« Nous aussi, nous voulons un marché à notre porte ! »
Pendant que les poutrelles de fer se rassemblaient sur la place de l’Ancien Collège Pithou pour monter un marché couvert monumental, une sombre jalousie animait le Quartier-Bas.
« Et nous ? » demandaient les ménagères.
« Nous sommes les parents pauvres ! », répondaient les autres,
Et tous de conclure : « On ne s’occupe jamais de nous ».
Dès lors, la ville était coupée en deux.
La municipalité comprit bien vite qu’il fallait accorder une compensation à la multitude au-delà du canal.
Un projet global fut déposé. Il portait sur un « grand » et un « petit marché » sans les dissocier.
Le petit marché était celui de Saint-Nizier. Ce projet signé Person, qui l’envisageait en face de la vieille église, ne résista pas aux obstacles de la guerre de 1870-1871. Puis, pendant que le « grand » achevait de se construire, on ne parlait plus du second, et même on objectait : « Ce n’est pas le moment ». Cependant, il fallut bien y repenser. Les promesses ne pouvaient rester en l’air. C’est alors que l’architecte Bailly fut invité à présenter un autre projet.
Les inscriptions des futurs marchands avaient été sollicitées. Il s’en présenta 20 seulement. Ce n’était pas de l’empressement !
Evidemment ce marché ne pouvait prétendre à une grande importance. Surtout, dans l’esprit de ces bâtisseurs, il ne devait pas concurrencer celui de la « Ville Haute ». Tout d’abord, on décida qu’aucun aménagement ne permettrait la vente au dehors. Et cette vente serait limitée chaque jour « à 2 heures de la matinée ». Un conseiller proposa même de ne rien construire. « Il serait suffisant, dit-il, de se contenter d’abris provisoires comme il en existait autrefois sur la place des boucheries ». Cette proposition anti-électorale, fut immédiatement enterrée.
Le 27 juin 1873, une commission se réunissait pour examiner les plans et devis. A la vérité, ils n’étaient guère luxueux. C’était une halle sous l’apparence d’un grand bâtiment, avec 2 pignons à claire-voie. Sa superficie était de 511 m², les murs recouverts de planches ou de crépis, et la couverture de tuiles mécaniques. On ne pouvait guère faire moins !
Il ne s’agissait pas d’un édifice, mais d’une vulgaire remise. Mais, il invoquait une présence utile. En dehors du marché couvert, tous les marchés de la ville étaient interdits, sauf Saint-Nizier, qui semblait dès lors, jouir d’un semi-monopole. Cependant, peu à peu, les clients s’en détournaient, pour franchir la distance les séparant du Grand Marché, mieux approvisionné.
Alors, le « Petit Marché », n’eut plus qu’à se reconvertir.
Dans une ville où les salles ne se développaient pas à la cadence des sociétés aptes à les utiliser, le « Petit Marché » ne tarda pas à trouver des affectations. Il accepta, sans discuter, toutes sortes d’usages. On y installa une scène de théâtre. On y joua aussi bien au tennis de table, qu’on y dansa les polkas polonaises. La gymnastique s’y accomplit avec entrain. En période électorale, toujours agitée en ce quartier, les réunions publiques et contradictoires y trouvaient asile sans que l’on éprouve trop de crainte pour le mobilier, assurément sommaire.
Ce quartier délaissé cultivait sa rancœur, en affichant un particularisme frondeur. Les pauvres habitants de la rue de Nerveaux (rue Boucher-de-Perthes), qui ne savaient ni lire n’y écrire, se servaient uniquement d’une langue parlée. C’était le patois troyen à l’état pur. Grâce à eux, nombre de termes ont été conservés.
Troyes se prêtait admirablement à cette division bi partite. Le Canal de la Haute Seine constituait une frontière !
Cependant, des signes d’unification persistaient.
Le « Petit Marché » disparu, on ne parla plus du « Grand », il devint le « Marché Couvert ».
Quant au « Quartier Bas », il s’anoblit : il est le quartier qui annonce Troyes au loin, avec sa Tour de la cathédrale, c’est lui qui possède le stade et la salle omni sport où, à chaque compétition, les gens se précipitent par milliers…
Le vieux bâtiment du « Petit Marché de Saint-Nizier », fut démoli en 1982.
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