Le Département



Bernardin de Saint-Pierre et l'Assemblée électorale de l'Aube


Les assemblées électorales de département, dont les membres étaient recrutés parmi les contribuables les plus imposés, désignaient, à la majorité des suffrages, des candidats pour le Sénat, le Corps législatif et les Conseils généraux. Mais les sénateurs et les députés étaient choisis par le Sénat sur les listes formées par les collèges électoraux, et l’Empereur pouvait les nommer, même en les prenant en dehors de ces listes.

 

         Le Président de l’Assemblée départementale était aussi nommé par l’Empereur. En 1807, le choix de Napoléon s’arrêta, pour l’Aube, sur le général Beurnonville (voir ce chapitre), né à Champignol, qui servit tous les régimes qui se succédèrent en France, avec la même valeur et le même dévouement. Sénateur sous l’Empire, pair et maréchal de France sous la Restauration, il avait été chargé par Talleyrand de missions diplomatiques dont il dut parfois le succès à la trivialité de son langage, ce qui lui valut, de la part du comte Beugnot, le qualificatif de « négociateur-caporal ».

 

         Or, ce fut précisément le comte Beugnot, alors conseiller d’Etat et ministre du Grand Duché de Berg, que le collège électoral de l’Aube, présidé par Beurnonville, élut pour premier candidat au Sénat par 81 voix sur 120 votants, avec l’évêque de Troyes, Louis-Apollinaire de La Tour du Pin-Montauban, qui obtint 76 suffrages sur 121.

 

         L’Assemblée, qui se réunit du 5 au 7 novembre, se constitua en nommant pour scrutateur le préfet Brusley, plus connu sous le nom de baron du Valsuzenay, et, pour secrétaire Parisot conseiller à la Cour d’appel de Paris. Après avoir élu les 2 candidats au Sénat, et avant de nommer 10 candidats pour le Conseil général, elle désigna comme candidats au Corps législatif MM. De Bossancourt et de Mesgrigny, et pour suppléants l’avocat Patris et le général Chanez, né à Bar-sur-Seine. Patris, avocat  à Troyes, qui eut 80 voix sur 104, est le père de Patris-Dubreuil,  littérateur, qui, dans une notice intercalée dans son édition des « Troyens célèbres » de Grosley, raconte que Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, le célèbre auteur de Paul et Virginie, « balança, en 1807, les suffrages du collège électoral de l’Aube avec le comte Beugnot et l’évêque de Troyes, c’est-à-dire que, dans cette élection, le génie a été en concurrence avec les talents et la vertu réunis au plus haut degré ».

 

         Patris-Debreuil était un admirateur convaincu de Bernardin de Saint-Pierre, à qui il adressa une épître en vers, à l’occasion d’une nouvelle édition de Paul et Virginie. Il le louait d’avoir reçu les bienfaits de Napoléon, qui lui octroya des pensions et la croix de la Légion d’honneur : « Ce signe heureux, emblème de ta gloire, qu’a placé sur ton cœur le grand Napoléon !... ».

 

         Bernardin de Saint-Pierre aurait été sensible aux suffrages que lui avait donné le collège électoral de l’Aube, et, pour prouver sa reconnaissance aux habitants de ce département, il se serait déterminé à venir habiter parmi eux, si ses devoirs d’académicien ne l’avaient obligé de rester à Paris.

 

         « De quelles moissons de fleurs ce savant », s’écrit Patris, « n’aurait-il pas enrichi ses Etudes de la nature », s’il avait eu sous les yeux les tableaux enchanteurs qu’offre le département de l’Aube ! ».

 

         Président de l’Académie française en 1807, alors qu’il préparait un discours pour la réception de 3 nouveaux membres, le 24 novembre, c’est dans la préparation de ce discours que vint le surprendre la nouvelle de sa candidature au Sénat. Le procès-verbal ne parlant pas des candidats non élus, on peut supposer que son nom réunit de 30 à 40 suffrages.

 

         Du reste, aucun des candidats présentés ne devint ni sénateur ni député. L’évêque de Troyes, La Tour du Pin, mourut d’apoplexie 3 semaines après la réunion de l’Assemblée électorale et le comte Beugnot, ministre sous Louis XVIII, devint pair de France à la fin de la Restauration. Le Sénat choisit les 2 députés en dehors des candidats du collège électoral, le député sortant Rivière et Sirugue-Maret, colonel de gendarmerie.

 

         Le président de l’Assemblée départementale Beurnonville, qui prononça à l’ouverture et à la clôture de la session un discours empreint, selon le goût du temps, de la plus vive admiration pour Napoléon, devint maréchal de France en 1816.

 

         Quant à Patris-Debreuil, qui ne manquait pas de célébrer en 1812 le souverain « dont la sensibilité, selon lui, égalait le génie », il faisait l’éloge de Louis XVIII dès le début de la Restauration. Cet éloge fut prononcé lors de l’inauguration du buste du roi dans la grande salle de l’Hôtel de Ville de Troyes, cérémonie qui a suscité, dit-il, « l’ivresse patriotique du peuple troyen, qui s’est prolongée pendant 8 jours de fêtes continues ».

 

         Dans les notes de la seconde édition de cet éloge, en 1816, Patris dit qu’il ne peut ranger Bernardin de Saint Pierre, parmi les apologistes du nouveau régime, puisqu’il était mort en 1814 ; il en fit un précurseur, en disant que l’auteur des « Etudes de la nature », parlant de Louis XVI, « avait une vue prophétique de ce qui était arrivé à Louis XVIII ».


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