Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles, célèbre femme du monde et femme de lettres troyenne, naît le 25 septembre 1647.
« Son père était de Troyes, il avait à la porte de la ville un petit fief qu’on appelait Courcelles (hameau de la commune de Saint-Germain) et il en prit le nom ».
La marquise appartenait à la famille de Margerat, de bourgeoisie marchande tout d’abord, accédant ensuite aux charges puis à la noblesse et achevant par des services militaires distingués. La branche dont sortait la marquise de Lambert était riche depuis plusieurs générations, la boucherie en premier lieu, la tannerie après elle, puis l’affermage des impôts avaient permis à l’arrière-grand-père d’Anne-Thérèse de Marguenat de tenir une grande place dans sa ville de Troyes, ligueur à l’exemple de son beau-frère Nicolas de Hault maire de Troyes (1588-1590), il avait continué dans le Conseil de Ville et fut lui-même maire de Troyes de 1598 à 1600.
Parmi ses nombreux enfants, le dixième, nommé comme lui Nicolas, fut le grand-père de Mme de Lambert. Né en 1574, il fut tout d’abord avocat au Parlement de Paris et devint en 1605, Secrétaire du Roi audiencier en la Chancellerie de Parlement de Bourgogne. Nicolas Le Marguenat devint par la suite seigneur de Courcelles dont son fils, puis sa petite fille, portèrent le nom.
Anne-Thérèse avait 3 ans à la mort de son père, et était la dernière de 4 sœurs, seules enfants du ménage. Sa mère qui avait autre chose à faire que de s’occuper de ses filles, s’empressa de les mettre toutes au couvent chez les Annonciales de Meulan, où elles furent élevées et où les 3 aînées demeurèrent comme religieuses. L’une mourut pendant son noviciat et les 2 autres, Antoinette et Marguerite, y firent profession. Pendant ce temps, Mme de Courcelles contractait un mariage secret avec François Le Coigneux, chevalier, seigneur de la Roche Turpin et de Bachaumont, qu’elle n’osait évidemment épouser tant que son beau-père vivait. Une fois le « vieux fou » décédé, en 1663, elle s’empressa de passer contrat avec son mari et d’avouer leur mariage en 1664. A cette occasion, elle lui fit donation entre vifs de tous ses biens au grand désavantage de ses enfants.
La jeune Anne-Thérèse ne manifestait aucune intention d’imiter ses sœurs et, comme elle se trouvait demeurer seule dans le monde, sa fortune était considérable, tant en terres qu’en contrats de rentes. Son père avait laissé plus de 300.000 livres, son grand-père près de 200.000, outre l’argent comptant et les meubles. Elle accusa plus tard son beau-père d’avoir fait tout ce qu’il pouvait pour l’inciter à se donner à Dieu, afin que sa mère héritât d’elle, ce qui lui était avantageux. En effet, la pension que l’on servait aux 3 religieuses n’était que de 1.200 livres.
M. de Bachaumont la prit chez lui. Il la maria à 18 ans à un haut et puissant seigneur Henri de Lambert, marquis de Saint-Bris en Auxerrois, baron de Chitry et Augy, de 16 ans son aîné, qui mourut en 1686, lui laissant 3 jeunes enfants à élever : Monique-Thérèse 17 ans, Monique 11 ans (décédée 1 mois après) et Henry-François 8 ans et demi.
La marquise songea à s’installer d’une manière correspondant à son rang et à ses intentions mondaines. Elle fit l’acquisition d’une portion de l’hôtel de Nevers, celle où le cardinal Mazarin avait eu sa bibliothèque, en 1699. Dans cette somptueuse demeure, elle pouvait maintenir ses salons ouverts.
Mme de Lambert ne cessait de veiller sur ses intérêts Troyens, mais en mars 1709, elle vendit le domaine de Courcelles à M. Jacques Corps, notable troyen.
Marivaux a décrit Mme Lambert dans sa « Vie de Marianne », sous les traits de madame de Miran : «… elle était belle femme, la meilleure femme du monde. Elle n’avait guère fait d’amants, mais beaucoup d’amis et même d’amies… ». Elle groupa ses amis en une sorte de bureau littéraire dont son salon fut la suite naturelle. Sa maison devint l’une des premières et des plus en vue vers 1710 et le demeura jusqu’en 1733. Les invités étaient divisés en 2 séries : le mardi venait le monde de la Cour, le mercredi celui des lettres. « Les gens du monde sortaient de chez elle plus éclairés, les gens de lettres plus aimables » dira d’Alembert. Excellente maîtresse de maison, tenant son ménage sur un grand pied, l’hôtesse avait une table célèbre par sa recherche et son abondance. Là venaient s’asseoir tour à tour le spirituel abbé de Bragelonne, le galant abbé de Choisy, des grands seigneurs comme le duc de Nevers, de hauts magistrats comme Montesquieu, de belles dames telles la duchesse de Nevers, madame de Caylus, la nièce de madame de Maintenon, la duchesse de Gontaut, la marquise de Locmaria, madame de Murat, la duchesse de Villars… « Après le dîner de midi, la journée se passait en entretiens, en lectures, en discussions scientifiques artistiques ou littéraires, on y lisait les ouvrages prêts à paraître… ». Elle donnait 2 repas par semaine à MM. de l’Académie.
De quoi se compose l’œuvre de Mme de Lambert ? Tout d’abord, en 1727 « Réflexions nouvelles sur les Femmes », en 1728, 2 traités : « Les Avis d’une Mère à son Fils » et les « Avis d’une Mère à sa Fille », puis « Traité de l’Amitié », « Traité de la Vieillesse », « Réflexions sur le Goût, sur les Richesses », « Dialogue sur l’égalité des biens », « Discours sur le sentiment d’une Dame qui croyait que l’amour convenait aux femme lors même qu’elles n’étaient plus jeunes », « La Délicatesse d’esprit », « La différence qu’il y a de la réputation à la considération »…
Malgré tout cela, elle avait une terreur à se voir imprimer ! Ses conseils à sa fille, qu’elle tient à former autrement, les principes qu’elle expose à la Mère Supérieure de la Magdeleine de Tresnel, à propos de l’éducation de sa propre petite fille, sont remarquables par son intelligence des côtés tendres et vulnérables du sexe féminin.
Quelle fut sa propre vie sentimentale ? Elle n’aima pas son mari, mais elle a été certainement la plus correcte des épouses, remplissant toutes ses obligations comme elle le devait. On croit qu’elle s’était remariée au marquis de Saint-Aulaire qui était le père de son gendre.
Dans sa correspondance, on trouve trace de ses actions charitables, La Rivière et Fénelon la félicitèrent à ce sujet.
Le 12 juillet 1733, la marquise de Lambert reçut l’extrême onction et rendit le dernier soupir : « Elle avait été bonne chrétienne et le demeura jusqu’au bout ». Avec elle disparut son salon.
Le célèbre écrivain et scientifique Fontenelle, qui fut un de ses plus intimes commensaux, publiait dès le lendemain de sa mort, dans le « Mercure de France » d’août 1733, la biographie délicatement attristée de l’amie qu’il venait de perdre. C’est lui aussi qui écrivit la préface des « Œuvres complètes » de la Marquise de Lambert.
C’est parce qu’elle était propriétaire de Courcelles, que ses amis Sacy et Fontenelle figurèrent dans les brillantes réceptions données par son voisin, Nicolas Rémond, dans son château des Cours (voir le chapitre « Château des Cours »).
La marquise de Courcelles a eu une influence considérable : est sorti de chez elle le mouvement d’émancipation féminine, elle a joué le rôle d’arbitre entre les Anciens et les Modernes dans leur querelle…
Nombreuses sont les études qui ont été consacrées à la marquise de Lambert : Sainte-Beuve, dans une de ses « Causeries du lundi », Ch. Giraud à propos de « La Maréchale de Villars », de Lescure en préfaçant l’édition de ses « Œuvres » pour la « Bibliothèque des Dames », Delavigne pour « Le premier salon du XVIII° siècle », Octave Gérard dans « L’éducation des femmes », le prince Emmanuel de Broglie sur « Les Mardis et les Mercredis de la marquise de Lambert »… tous ont longtemps parlé d’elle, de la foule qui peuplait son salon. Victor du Bled lui a consacré un long chapitre de sa « Société française du XVI° siècle au XX° siècle », le comte Gonzague de Reynold a écrit « Madame de Lambert et son salon », « L’Hôtel de Nevers et le centre international de Synthèse », M. Zimmermann dans la « Revue d’Histoire littéraire de la France, M. Emile Boulan dans ses « Figures de XVIII° siècle »…
Madame de Lambert a tenu une place toute spéciale dans le mouvement des idées de France pendant un quart de siècle, elle a une influence sur des hommes comme Montesquieu, Fontenelle ou Marivaux.
On a souvent réédité les œuvres de madame Lambert, ainsi les « Avis d’une mère à sa fille », ont été réédités en 1804, 1811, 1812, 1820, 1822, 18258 ; les « Lettres » en 1806, les « Œuvres complètes » en 1808, 1829 et 1843.
En plein Paris, à l’angle de la rue Colbert et de la rue de Richelieu, une plaque de marbre blanc, fixée au mur en 1929, montre à quel point son souvenir est encore vivant : « Ce corps de Logis est ce qui subsiste de l’Hôtel de Nevers, construit par Fr. Mansart vers 1645. Ici furent successivement : la Bibliothèque de Mazarin, le Salon de Madame de Lambert, le Cabinet des Médailles du Roi ».
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