La vie à Troyes



Troyes vu par Louis Ulbach


Bd Gambetta
Bd Gambetta

Louis Bertrand, historien, membre de l’Académie Française, a mis en l’exaltant, l’accent sur la marque nationale de notre héritage d’art et de monuments.

 

Or, voici un texte de 1853, d’une autre humeur et d’un autre ton.

 

Il a pour auteur notre troyen Louis Ulbach, journaliste, romancier et auteur dramatique (voir le chapitre), et est tiré d’une nouvelle intitulée « Argine Picquet », du nom de la vieille demoiselle dont il raconte l’histoire et peint le caractère singulier, et fournit comme cadre la ville de Troyes.

 

« La ville de Troyes, chef-lieu du département de l’Aube, ancienne capitale du comté de Champagne, satisfait à toutes les conditions nauséabondes qui font de la province un lieu d’exil. La trivialité de son aspect, l’activité pesante qui absorbe ses habitants, tout convie à une somnolence sans rêve. Les jolies promenades ne manquent pas, mais elles ne sont ni assez fréquentées pour aider à l’échange des pensées, ni assez désertes pour qu’on puisse y rêver seul et à l’aise.

 

Troyes était, il y a une quinzaine d’années, une ville obscure et sale, encombrée de constructions chancelantes et vermoulues. On a démoli les murs, élargi les rues, et, sous prétexte de canal, établi au centre une grenouillère qui donne l’illusion d’un port.

 

Troyes n’est plus aussi laid, mais en revanche, il est commun, et les constructions modernes viennent contrarier, par les couleurs criardes d’un badigeon récent, le ton vénérable des anciennes maisons.

 

Cette capitale de la Champagne paraît avoir eu, de tout temps, la réputation que je revendique aujourd’hui pour elle, et les anciens comtes, qui l’honoraient comme leur ville principale, se gardaient bien de l’habiter. Thibault, faiseur de vers, s’y fut senti mal à l’aise, et Provins cette contrefaçon champenoise de Jérusalem, que les croisés saluaient au retour de leurs expéditions, comme un souvenir de la ville sainte, Provins, avec ses roses, sa montagne et son aspect pittoresque, était la résidence préférée de ces spirituels suzerains.

 

Que penser, en effet, d’une capitale dont on a pu sérieusement et plausiblement contester l’authenticité ?

 

Troyes avait gardé peu de Reims, de Châlons, ou de Provins, elle avait été la capitale de la Champagne. Troyes a pulvérisé dans les in-folio (feuille qui est pliée en 2, comprenant donc 2 feuillets ou 4 pages) les contradicteurs, mais sa victoire n’a servi qu’à faire ressortir davantage son indigence de souvenirs féodaux et d’évocations poétiques.

 

Troyes a un théâtre, mais on y va le moins possible, et un proverbe local assure que les acteurs y débarquent en escarpins, et s’en vont en sabots. Il a aussi une société de belles-lettres et d’agriculture fort décente, qui ne fait rien tant que de parler d’elle. Voilà pour la vie intellectuelle.

 

Quant aux Troyens, je ne vous en parlerai pas, par discrétion de Champenois. Il y aurait trop d’humilité à en dire du mal, trop de vanité à en dire du bien. Mon sarcasme ressemblerait à un suicide, mon éloge serait de l’égoïsme. Qu’il suffise de savoir que le plus grand nombre semble assez content de son sort, et que j’aurai, sans aucun doute, grand tort à ses yeux de confesser l’ennui du sol natal.

 

Pendant un séjour forcé de 4 années dans cette température stupéfiante, je n’entretins en moi de chaleur et de mouvement que par des promenades fréquentes et que par une gymnastique, d’ailleurs obligée, de mon esprit.

 

A Paris, le journalisme use l’imagination, en province, au contraire, ce piétinement continuel de la réflexion garantit de l’ankylose.

 

Dans mes excursions quotidiennes sur le mail, la promenade par excellence, je m’étais habitué à compter les arbres, les bancs, tous les incidents de terrain. Je crois que j’aurais fini par compter les grains de sable, tant il y a de force dans l’ennui. Les bonnes d’enfants, les vieux rentiers, les oisifs, en assez petit nombre, qui venaient animer la promenade m’étaient connus. Je les retrouvais aux mêmes heures, accomplissant le même nombre de tours, s’arrêtant aux mêmes endroits, s’asseyant sur les mêmes bancs, s’acquittant enfin, avec une admirable régularité, des fonctions automatiques dont se compose la vie de province ».


Sur le bandeau du  bas de chaque page, vous cliquez sur "Plan du site", qui est la table des matières, et vous choisissez le chapitre qui vous intéresse. 

Cliquez sur "Nouveaux chapitres"  vous accédez aux dernières pages mises en ligne.


Rechercher sur le site :