Il est très intéressant, très instructif, très amusant de raconter l’histoire étonnante de cette rue.
Je ne peux mieux faire que de reprendre l’article de Claude Bérisé de l’Académie troyenne d’études cartophiles écrit en 1992, où il reproduit les actes notariés du 3 juin 1890.
<< Vous remarquerez sur le plan guide ci-dessous, que la rue Emile Gauthier débouche en un endroit qui se situe environ au tiers de la longueur totale de la Villa Rothier.
Au début du XIX° siècle, la rue Emile Gauthier portait le nom de rue de la Corderie. Une fabrique de cordages occupait une bonne partie de cette rue. Le magasin de « Cordes, Ficelles et Filasses », qui se trouvait aux numéros 17 et 19 de la rue du Beffroi (rue du Colonel Driant) appartenait à un certain M. Rothier. Ce magasin, qui était à l’enseigne des « Corderies de l’Est » jusqu’en 1935, fut repris par « Les Corderies et Ficelleries de Normandie » à partir de 1933. C’est le lien avec M. Emile Rothier, propriétaire des terrains qui donneront naissance à la villa du même nom.
La rue de la Corderie fait 8 mètres de largeur et, du fait de l’activité de cette petite industrie cordelière, elle devait connaître une circulation et une animation importantes. Emile Rothier pensa que cet état de fait risquait de nuire à la vente de ses parcelles de terrain. Il fit donc ajouter un paragraphe dans les « conditions particulières » qui accompagnaient les actes de vente. Il était prévu en effet que, parmi les usagers de la rue Emile Gauthier, seuls les piétons pourraient regagner la rue Voltaire en passant par le portail (et à la condition expresse « qu’ils ne s’y arrêtent et n’y séjournent… »).
Vous remarquerez que la rue Emile Gauthier est reliée à la rue Benoît Malon par une voie qui porte le nom de « rue Elisa ». Cette rue Elisa est donc très proche des ateliers de la corderie. Mademoiselle Elisa Rothier, sœur de Emile Rothier, était copropriétaire des terrains qui furent vendus en 1890. Cette famille détenait également le magasin de la rue du Beffroi et la fabrique de cordages qui alimentait ce magasin.
Nous connaissons cette rue très particulière, à la
limite entre Troyes et Sainte-Savine.
Perpendiculaire à la rue Voltaire, elle débute par un portail monumental surmonté de pièces
d’habitations. Le fronton triangulaire de ce porche exhibe un monogramme de bonnes dimensions, laissant apparaître les lettres
E et R entrelacées. Il s’agit des initiales de M. Emile Rothier,
le propriétaire des lieux en 1890. Sa sœur
Elisa possédait également une partie de l’immense terrain situé derrière le porche, terrain qui empiétait sur le territoire de Sainte-Savine. Le frère et la sœur qui habitaient à
Neuilly-sur-Seine, décidèrent de vendre ce terrain pour créer ce que l’on nommerait maintenant, un lotissement. Les minutes notariales concernant cette vente comportaient des conditions
tatillonnes et extravagantes. Les actes ont été établis par Me Alfred Nicolas, notaire rue Claude Huez, le 3 juin 1890 : Les côtés de la rue à créer devront être alignés sur les socles des assises
recevant les grilles qui existent déjà. Cette rue ira de la rue Voltaire à la rue Rothier et sa largeur sera de 6 mètres. Les acquéreurs de parcelles de terrain ne pourront ouvrir des passages
reliant la rue « à d’autres propriétés que les terrains présentement mis en vente ». La rue sera close
à chacune de ses extrémités par des grilles en fer qui seront posées par les vendeurs. Ces grilles pourront être fermées à clef du
1er octobre au 1er avril de 7 h du soir à 6 h du matin. Chaque acquéreur aura donc le
droit de demander aux vendeurs une clef de chacune de ces grilles, à ses frais. Seules les voitures suspendues
pourront franchir le portail de la rue Voltaire. Les voitures non suspendues ne pourront arriver et repartir que par la rue Rothier.
L’éclairage de la totalité de la rue sera supporté « à frais communs » par tous les intéressés, au prorata de la superficie de leur propriété. Chaque propriétaire devra faire établir devant sa propriété, à ses frais, un trottoir avec un caniveau en pierre dure non gélive, dans les 3 mois qui
suivent l’acquisition. Les gargouilles traversant le trottoir et conduisant les eaux pluviales et « ménagères » dans le caniveau seront en fonte et du modèle employé sur les voies
publiques de Troyes. La rue devra être entretenue « à frais communs », au prorata de la superficie de chaque propriété. Elle devra toujours être libre à la circulation et ne sera jamais obstruée par des matériaux et
« embarras quelconques ». Ne seront construits que des bâtiments à usage d’habitation
« bourgeoise ». L’ensemble ne devra comporter ni
commerce ni industrie. Cette clause est de rigueur pendant 50 ans, à partir du 1er juillet 1890. Les maisons devront présenter un retrait d’au moins 2 mètres par rapport à l’alignement de la rue. Elles
auront un maximum de 10 mètres de hauteur. Chaque acquéreur
aura un délai de 3 mois pour faire établir une clôture devant sa propriété. Il devra pendre pour modèle les clôtures qui existent déjà et qui ont été établies par le vendeur. Le muret comportera
des bahuts en pierre dure, sur de solides fondations en béton. Les grilles de fer qui seront scellées sur le muret seront « aux formes, dimensions et ornementations », conformes à
celles qui existent déjà. La hauteur imposée pour cette grille est de 1,55 mètre. Un pilier en briques, de 45 cm sur 35 cm, sera établi dans l’axe de la limite
de chaque propriété, à frais communs entre les voisins. Le corps de ce pilier sera construit en briques laminées de Montiéramey « jointées dans la forme saillante » en grès
blanc. En haut de chaque pilier, on placera obligatoirement un vase en fonte « un peu plat », du modèle de ceux déjà en place. Le mur de séparation entre chaque propriété sera construit en briques. Il aura 2 mètres de hauteur et
11 cm d’épaisseur. Le socle sera en pierre dure de Chatillon-sur-Seine. Le mur de séparation sera établi et entretenu à frais communs entre les voisins. M. Emile Rothier et Mlle Elisa Rothier
conserveront un droit de passage à pied et en voiture dans « la dite rue, expressément et pour toujours », pour eux-mêmes et pour leurs successeurs dans les immeubles qu’ils possèdent
et possèderont à proximité, ainsi que pour toutes les personnes auxquelles il leur plaira de conférer le même passage. M. Emile Rothier et Mlle Elisa Rothier se réservent le droit d’ouvrir
transversalement d’autres rues aboutissant à la rue principale. Chaque riverain n’aura qu’un simple droit de
circulation sous le portail de la rue Voltaire. Il lui sera formellement interdit de s’arrêter et d’y « séjourner ». >>
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