Aubois très célèbres



Jean 1er JUVENEL (ou Jouvenel ou Juvénal) des URSINS


Juvénal des Ursins
Juvénal des Ursins

 

Les aubois connaissent la rue Juvénal des Ursins, mais combien connaissent l’inestimable importance de ce Troyen dans la vie politique française, car « il sauva la France » ?

 

Un des plus dignes représentants de l’ancienne magistrature française fut sans contredit Jean Juvénel ou Juvénal des Ursins. Fils d’un drapier, il naît à Troyes en 1360.

 

« Le mérite supérieur de ce grand et vertueux citoyen se propagea pendant 4 siècles avec sa race, et, pour l’honneur de la France comme pour la gloire de la Champagne, les éminentes qualités patriotiques, les sublimes élans du cœur, les nobles inspirations religieuses, les purs sentiments du devoir accompagnèrent ses descendants pendant cette longue période ».

 

Les archives de la ville de Paris renferment des pièces authentiques qui prouvent d’une manière incontestable que ce nom de « des Ursins », ajouté à celui de Juvénal vers 1390, ne fut qu’un titre ou plutôt un sobriquet d’honneur, puisqu’il tirait son origine du don civique que la capitale faisait au courageux avocat auquel le roi avait confié la fonction périlleuse et difficile, en temps de troubles, de prévôt des marchands. Effectivement le conseil municipal de Paris, de concert avec Charles VI, avait donné à Juvénal un hôtel et de vastes dépendances dans la cité.

 

Jean Juvénal alla de bonne heure étudier le droit aux universités d’Orléans et de Paris. C’était le plus brillant élève de son cours. Il est reçu avocat au Parlement de Paris en 1384. Ses premiers pas dans la carrière qu’il embrassa furent marqués par des succès, dès le début, et « il obtint un rang honorable » dans la milice judiciaire. « La beauté de son esprit, la noblesse de son caractère une élocution facile, une énergique  sympathie pour tout ce qui était honnête, juste, vrai, lui valurent les suffrages de cette magistrature illustre qui regardait avec raison les vertus des membres du barreau comme un reflet de ses propres vertus. La conduite qu’il tint en 1386, dans une conjoncture fort délicate, acheva surtout de donner au mérite de Juvénal une popularité toujours enviable, lorsqu’elle est conquise par le devoir ».

 

La cause des pauvres gens, habitants d’Issy (surchargés par d’intolérables exactions), fut plaidée généreusement et gagnée par Juvénal aux applaudissements du barreau, de la bourgeoisie parisienne et du petit peuple qui s’était attendri  sur le sort que réservait aux serfs de ses vastes domaines le riche et âpre chapitre de Notre-Dame. Le talent supérieur que déploya Juvénal dans cette plaidoirie importante lui fit autant d’honneur que son indomptable courage. Dès ce moment, le nom du jeune avocat se trouva mêlé à toutes les grandes affaires qui venaient se dérouler au Parlement de Paris, et sa réputation dépassa rapidement les limites du Palais de Justice et de la Cité.

 

Plus d’un bourgeois de la capitale l’eût désiré pour gendre. C’est ainsi que le 20 juin 1386, une riche famille de Paris maria l’une de ses héritières, Michelle de Vitry, à Juvénal des Ursins. C’était la fille de Thibaut, Baron d’Assenai, allié aux Maisons de Champagne et de Dampierre, et nièce de Jean le Mercier de Noviant, l’un des quatre ministres qui ont la confiance de Charles VI. Elle appartenait par sa mère, à la Maison de Montmorency, et celles de Mornay, de St. Brisson, de Courtenai, de Saint Vrain des Bois et des Boutheliers de Senlis.

 

Juvénal commence sa carrière comme avocat à Troyes, puis avocat général au Parlement de Paris.En 1388, le roi lui donne en garde la Prévôté des Marchands de Paris (ces attributions correspondraient aujourd’hui à Préfet de la Seine). C’était une place de confiance et une situation plus politique encore que civique. Charles VI, en y installant l’énergique et savant Juvénal des Ursins, obéissait aux vœux de l’opinion publique. Les finances de la ville étaient délabrées, la police communale engourdie, l’impunité pour les méfaits, la corruption marchant à visage découvert, une multitude d’abus criants, étayés secrètement par ceux qui devaient les combattre, tout rendait nécessaire l’avènement d’un véritable citoyen et d’un homme vertueux sur le pavois de l’hôtel-de-ville. Il fallait qu’une main ferme habile, vigoureuse, sût donner une direction nouvelle aux affaires municipales, et que cette main, prompte à punir les fraudes, les malversations, les intrigues et les cabales, fut pour les gens de bien, un appui, pour les fripons, un épouvantail et pour les scélérats de toutes les classes, un glaive.

 

La prospérité commerciale doit beaucoup à Jean Juvénal, grâce à 2 de ses mesures. La libre navigation de la Seine et de la Marne se trouvait gênée par de nombreux moulins que les seigneurs avaient élevés sur ces 2 cours d’eau.  Le prévôt des marchands résolut de faire cesser cet état de choses. Avec l’autorisation du Parlement, il improvisa une petite escadrille de 30 bateaux montés par 300 charpentiers. En 1 seule nuit, les moulins, depuis Sèvres jusqu’à la Marne, à 1 lieue de Charenton, furent détruits, et les Parisiens étonnés, voyaient flotter le lendemain matin sur le fleuve, les débris de ces usines que l’avarice des grands et la cupidité des petits avaient construites à grands frais. La seconde mesure ne souleva pas moins de haines contre Juvénal, mais les bénédictions du peuple et les suffrages des honnêtes gens le dédommagèrent largement des tribulations suscitées dans tous les temps par les facteurs d’abus, aux fonctionnaires qui ont la volonté et la puissance de les extirper. Le coteau que l’on appelle aujourd’hui encore montagne Sainte-Geneviève, était couvert de maisons, mais les rues n’étaient pas pavées, et des immondices 2 fois séculaires y couvraient le sol et entretenaient dans ce quartier des « fièvres pernicieuses ». De ce cloaque, foyer permanent de miasmes putrides, s’échappaient dans les automnes pluvieux, des exhalations pestilentielles qui triplaient la mortalité ordinaire de Paris. Le prévôt des marchands, toujours avec l’assentiment du Parlement, coupa court à ce fléau que la routine avait ancré dans l’endroit, et qui se ressentait de la « barbarie des vieux âges ». Par son ordre, 500 prisonniers furent extraits du Châtelet et déblayèrent tout le quartier, et on commença immédiatement le pavage de ce quartier. Juvénal illustra encore son édilité par l’érection, à ses frais, de plusieurs fontaines publiques et par l’embellissement ou la restauration d’un grand nombre d’édifices religieux et civils. 3 marchés furent créés pour satisfaire aux besoins  du commerce qui prit une nouvelle activité. Il facilita la circulation intérieure de la ville par le percement de 11 rues. « L’Apport-Paris », ce vaste caravansérail de légumes et de poissons, fut agrandi et nivelé, tandis que les prisons du Grand et du Petit Châtelet, de la Tournelle et de la Conciergerie, étaient assainies, éclairées et blanchies.

 

Une sollicitude si infatigable valut à Juvénal le respect, l’estime et l’amour de toutes les classes de la population parisienne. Les gens d’église, les nobles, les marchands, les bourgeois, le commun peuple lui portaient une égale affection. Le roi, qui le connaissait intimement, répétait sans cesse qu’il n’avait de confiance qu’en son prévôt des marchands. La démence de Charles VI avait laissé passer les rênes du gouvernement entre les mains des ducs de Berry et de Bourgogne. Ces usurpateurs, poussés par la haine et la vengeance, enfermèrent dans les cachots de la Bastille les conseillers du roi. Chacun s’attendait à voir ces prisonniers périr sur l’échafaud, tant leurs ennemis montraient d’acharnement contre eux. Maître Juvénal, marié à la nièce du sire Noviant, et parent du sire De La Rivière, requit avec insistance et douceur le duc de Bourgogne et les autres membres du gouvernement de faire justice aux illustres captifs, et même justice miséricordieuse, s’il était besoin. Quelques mois après cette démarche, Charles VI, dans un de ses moments lucides, termina la procédure en ordonnant, de son autorité propre, que les sires de Noviant et de La Rivière, ses anciens serviteurs, fussent remis en liberté et réintégrés dans la possession de leurs biens.

 

Le zèle que déployait Juvénal pour procurer un peu de consolation à ses concitoyens malheureux et un peu de calme à sa patrie troublée, ne faisait pas le compte de certains seigneurs qui ne cherchaient que l’assouvissement de leurs passions. Aussi, mirent-ils toutes leurs ruses en œuvre pour achever de perdre Juvénal auprès du duc de Bourgogne. Celui-ci, donna l’ordre au Châtelet d’informer contre Juvénal. 30 témoins déposèrent contre lui. Il voulut faire poursuivre par le procureur du roi au Parlement, qui s’y refusa. On s’adressa à l’avocat Audriguet, qui se chargea de soutenir l’accusation. Au sortir de la maison du duc de Bourgogne, les commissaires et Audriguet, bien payés et bien contents, soupèrent ensemble à la buvette. Pendant qu’ils étaient à boire copieusement et à converser en toute liberté, le cahier des informations tomba de la poche de l’un d’entre eux. Un chien du cabaret le prit à belles dents pour en jouer, et le traîna sous un lit. Les commissaires et l’avocat sortirent sans se douter qu’ils eussent rien perdu. L’hôte, en se couchant, trouva les papiers : « Hélas ! dit-il en y regardant, ce sont ces mauvaises gens qui veulent faire du tort à notre brave prévôt des marchands ! ».Et aussitôt, il courut porter les pièces à Juvénal. Le lendemain, le prévôt des marchands reçut l’ordre de se rendre à Vincennes devant le roi et son conseil. Le roi commençait alors à être convalescent, quelques lueurs de raison brillaient en lui. Tout le monde croyait que Juvénal allait être emprisonné dans la tour et qu’il ne tarderait pas à avoir la tête coupée. Plus de 400 bourgeois des plus notables le conduisirent jusqu’à Vincennes. Pour lui, sachant d’avance les mensonges qu’on se proposait de dire pour motiver son accusation, il demeurait imperturbable. Le roi lui permit de se défendre. Juvénal parla en fort bon langage et avec l’assurance que lui donnaient l’estime et l’affection de tous les gens honorables. Il montra qu’on n’aurait pas dû procéder par voie d’information contre un officier royal, et que d’ailleurs, cette prétendue information n’était qu’un amas de faits controuvés. Là-dessus, l’avocat, voulant répondre, demanda aux commissaires le cahier d’informations. « Vous les avez » dirent-ils. « Non, c’est vous » reprit-il. La dispute et le trouble se mirent entre eux. Le roi, qui était dans un de ses moments lucides, termina l’affaire en litige : « Je vous dis que le prévôt des marchands est prudhomme irréprochable, et que ses accusateurs sont de mauvaises gens ». Puis, se tournant vers Juvénal : « Allez, mon ami, ainsi que mes bons bourgeois ».

 

Peu de temps après, les fêtes de Pâques étant proches, Juvénal sortit de chez lui le matin pour « aller faire ses stations et gagner les indulgences attachées à ces pieuses pratiques ». Il trouva à sa porte un groupe de jeunes gens enveloppés dans de grands draps blancs, de façon que l’on ne voyait pas même leur visage. L’un d’eux dit en se jetant à ses genoux, les larmes aux yeux et d’une voix émue : « Nous sommes les faux témoins, mais contrits et repentants, nous sommes allés nous confesser. Le prêtre n’a pu nous absoudre d’un péché aussi rare, et nous a renvoyés à l’évêque. Celui-ci a jugé le cas tellement énorme, qu’il a cru devoir nous adresser au légat. C’est lui, à son tour, qui nous a commandé de venir ainsi tout nu à votre porte, pour implorer votre pardon. Il nous a toutefois permis de nous affubler d’un drap, afin de n’être pas connus de vous ». Juvénal leur pardonna bien volontiers, les pressa dans ses bras et, les appelant par leurs noms, malgré leur déguisement, il leur donna, en pleurant lui-même, et en les relevant à mesure qu’ils se prosternaient à genoux, l’assurance qu’il ne conservait aucun ressentiment de leur faux témoignage, et qu’il les aimerait toujours.

 

Jean Juvénal, le temps de son édilité accompli, rentra dans ses fonctions judiciaires qu’il avait momentanément abandonnées, prit séance au Parlement, d’abord en qualité d’avocat-général, puis de procureur-général.

 

Il convient de placer à cette date le don que lui fit la Ville de Paris de l’Hôtel des Ursins, dont l’illustre prévôt des marchands porta dès-lors le surnom, comme pour perpétuer dans sa race le souvenir des services qu’il avait rendus à la capitale du royaume, et de la gratitude immortelle de cette grande cité. Son éloquence défendit l’inamovibilité de la couronne, comme sa vigilance et sa fermeté avaient défendu les intérêts du peuple, ainsi que les droits  et les privilèges de la ville de Paris. En qualité de procureur général, il adressa, en recherchant inutilement à les réconcilier, des paroles pleines de patriotisme et de sagesse aux ducs d’Orléans et de Bourgogne, qui préparaient déjà, par de sourdes cabales, les malheurs et l’asservissement de la France. L’assassinat du duc d’Orléans par les tueurs à gages du duc de Bourgogne, alluma les premiers brandons de la guerre civile. Juvénal, pour conjurer les calamités qui menaçaient son pays, et pour neutraliser les prétentions des 2 factions rivales qui marchaient audacieusement à la conquête du pouvoir, fit décider, en 1393, par le Parlement que la régence appartiendrait à la reine Isabeau de Bavière. Pour lui, il n’existait d’autres moyens de sauver le trône et de protéger l’indivisibilité du territoire.              

 

Le Connétable Louis de Sancerre le nomme Avocat du Roi au Parlement en 1400, et il joue un rôle important dans tout ce qui fut fait en 1406, pour soustraire l’autorité royale à la puissance temporelle du Pape. Il travaille ainsi à l’établissement de ces libertés gallicanes « dont la France est si fière et si jalouse aujourd’hui. C’était un des grands personnages de sa robe qui fut de son temps ». Hostile à Jean sans Peur, duc de Bourgogne, il est emprisonné lors de la prise de Paris par les Bourguignons en 1413. Par miracle il a la vie sauve lors des massacres perpétrés le 28 août par les Cabochiens. Libéré, il rejoint le Dauphin, futur Charles VII, et devient le chancelier de Louis de Guyenne. En 1417, il est nommé président de la cour des Aides.La Ville de Paris et la Maison Royale doivent à ses soins et à sa fermeté, la conclusion de la paix : « avec le plus de nez, il juge des affaires, le premier qui ose remédier à ce mal dedans la Ville de Paris, Maître Juvenal des Ursins, Avocat du Roi, personnage qui, de son temps fit une infinité de bons offices au Public, tant aux armes comme en la justice ».En 1418, il est nommé Maître des Requêtes au Parlement de Poitiers.En 1419, il est employé en qualité de Conseiller et Président au Parlement du Roi et de M. le Dauphin Régent, et le reste jusqu'à sa mort.A l’époque, il est placé « au rang des Magistrats les plus distingués et des meilleurs citoyens dont la France s’honore ».

 

Les Ursins sont si puissants, que cette famille troyenne peut racheter à Bourges toutes les propriétés de Jacques Cœur après sa disgrâce.

 

Jean Juvénal décède en 1431.

 

Son hôtel particulier à Troyes, est rebâti en 1526, après le grand incendie de Troyes. Il présente un mélange des architectures gothique et renaissance. En son centre, un oratoire en encorbellement, surmonté de frontons avec des bustes de personnages et d’une galerie avec un petit amour tenant un arc, comporte des verrières du XVI° siècle et une décoration sculptée, avec blason aux armes de France entouré du cordon de Saint-Michel.

 

De son union avec Michelle de Vitry naissent seize enfants (11 vivront),  dont neuf garçons, qu’il marie dans le milieu des parlementaires. Son fils Guillaume, devient grand argentier de Charles VII, et l’aide à vaincre les anglais. C'est son fils Jean II Jouvenel des Ursins qui latinise le nom de Jouvenel en Juvénal et ajoute le nom d'Ursins (Orsini). Il est historien, diplomate et prélat français, et fait une brillante carrière. En 1429 avocat du roi, chapelain du roi, archiprêtre de Carmaing, doyen d'Avranches, à l'évêché de Beauvais il succède à l'évêque Pierre Cauchon en 1432, en 1444 il est nommé évêque de Laon, en 1449 il remplace son frère Jacques archevêque de Reims. Il se montre très brillant dans les négociations. Il préside le procès chargé de la réhabilitation de Jeanne d'Arc. Le 15 août 1461, il sacre le roi Louis XI de France en la cathédrale de Reims. Il est aussi un brillant historien. Son fils Michel sera Bailli de Troyes.

 

Jean Juvénal, homme de parole et d’action, a sauvé la France d’une ruine certaine, par le concours du peuple et sans répandre une goutte de sang !

 

 Michelle de Vitry, épouse de Juvénal, femme de grande vertu, d’un sens et d’un esprit merveilleux, mourut le 12 juin 1456. Elle fut enterrée auprès de son mari, dans une chapelle de l’église Notre-Dame de Paris, qu’elle avait acquise des chanoines de cette métropole en 1443. Sur les murs de cette chapelle, on avait représenté Jean Juvénal à genoux, ainsi que sa femme et tous ses enfants.

 

Le 2 mars 1868, le conseil municipal donne le nom de Juvénal des Ursins à la  rue des Croisettes. 

 

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