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Auguste, Edmé Suchetet : " Le Rapt "


Monsieur Bernard Simon m’adresse un message me demandant pourquoi je n’ai pas parlé sur mon site du sculpteur Auguste Suchetet.

 

         Je reconnais que je n’avais aucun document sur lui personnellement, mais cela m’a permis de retrouver un article sur « Le Rapt » du jardin de la Préfecture, que je n’avais jamais publié.

 

Merci Monsieur, pour Auguste Suchetet.

 

        La place de la Préfecture était anciennement occupée par une église de 72 mètres de longueur. La Révolution jeta bas cette église Saint-Jacques, sans souci de ses qualités architecturales et de ses souvenirs historiques.

 

Quand après des années, les ruines furent enfin déblayées, l’architecte Pierre Gauthier, construisit La Halle au Blé, qui fut rasée sous des motifs futiles.

 

La place vit alors, entre les chemins qui s’y traçaient, la végétation des décombres, l’envahir.

 

Pour y mettre fin, le Conseil municipal prévoit en 1904 : « un très grand jardin français, avec de larges allées, entouré d’un socle, surmonté d’une balustrade, en pierres de taille, avec des candélabres décoratifs. Il pourrait y avoir une statue sur piédestal, avec un jet d’eau, qui ne coûterait rien, car offert par l’Etat, et avec une subvention du Conseil Général ».

 

Trois ans après, rien n’avait bougé !

 

Mais, voici qu’un événement fortuit se produisit : le sculpteur vendeuvrois Auguste Suchetet demandait à la Ville d’acheter une de ses œuvres. Il s’agissait du groupe « Le Rapt » qui avait fait bonne figure au Salon de 1903 et qui était jugé digne d’obtenir la médaille d’honneur au concours. La Ville de Paris en avait fait l’achat, devant transformer le plâtre en marbre, pour figurer dans le musée du Petit Palais, parmi les meilleures œuvres modernes, ce qui constituait une référence sérieuse.

 

Le Maire Louis-Joseph Mony fit voter l’achat à l’unanimité, le 6 juillet 1907, car il espérait le dresser au centre de la cour de l’Hôtel de ville rénové.

 

Mais, changement de couleur au Conseil municipal, avec le maire Charles Lemblin-Armand, qui voulait installer sur la place de la Préfecture, l’Hôtel des Postes.

 

Le sculpteur Suchetet prétendait que le choix de l’emplacement lui revenait de droit : « Le Jardin de la Préfecture et nulle part ailleurs !... ».

 

S’ensuivit de nombreux désaccords entre les maires et l’artiste : le maire Mony proposait le Jardin du Rocher pour y mettre la sculpture, le maire Lemblin reprenait le projet en face de la Préfecture, car il trouvait que le prix de Suchetet pour son œuvre, 15.000 francs, était un véritable cadeau.

 

Le rapt évoque la mythologie : le ravisseur est un Triton, c’est-à-dire un petit dieu de la mer. Sa queue de poisson s’allonge parmi les algues. Sa victime est une naïade. Le drame en ces 2 personnages exige un décor maritime : rochers, écume, flots. Le Triton, échevelé, tout en muscles, dépense une force brutale pour capter sa proie. Il serre la femme par les jambes et de tout son corps, elle se redresse au-dessus de lui. De sa droite, elle repousse son assaillant tandis qu’il la comprime par le torse. Ce double mouvement s’exprime avec énergie.

 

Pour obtenir un tel tableau, l’artiste devait trouver une maîtresse femme. Il la découvrit en la personne d’une superbe fille d’Italie qui passait alors pour le plus beau modèle de Paris. Mais cette admirable créature était douée d’un caractère volage. Le modelage s’avançait quand un beau matin, la Vénus latine oublia de se présenter. Suchetet, désespéré, jeta son ébauche dans un coin. Un an s’écoula. Un beau matin, l’inconstante reparut. L’artiste l’accueillit au comble de la joie et il ne la laissa plus repartir. Le Rapt était sauvé !

 

Pour bien marquer le caractère aquatique de la scène tragique, la Mairie imagina de l’encadrer par 4 jets d’eau. On décida de les faire jaillir de la bouche béante des grenouilles. C’est ainsi que les 4 batraciens géants, posés aux 4 points cardinaux, se mirent à cracher des guirlandes torrentielles autour du méchant Triton, accaparé de la plantureuse Océanide.

 

Dès son apparition, le Rapt jouit d’une grande renommée.

 

Dès le début de 1942, les Allemands s’emparèrent de nos œuvres d’art coulées en bronze, pour en faire des obus. Le Rapt, pesant 870 kg, figurait en tête de liste. Le 22 janvier 1942, il fut désoclé et emmené en Allemagne.

 

En 1949, la Mairie de Troyes réussit à obtenir de la Ville de Paris qu’elle nous donne le Rapt qu’elle disposait au Petit Palais, et il fut réinstallé à la veille de Noël. Le groupe n’était plus en bronze, mais en marbre.

 

En 2005, lors de la réfection de la place de la Libération, le Rapt a été provisoirement installé en face la Brasserie Vosgienne, place de la Mairie.

 

Une anecdote : une de mes filles, âgée d’une douzaine d’années, en sortant de Saint-François de Sales, sautait avec quelques camarades, sur les grenouilles. Cela leur valut une punition, car à cette époque, certains milieux s’étaient émus de la nudité du groupe, sans robe, sans feuille de vigne ! Mais les moeurs se sont détendues et l’on dit très rapidement : « Regardez ce groupe avec des yeux saints et il ne vous effarouchera plus ».      

 

Un critique d’art de l’époque, M. Michaut donne son jugement : « le Rapt est une œuvre grandiose, de conception géniale ».

 

On ne peut parler d’une œuvre sans parler également de son auteur. Auguste Suchetet se réclame d’humble origine. Il nait le 12 mars 1854. C’était le fils d’un brave maçon de Vendeuvre-sur-Barse. Le gamin, voyant sans cesse autour de lui, gâcher du plâtre, se plait à le détremper à son tour, pour le tripoter à son aise. Il se rend souvent à la « Sainterie ». Il y ramasse les bavures de glaise qui tombent des ébauchoirs. En les pétrissant, il essaie d’imiter les personnages sacrés qu’il a sous les yeux. La longue barbe des prophètes l’enchante.

 

Quand il sort de l’école, M. Moynet (qui a fondé en 1842 la Sainterie) lui ouvre les portes de son atelier. L’enfant y rencontre de bons artistes comme Briden, qui lui infusent le feu sacré.

 

A coup de bourses du Département, amplement méritées par une application constante, il fréquente les cours des Beaux-Arts, d’abord à Lyon, puis à Paris. Il devient alors l’élève de Paul Dubois. Ses œuvres sont vite appréciées. « Il acquit le droit de parler haut et de ce droit, il ne se priva pas ».

 

En 1878, Auguste Suchetet obtient une mention honorable au prix de Rome. Sept de ses œuvres sont inscrites aux registres du Musée Saint-Loup. Parmi elles : « Biblis changée en source ». Il l’exécute à l’âge de 25 ans et elle lui vaut le grand prix du Salon des Artistes Français. On lui décerne une médaille d'or à l'Exposition universelle de 1889, ainsi qu’à celle de 1900.

 

En plus du Rapt, Suchetet a sculpté pour un autre jardin de la Ville de Troyes, un paysan champenois tombant son chapeau devant le Comte de Launay. Mais cette œuvre partit pour l’Allemagne, sous l’occupation, sans espoir de retour ! Seule une copie du buste de l’agronome est restée sur le fût. L'on peut admirer au Musée de Troyes : " Aux Vendanges ", " Nuit d'amour " et  " Biblis changée ". Merci à Chantal Rouquet, Conservateur en chef du patrimoine, qui m'a fourni ces 3 photos.

 

Le grand critique de l’époque, Albert Wolff, lui reconnait « un talent énorme ».

 

Il fut décoré de la Légion d’honneur en 1895, et décéda en mai 1932, à l’âge de 77 ans.

Un ancien aubois, M. Patrice Simon, dessinateur et peintre à La Rochelle, me signale que notre sculpteur Suchetet a réalisé une statue "Allégories sur la Navigation", qui trône sur la façade de son Hôtel de Ville. Merci Monsieur, pour ce renseignement.

 


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