de Troyes. Il dit avoir appris l’art de guérir à la cour du roi, il examine les urines et prescrit des médicaments.

  

Jean Marnot, déjà poursuivi pour bigamie, est condamné en 1487 et en 1515, pour " pratiques de superstitions et d’illusions ", car il s’est mêlé de guérir des malades atteints de syphilis. Il a soigné pour cette maladie un prêtre de Dampierre, la servante d’un autre prêtre et d’autres encore : " Il prescrivit 3 pots de breuvage, mit un emplâtre sur l’estomac composé de froment, d’œufs et de vinaigre ".

 

A partir de 1539, tous forains et étrangers, vendant des drogues et médecines, sont soumis à des visites dans les 24 heures de leur arrivée à Troyes, par des médecins et apothicaires. Les hôteliers sont tenus de les avertir, sous peine d’amende. Ainsi sont expulsés ou emprisonnés de très nombreuses personnes qui exercent illégalement l’art de chirurgie sans capacités connues.

Les inciseurs ambulants cherchent à attirer l’attention par un costume extravagant. Leur grande spécialité est la réduction des hernies. Souvent ils enlèvent le testicule, " car les chastreux sont fort portés à amputer les couillons desquels ils sont fort friands pour le lucre qu’il en reçoivent ". Ils incisent, en outre, les fistules extraient les pierres de la vessie par incision au périnée, opèrent les cataractes, font des trépanations… toutes ces interventions impensables à l’époque. Sont ainsi condamnés de nombreux empiriques prétendant traiter toutes les affections par les minéraux. Ils quittent la ville de Troyes, après avoir eu leurs instruments saisis.

 

Le XVIII° siècle est caractérisé par l’extraordinaire développement d’une médecine exercée par des opérateurs et vendeurs de drogues.

 

En 1713, Claude Lagesse est condamné à " fermer boutique, à ne faire aucune fonction de l’art de chirurgie, et pour l’avoir fait, est condamné à 50 livres d’amende, aux dommages et intérêts, et que ses outils soient saisis… ".

 

Les Chirurgiens de Troyes poursuivent en 1733 Nicolas Morel qui exerce la chirurgie sans se conformer aux règlements et demandent à la Police " de l’emprisonner à ses risques et périls et fortune, et à l’appréhender dans les maisons où il se trouvera pratiquer la chirurgie et la barberie ".

 

Un Suisse se disant premier dentiste de Sa Majesté le Roi de Sardaigne, arrive à Troyes en 1758. Il se qualifie de célèbre docteur en médecine, converti à la foi catholique, élève du fameux Horace, célèbre médecin à la cour d’Angleterre. Il se retire spontanément !

 

Taylor, chirurgien oculiste anglais, en 1766, s’établit au Petit Louvre. Il est surnommé " Tin l’Or ", car il se fait payer " au poids de l’or ". Il donne à l’Hôtel de ville, devant une salle comble une conférence sur les maladies des yeux. Il expose les instruments de chirurgie, des sous verre où sont peints des yeux malades (300 affections différentes), plusieurs gobelets contenant des yeux d’animaux. " Il entame son discours, que nombre de sots admirent, dans un baragouinage qui n’est ni français, ni latin, ni anglais, ni d’aucun idiome connu, mais composé de tous ces langages ensemble. Un de ses gens promène ensuite devant l’assemblée, quelques uns de ces yeux disséqués et coupés de différentes manières pour en montrer les membranes et liqueurs ». Il est rapidement obligé de quitter Troyes.

 

Profitant du désordre de la Révolution, les charlatans multiplient les abus. Il en existe un à Troyes, qui a un culot monstre. Gosset arrive en 1791, et dit avoir suivi les cours des plus célèbres professeurs du siècle. Il se ménage les bonnes grâces des apothicaires et des curés, car il ne fournit pas lui-même les produits nécessaires à la composition de ses remèdes, que le malade achètera chez son apothicaire. Les curés, eux, peuvent " lui faire passer 12 pauvres réduits au sort pitoyable de la mendicité, moyennant un certificat sur du papier marqué qui prouve véritablement leur misère ", et Gosset leur donnera pain, viande et médicaments.

 

Voilà son prospectus : "  Je guéris toutes les maladies des yeux en général, je guéris la cataracte dans peu de temps par une application d’une nouvelle invention. Je fais l’opération par extraction… Je traite et guéris l’hernie ou descente de boyau de l’un et l’autre sexe. Je guéris les écrouelles, les fistules à l’anus. Je travaille aux ruptures, fractures, dislocations, fais partir toute teigne maligne sans faire tomber les cheveux, ni violenter le cerveau. Je guéris l’épilepsie, dit mal caduc. Je guéris la jaunisse. Je fais venir les menstrues quand la nature est ingrate. Je connais et guéris toutes les maladies vénériennes, ainsi que les hydropisies non formées. Je guéris les descentes de matrices, d’effort ou par accouchement. Je fais partir toutes sortes de fièvres malignes en moins de 6 jours, par un remède très facile à prendre. Je guéris les hémorroïdes internes et externes. Je guéris le pourpre ainsi que le flux de sang hépatique ou diarrhée fût-elle de 10 ans. J’ai un remède pour ceux qui perdent leurs urines involontairement. Je guéris la surdité, pourvu qu’elle ne vienne pas de naissance, et en 3 minutes de temps. Je guéris les maux de cœur, d’estomac, les faiblesses, les coliques, les ulcères de reins, de la matrice, du poumon, je guéris la fièvre lente. J’ai un remède pour calmer les tranchées, arrêter les pertes de sang accidentelles, guérir les gouttes, les rhumatismes, les vertiges, les vapeurs hypocondriaques, les syncopes des apoplexies sérieuses et sanguines, les crachements de sang, les coliques. Je guéris aussi les érésipèles ". Il détaille la composition de sa liqueur salvatrice, une soixantaine de substances : charbon béni, corne de cerf, poivre, antimoine diaphorétique, extrait catholique, eau bénite de Rulandus, mastic, baies de genièvres…

 

Dès 1793, à Troyes, un arrêté en appelle " à la vigilance des magistrats du peuple sur les inepties grossières que leur ignorance fait commettre à certains citoyens sans aveu qui se mêlent de médecine ". Il demande en outre " à ce que les charlatans soient soumis à un examen public qui serait la vraie pierre de touche de leurs talents, car il faut montrer au peuple le danger des charlatans ".

 

En 1798, la municipalité indique que Jean Ragey ne peut exercer, et est de plus de mœurs suspectes. Ce charlatan se dit consulteur d’urines, et a une façon bien simple d’abuser les clients sur ses dons de devin. Il se cache dans un placard. Le patient, en arrivant, raconte son histoire à la femme du charlatan. Celui-ci sort alors de sa cachette, parfaitement au courant de l’histoire de la maladie !!

 

En 1804, Noël demande l’autorisation de vendre un élixir qui guérit les maux de dents en 10 minutes. Cet élixir, analysé, se révèle être de l’acide sulfurique aromatisé. L’autorisation est évidemment refusée.

 

Jean Traber arrive à Troyes en 1825. Il se dit le fils d’un célèbre médecin, et prétend avoir trouvé le moyen " de rendre l’ouïe à ceux qui en sont privés ". Il vend, accompagné de valets en livrée jouant des fanfares sur les marchés, des vulnéraires suisses et un opiat contre la surdité. Rapidement considéré comme charlatan, il est chassé de la ville.

 

En 1831, le sieur Lagu, coiffeur vend un remède pour préserver du choléra. Les médecins et pharmaciens examinent le remède, qui n’est qu’une eau aromatisée, destinée à humecter le mouchoir et à être respirée.

 

Un troyen, Jean-Baptiste Thoyer, écrit au Maire de Troyes, en 1837, pour lui demander l’autorisation de vendre " un remède remarquable pour le mal des yeux, qui guérit en moins de 5 minutes, sans souffrances et sans douleurs, et appelé Eau de Troyes ". Après examen, l’autorisation est refusée.

 

Une personnalité éclipse celle de tous les autres empiriques du XIX° siècle : Valois de Saint Remy, curé de Vauchassis. On vient de toutes les régions consulter ce charlatan de grande envergure précurseur de nos " grands " guérisseurs actuels. Descendant en ligne directe de Henri II, c’est un cousin de la comtesse de Luz de Saint Remy de Valois, triste héroïne de l’affaire du collier de la reine. Ce charlatan de grande envergure dit tenir ses dons du ciel, car il n’a rien appris en médecine, et est d’autant plus dangereux qu’il passe pour un saint homme. Il guérit tous les maux et soigne gratis. Sa renommée s’étend rapidement, il a aussi des adversaires mais personne n’ose l’attaquer publiquement.

 

L’anarchie persiste jusqu’en 1803 où est promulguée une loi décidant que seuls pourraient exercer l’art de guérir :

les docteurs en médecine,

les docteurs en chirurgie,

les officiers de santé nommés après examen probatoire devant un jury départemental, et autorisés à exercer à la campagne,

les sages-femmes.

Mon grand père, premier véritable dentiste aubois, médaille d’or de dents émaillées américaines, fait placarder en 1880 une affiche où l’on peut lire : " Dentiste Américain, des Collèges, Etablissements religieux, pensionnats… J’ai l’honneur de prévenir toutes les personnes ayant besoin de mes services, de ne pas me confondre avec les vulgaires charlatans et empiriques, qui se servent souvent de titres pompeux et mensongers, afin d’abuser de la clientèle…  Toutes mes opérations sont faites sans douleurs, excepté les extractions. Cependant, grâce à des connaissances approfondies du système dentaire, je puis les garantir non sans douleur, comme le disent beaucoup de charlatans, mais presque sans souffrance. De nombreuses attestations en font foi…"

 

En 2011, le charlatanisme n’est pas mort. L’activité des illégaux a pris un autre aspect : ils s’intitulent guérisseurs et l’on peut trouver parmi eux, les mêmes charlatans qu’autrefois, qui prétendent guérir, mais aussi quelques rebouteurs, magnétiseurs, radiesthésistes, chiropracteurs malhonnêtes.

 

Au mois de juin 2011, le gouvernement met en garde devant la recrudescence des gourous qui disent vous guérir, vous faisant arrêter le traitement de vos médecins et vous condamnant à une mort certaine !!

  

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