La vie à Troyes



Les Vieilles enseignes de Troyes


 

L’enseigne figure parmi les traits caractéristiques de la physionomie des villes du XIII° au XVIII° siècle.

 

         Au-dessus d’un grand nombre de portes apparaissent les enseignes, consistant en statues, en bas-reliefs, en peintures fixées contre les murs et le plus souvent en tableaux aux contours découpés, attachés à des potences en fer forgé ou de bois, et cherchant le plus possible à attirer les regards par la forme, leur devise et leur sujet.

 

         Ce n’est guère qu’au XIV° siècle que nous les trouvons en grand nombre. A l’époque où les grandes foires de Champagne étaient dans toute leur vogue, elles se multiplièrent pour indiquer aux étrangers les hôtelleries où ils devaient loger, les boutiques des marchands avec qui ils étaient en relation, même les maisons de riches bourgeois qui recevaient des hôtes. Les enseignes ne donnaient pas seulement un nom et un caractère distinctif à la maison, elles fournirent assez fréquemment une désignation à la rue dans laquelle se trouvait la plus apparente d’entre elles.

 

         Les rues n’ont pas été dénommées d’une manière précise, par des écriteaux fixés à leurs extrémités, avant la mairie du comte de Mesgrigny, en 1766. L’usage leur avait cependant assigné une dénomination, et celle-ci était souvent déterminée par leur situation, leur destination ou la profession de ceux qui les habitaient. Mais à partir du XIV° siècle, elle tira souvent son origine d’une des enseignes les plus apparentes. C’était d’ordinaire celle de la maison qui formait le coin de la principale artère. Elle attirait le plus les regards et par conséquent servait le mieux d’indication aux passants.

 

         Comme, surtout avant l’invention de l’imprimerie, une grande partie de la population ne savait pas lire, l’image était plus facile à reconnaître que ne l’auraient été les lettres d’un écriteau.

 

         Beaucoup de ces noms d’enseignes ont persisté dans la désignation des rues jusqu’au XIX° siècle, où la plupart ont été remplacés par des noms d’hommes plus ou moins célèbres.

 

         Avant les temps modernes, les noms des rues pouvaient changer comme ceux des principales enseignes. Quelques exemples : la rue de la Trinité a porté successivement les noms du Porcelet et du Cerf, la rue de Larrivey, après avoir reçu les noms de la Friperie et de la Charbonnerie, a été appelée alternativement la Tête noire, l’Ecritoire, la Papegay et la Limace.

 

         Les enseignes donnèrent aussi leurs noms à un certain nombre des puits publics qui se trouvaient dans la plupart des rues. Sur les 80 puits qui existaient encore à Troyes en 1854, 14 étaient désignés sous le nom de l’enseigne d’une des maisons voisines.

 

         Si beaucoup de maisons étaient décorées d’enseignes, il faut cependant se garder de croire que toutes en étaient pourvues. A partir de XVI° siècle, les grands hôtels, tels que ceux des Marisy, des Mesgrigny, des Ursins, des Chapelaines, furent désignés sous le nom de leurs propriétaires.

 

         A défaut d’enseigne personnelle, on s’abritait sous celle du voisin. Les enseignes foisonnaient dans certains quartiers, qui sont les plus commerçants de la ville, au Marché au Blé (place Jean Jaurès), comme dans les rues de l’Hôtel-de-Ville, d’Urbain IV, de Notre-Dame (Emile Zola), de la Cité. Elles étaient plus rares dans certaines rues transversales, et dans une partie du Quartier Bas, où les cloîtres en étaient dépourvus comme les maisons habitées par les petits artisans, les compagnons et les manouvriers.

 

Quelquefois l’enseigne servait à plusieurs corps de logis qui, d’ordinaire, avaient été divisés par suite de partages après décès. L’hôtel de la Chèvre, dans la rue de Châlons, appartenait en 1493 à 8 propriétaires, en 1587, il n’y en avait plus qu’un.

 

         Les armoiries de certaines familles nobles ou même bourgeoises ont pu servir à la désignation de quelques maisons, tandis que d’autres familles, peut-être en plus grand nombre, ont tiré leurs armoiries du sujet de leurs enseignes. Ainsi, les Le Tartier faisaient figurer en chef de leur écusson le « Château » qui pendait au-devant de la façade de leur maison patrimoniale. Il est parfois difficile de savoir si les blasons viennent des enseignes ou les enseignes des blasons.

 

         En général, l’enseigne n’était pas inféodée à la maison, elle appartenait à la famille, qui pouvait la transporter ailleurs. Elle pouvait être modifiée par un nouvel acquéreur.

 

         L’enseigne n’est pas toujours une propriété exclusive. Sans doute, on n’élève pas dans la même rue enseigne contre enseigne, mais on rencontre aux mêmes époques, dans des quartiers éloignés les uns des autres, des appellations semblables, telles que la « Hache », le « Chaudron », la « Croix d’or », les « Singes verts », l’« Ange », la « Fleur de lys », que nous trouvons simultanément dans le quartier haut et dans le quartier bas.

 

         Parfois, dans le même quartier, c’est l’épithète seule qui diffère. Il y a des « Têtes noires » ou rouges, « Têtes de nègres » ou de sauvages, des chevaux de toutes couleurs, rouge, blanc, noir, de bronze…

 

         L’enseigne est un reflet des coutumes, des opinions, des croyances de chaque époque. Au moyen-âge et jusqu’au XVIII° siècle, la religion en suggère un grand nombre. Si l’Ancien Testament en fournit quelques unes, telles que le « Sacrifice d’Abraham », le « Roi David » et le « Petit David », le Moïse…, le Nouveau en offre bien davantage : la « Vierge », l’« Image Notre-Dame », l’« Ange Gabriel », les « Trois Rois », la « Samaritaine », les « Noces d’Architriclis » (nom sous lequel on désigne les Noces de Cana), le « Grand » et le « Petit Credo », la « Trinité », le « Saint-Esprit »… Des croix de toutes nuances, blanche, rouge, verte, d’or et de fer, brillent sur d’autres points. Puis ce sont les saints, dont l’image en pied ou le chef, c’est-à-dire la tête, est peinte, découpée ou sculptée : les chefs de Saint Pierre et Paul et de Saint Loup, les images Saint Jean l’évangéliste, Saint Jacques de Compostelle, Saint Remy, Saint Claude, Saint Georges, Saint Laurent, Saint Julien, Saint Edme, Saint Cyr, Saint Barthelemy, Saint Augustin, Saint Louis. Parmi les saintes, on ne trouve que Sainte Barbe et Sainte Mathie.

 

         La politique a moins présidé au choix des sujets que la religion : Le « Comte Henri », le « Grand Henri », le « Grand Monarque », « L’Empereur ». Ce qui est plus fréquent, c’est la « Couronne », l’« Ecu de France », la « Fleur royale », la « Fleur de lis », le « Cœur royal ».

 

         L’enseigne indique parfois la profession de l’artisan : la « Clef de bois », la « Clef d’or » » ou d’« Argent », le « Mortier d’or », le « Chapeau blanc » ou « rouge », le « Bas d’argent »… qui désignent des boutiques de serruriers, tondeurs de draps, de droguistes, de chapelier… Des imprimeurs ont pour devise « A la Grande-Bible », « Au Psautier royal », « Au Livre bleu »,  le « Point du Jour ». Des fabricants de cartes ont pour enseigne le « Roi de carreau », le « Valet de carreau », le « Carreau royal »…

 

         Professionnelles ou non, les enseignes empruntées aux objets usuels sont en grand nombre : le « Plat d’étain », le « Chaudron », le « Barillet », la « Coupe », l’« Ecritoire », les « Soufflet », la « Brouette », le « Panier vert », l’« Etrille », les « Epées », la « Grosse lance », l’« Ancre d’or », l’ « Arbalette »…

 

         Les récits merveilleux que suscitaient les pèlerinages en Orient, et plus tard la découverte de l’Amérique, font représenter, au-devant des façades, la « Ville de Jérusalem », le « Jourdain », la « Ville de Candie », des « Maures », des « Têtes rouges », le « Grand » et le « Petit Sauvage »…

 

          La « Tour de Lucques », le « Château de Milan » et « Venise » rappellent les logis des Italiens à l’époque des grandes foires de Champagne.

 

         « Paris », le « Bois de Vincennes », le « Louvre », le « Petit Louvre », figurent sur quelques maisons, ainsi que le « Ville de Verdun », « Anvers », le « Puy d’Auvergne » et le « Mont Saint-Michel ».

 

         On trouve aussi la fable et le roman sur les maisons : la « Sybille », la « Sirène », la « Toison d’or »… des noms de fleurs : la « Rose », la « Rose blanche », le « Lis » et les « Violettes ». Les fruits sont en assez grand nombre : la « Grenade », la « Poire », le « Coing », le « Gros raisin », le « Gouault noir » (raisin).

 

Dans le règne animal, on trouve : le « Lion », l e « Cheval », le « Bœuf », le « Bœuf couronné », le « Mouton », le « Mouton à longue laine », l’ « Agneau », la « Chèvre », le « Bouquin » (lièvre), l’« Âne rayé » (le zèbre), les « Singes verts », l’« Ours volant », le « Renard qui pêche », le « Renard bardé », le « Chat qui pêche », le « Chat qui file », le « Rat botté », le « Pou volant », l’« Aigle », la « Grue », la « Cigogne », le « Paon », le « Faisan »,, le « Coq », les « Pigeons », l’« Oie », les « Canetons », le « Chant des oiseaux », la « Pie », l’« Ecrevisse », la « Limace »… Le porc est en faveur dans une ville célèbre par sa charcuterie : le « Porcelet », la « Hure », la « Truie qui file »… Des noms rappellent des productions rurales : le « Bon laboureur », le « Vigneron », le « Faucheur »…

 

La décadence de l’enseigne est commencée vers la fin du XVIII° siècle. Depuis Louis XIV, on faisait la guerre aux saillies des maisons. La police de Troyes proscrit les auvents et les enseignes trop saillantes.

 

La Révolution fit supprimer les enseignes religieuses.

 

Les enseignes qui ont le plus persisté sont celles des hôtels et des auberges, car nombreuses étaient autrefois les hôtelleries : par exemple, les « Trois Mores », où loge le chancelier de France en 1501, le « Dauphin », qui reçoit sous Louis XII un grand nombre de personnages officiels, l’ « Autruche » où descendent en 1663 les ambassadeurs suisses, les « Trois filles » qui hébergeait au XVII° siècle des officiers et des étrangers de distinction, la « Tête rouge », le nonce du Pape y descendit sous Louis XVI, et la poste aux chevaux y était établie…

 

L’enseigne, avec ses silhouettes imprévues et ses formes variées, vient, d’une manière heureuse, rompre la monotonie actuelle des rues droites avec leur alignement, elles éveillent la sensation du pittoresque, qui est le charme des vieilles villes.

 

Le véritable progrès ne devrait pas consister à faire table rase du passé, mais lui emprunter ce qu’il avait de séduisant, en l’adaptant aux besoins et aux aspirations modernes.

 

J’ai retrouvé la liste des 422 enseignes de Troyes, antérieures à 1789. Parmi elles, 75 ont donné leur nom à des rues, dont 10 seulement restent aujourd’hui.            


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