Aube Terre de Combat, Terre de Contacts

Le 6 mai 1967, inaugurant les deux nouvelles gendarmeries de Pont-Sainte-Marie et de Saint-André-les-Vergers, Monsieur Périer, directeur de la Gendarmerie et de la Justice militaire, a prononcé une très belle allocution, dont je vous donne ci-dessous, quelques extraits :

         «… Rendez-vous de la mystique et du négoce, de l’esprit d’aventure et de la grâce féminine, ce pays plat qui sent le serpolet, sur lequel resplendit l’aurore médiévale, c’est l’Aube, la bien-nommée « dont le beau nom fait penser à l’éveil quotidien de la nature ».

         L’aube, c’est la lutte de la lumière sur les forces de la nuit et c’est aussi une terre de combats.

         L’aube, c’est cette heure indécise où la vie nocturne et le jour qui se lève se mélangent et se confondent encore et c’est aussi une terre de contacts.

         Terre d’invasion et de combats, l’Aube l’a été dès la fin de la paix romaine. Les hordes d’Attila, vaincues aux champs catalauniques viennent battre les murs de Troyes. Les Normands, plus audacieux, s’emparent de la place et la réduisent en cendres. Plus tard, un grand incendie détruit la ville reconstruite. Après le désastre de Poitiers, les Anglais s’abattent sur la province, et c’est le honteux traité de 1420 qui livre la France à Henri V d’Angleterre. Peu après sa délivrance par Jeanne d’Arc, la cité est à nouveau ravagée par la peste et, un siècle plus tard, par une épidémie, plus effroyable encore. Puis des incendies, des guerres civiles, la ruine, des assassinats, des pillages, des séquestrations, l’exil, la chute de l’aigle impérial, l’occupation étrangère, les bombardements, les multiples exactions de l’ennemi, les massacres d’otages, la lutte héroïque de ses maquis, Troyes aura connu toutes les épreuves du martyr.

         Mais terre pacifique aussi, terre de concile et de dialogue où vinrent séjourner des papes et des rois, terre de labeur et de poésie, terre de contacts humains, « terre des hommes ». Henri 1^er le Libéral développe les foires de Champagne. A Troyes, Bar-sur-Aube, les marchands viennent de Hollande et d’Ecosse apporter le cuir et la laine, d’Angleterre le charbon et l’étain, de Hongrie la cire, l’or et l’argent, de Norvège le suif, d’Allemagne le fer et l’acier, de Pologne et de Russie le vair et le gris, de Navarre la basane, le réglisse et les amandes. Grenade fournissait les raisins et les figues, l’Egypte et le Soudan les épices…

         Depuis les Comtes de Champagne, Troyes est universellement connue par ses marchands. Je suis sûr que lorsqu’un jeune écolier récite sa leçon d’histoire, il ne manque jamais de citer votre ville dont l’activité commerciale depuis le Moyen Âge, ne s’est jamais démentie.

         Terre de contacts, la Champagne l’est encore, lorsque Thibaud III va chercher épouse en Espagne et devient Roi de Navarre, lorsque les Gautier de Brienne vont mourir aux Croisades et Jean 1^er devient Roi de Jérusalem, lorsque Paul de Chomedey, seigneur de Maisonneuve s’embarque pour le Québec et fonde Montréal…

         Attirée par le commerce et l’aventure, célèbre par ses foires et par ses draps, les draps de ses drapiers drapant et de ses drapiers foulant, par ses toiles, ses échantillons d’indienne, et par sa bonneterie, Troyes se devait d’être, à l’instar de l’industrieuse Flandre, une ville d’art.

         Marie de Champagne y tint cour d’amour, Chrétien de Troyes sera son chancelier.

         Après le grand incendie de 1524, la ville sera reconstruite à l’intérieur de la fameuse enceinte en forme de bouchon de Champagne avec ses maisons à encorbellement et ses églises ornées de vierges aux longues tresses et au sourire poupin, la robe brodée de dentelle et les manches garnies de crevés (ouverture pratiquée dans le vêtement et laissant apparaître un tissu de couleur différente), et de ses enfants Jésus donnant à picorer aux oiseaux une grappe de raisin, car nous sommes en Champagne.

         Partout s’exhale le charme de la personnalité champenoise faite de grâce et de mesure ».

         M. Périer s’étend ensuite sur la création des deux nouvelles gendarmeries : «… Les archives départementales font état des tribulations occasionnées par l’ordonnance royale à la maréchaussée et aux municipalités. A Villenauxe, on a dû installer les gendarmes chez l’habitant, comme cela se pratiquait communément, mais sans attendre, le corps municipal sollicite de l’Intendant de Champagne l’autorisation d’acquérir la maison des religieux de Macheret… A Méry-sur-Seine, l’architecte de l’époque considérait insuffisante la sollicitude royale à l’égard des chevaux, construit dans le prolongement des grandes écuries à 6 stalles, de petites écuries infirmerie à 2 stalles. Chaque cavalier dispose d’une chambre, mais le Lieutenant est mieux pourvu, 2 chambres lui sont attribuées…En 1816, les conseillers de Romilly qui ont eu vent du prochain départ des gendarmes, adressent une pétition au Préfet. C’est que, dit-on, la Commune de Romilly, située sur la grande route de Troyes à Paris, renferme une population de près de 2.300 âmes. Placée près de la Seine et assurant ainsi l’écoulement des denrées, foin, grain et bois pour l’approvisionnement de Paris, il est à craindre que les malintentionnés (et il en existe toujours dans une commune populeuse), n’étant plus surveillés par la brigade, se livrent à leur esprit de rapine et de brigandage…

         Au soir de sa vie, évoquant son adolescence studieuse à l’Ecole militaire de Brienne, Napoléon disait : « par la pensée, Brienne est ma patrie. C’est là que j’ai ressenti mes premières impressions d’homme ». Renoir, venant de Paris, tombait dans l’enchantement une quinzaine de kilomètres avant d’arriver à Essoyes, le pays natal de sa femme. Il se plaisait chez les vignerons, sur  cette Côte aux Biques, sur ces sentiers où il retrouvait les pas de Jeanne d’Arc se rendant en Lorraine à Chinon… ».