Le 5 février 1811, le Conseil municipal de Troyes tenait une séance extraordinaire, sous la présidence du maire M. Piot de Courcelles, qui s’exprimait en ces termes : «… je vais vous parler du père de la jeunesse, de l’ami des Lettres que la mort vient de nous enlever, de l’orateur qui a fait l’admiration et les délices de ses contemporains, de M. Herluison que l’on peut comparer aux plus savants des hommes de son siècle, et qui, de même que les Pithou, les Passerat, les Lecointe, les Boucherat, les Grosley…, sera perpétuellement l’honneur et la gloire de la ville de Troyes. Cette perte a été vivement sentie, et jugée presque irréparable. Je vais vous soumettre une simple Notice sur cet homme à jamais estimable… M. Grégoire-Pierre Herluison naquit au faubourg Saint-Martin de Troyes, le 7 Novembre 1759, et y mourut le 19 Janvier 1811. Il était fils de Pierre Herluison (marchand et employé par l’Administration des Postes comme courrier) et de Marguerite Collot. Son père et sa mère étaient vertueux et jouissaient d’une bonne réputation. Quoique privés de fortune, ils parvinrent néanmoins à donner une éducation convenable à leur nombreuse famille. Ils envoyèrent 3 de leurs fils au Collège de Troyes, et pour se procurer les moyens de payer la dépense de leur éducation, ils se soumirent à toutes sortes de privations. Un ecclésiastique bienfaisant et infiniment respectable, M. Doublet, ancien curé de Saint-Martin, les aida de sa protection. Leurs fils profitèrent des sacrifices qu’ils faisaient en leur faveur. Mais Grégoire-Pierre en profita le plus. Dès son enfance, il fit pressentir qu’un jour il tiendrait le premier rang parmi ses frères et serait un des plus chers favoris des Muses. Se destinant à la prêtrise, il lui fallait un protecteur et des moyens pour faciliter la continuation de ses études. Il trouva l’un et l’autre dans M. De Barral, ancien évêque de Troyes, qui l’admit dans son Séminaire et le fit jouir d’une bourse entière, en considération de sa bonne conduite et de ses rares talents. Ses condisciples racontent qu’il avait tant de facilité et d’intelligence, qu’il était si laborieux et suivait ses études avec tant de succès, qu’aucun d’eux ne pouvait l’égaler. Dans les compositions, il obtenait presque toujours la première place, soit au Collège, soit au Séminaire. Partout enfin ses condisciples reconnaissaient sa supériorité et lui rendaient hommage. Lorsqu’il eut achevé ses études, on l’envoya à l’Ecole Militaire de Brienne-le-Château, où il exerça les fonctions de Professeur jusqu’à ce qu’il eût l’âge requis pour obtenir les ordres inférieurs. Il reçut la prêtrise à l’âge de 23 ans, et de suite on lui donna une place de vicaire à Saint-Jacques. Puis il fut envoyé à Saint-Jean, paroisse de cette ville, en la même qualité. Il resta vicaire pendant environ 3 années, après quoi, par délicatesse de conscience, il s’est abstenu jusqu’à sa mort d’exercer les fonctions relatives à son ministère. Voulant demeurer en paix, il se retira, dès l’âge de 26 ans, dans le sein de sa famille. Renfermé pendant plusieurs années dans l’humble habitation qui le vit naître, il s’y livra tout entier à la Littérature et à l’Etude de la Religion. Mais, à l’époque le plus orageuse de la Révolution, des misérables, à quelques uns desquels sa charité procurait des secours, quoiqu’il ne fût pas dans l’aisance, troublèrent son repos sous le prétexte qu’il n’était pas patriote. Ils le dénoncèrent avec tant d’acharnement, qu’il fut obligé de fuir et d’aller chercher au loin un lieu de sûreté. Quelques temps après, il revint dans ses foyers, où il resta en surveillance jusqu’à la Révolution du 9 thermidor an II (27 juillet 1791). En 1796, l’Administration du département de l’Aube ayant fait publier que la place de Bibliothécaire de l’Ecole centrale de ce département serait accordée par la voie du concours, il se mit sur les rangs, car il avait besoin de se procurer quelques ressources pour aider sa famille. M. Bramand, que ses amis faisaient passer pour un homme d’un mérite distingué, était son principal concurrent. Celui-ci parla le premier et justifia la réputation qu’il s’était acquise. M. l’abbé Herluison monta ensuite à la tribune. On se rappelait que dans le cours de ses études, il avait fait preuve de beaucoup de talents. Malgré cela, ses amis et ses concitoyens craignaient qu’il ne pût l’emporter sur M. Bramand. Mais il ne tarda pas à les rassurer, car il traita son sujet avec tant d’éloquence et d’érudition que tous les suffrages, et même celui de son rival, se réunirent en sa faveur. M. Herluison fut donc nommé Bibliothécaire à l’unanimité. Environ 1 an après, le 10 thermidor an V (28 juillet 1797), jour de fête publique, il prononça « sur le Terrorisme », un Discours dont Tacite se serait honoré, et cependant il ne fut prié de le faire que 4 ou 5 jours avant la cérémonie. Jamais orateur ne fut applaudi que M. Herluison l’a été dans cette circonstance, et ce jour là fut pour lui un jour de gloire et de triomphe ! Mais ce discours si fameux fut cause de la disgrâce de son auteur. La Révolution du 18 fructidor, de la même année, ayant remis en faveur les agents du Terrorisme, certains personnages, qui avaient entendu M. Herluison, qui furent témoins des effets produits pas son éloquence, et qui avaient de fortes raisons pour n’être pas satisfaits de son Discours, ne lui pardonnèrent pas le courage qu’il eut de faire le portrait des Révolutionnaires d’une manière si énergique et si ressemblante. Ces personnages ayant résolu la perte de M. Herluison, réunirent leurs efforts pour le faire proscrire et envoyer le faire destituer, et l’un d’eux lui succéda. M. Herluison fut privé de sa place le 9 novembre 1797. Il avait alors 38 ans. A la veille de cesser ses fonctions, il assista à une cérémonie publique qui avait lieu dans la grande salle de l’Hôtel de Ville, et prononça, « sur l’ennui », un Discours qui charma toute l’assemblée, et à l’occasion duquel son successeur ne put s’empêcher de dire : « Il faut avouer que cet homme-là a bien de l’esprit et du talent ». Après cette cérémonie, M. Herluison retourna dans ses foyers, où il travailla plus que jamais à se perfectionner dans les sciences. Cependant, la Révolution du 18 brumaire an VIII (novembre 1799) avait mis un terme à l’anarchie qui désola la France. A la voix du Premier Consul, qui avait opéré cette heureuse révolution, l’ordre se rétablissait partout, en même temps que de tous côtés on rendait aux hommes de bien et à ceux qui avaient de grands talents, la confiance et les emplois qu’ils méritaient ou dont ils avaient été dépouillés. Dans cette circonstance, M. Herluison ne pouvait être oublié. Aussi fut-il réintégré dans la place de Bibliothécaire en 1800. Au mois d’octobre 1805, il fut réélu par le conseil municipal en qualité de Conservateur de la Bibliothèque, parce que cet établissement était, depuis peu, mis à la disposition de la Ville en vertu d’un décret. Pendant son premier exercice, M. Herluison n’eut que le temps de faire faire les préparatifs et dispositions nécessaires pour opérer le placement et la classification des livres. Lorsqu’il reprit ses fonctions (environ 3 ans après), il retrouva les livres dans le même état où il les avait laissés, entassés pêle-mêle sur le plancher dans toute l’étendue de la salle. M. Herluison fut secrétaire de la Société Académique depuis 1800 jusqu’à fin 1804, et, depuis cette époque jusqu’à sa mort, il en fut le président. En 1804, il fut nommé professeur de rhétorique au Collège de Troyes, que l’on venait de rétablir. Il faisait de temps en temps, des Discours sur divers sujets de morale et de littérature que chacun s’empressait d’aller entendre. Il commença un précieux travail, un « cours de littérature ou Traité d’Etudes ». 6 années étaient faites, et son intention était de terminer en 1812 ce monument de sa science et de son zèle. Il venait de commencer la 7° année, lorsqu’un rhumatisme goutteux l’obligea à cesser toues ses fonctions. Sentant sa fin approcher, il se fit administrer l’extrême onction le 17 novembre 1810, il fit son testament, et le 19 janvier suivant, il décéda. Ainsi mourut l’un des hommes les plus célèbres par sa science qu’ait produits la ville de Troyes… Comme écrivain, il était le premier du département de l’Aube et comme l’un des plus habiles qu’il y eut en France. Il savait parfaitement l’hébreu, le grec et le latin… Malgré les charges qu’il avait à supporter, il trouva le moyen d’économiser assez pour reconstruire et agrandir sa maison et pour se procurer la plus riche bibliothèque et la plus considérable qu’il y ait à Troyes. Par son testament, il a légué à la ville 200 volumes pour être déposés dans la bibliothèque de la Municipalité. Il a été inhumé à Saint-Martin-ès-Vignes, sa paroisse, le 21 janvier 1811 ».
C’est lui qui fit un discours sur le proverbe : " quatre-vingt-dix-neuf moutons et un Champenois font cent bêtes ".
Le Conseil municipal de Troyes décide, le 29 octobre
1979, de donner le nom de Grégoire Pierre Herluison à une rue de Troyes.
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