« Celui-là il m’a bien assaisonné ! ». Ce fut le dernier mot que prononça avant de mourir S… l’ancien bagnard.
C’était en décembre 1956.
Quand le médecin arriva sur les lieux, en l’occurrence une modeste petite demeure près de Troyes, S… gisait sur une chaise.
Son amie M… répéta au praticien qu’elle avait fait appeler : « Il m’a dit : celui-là il m’a bien assaisonné ! ».
Examinant la victime, le médecin fut immédiatement intrigué par les traces suspectes que présentait le cou et notamment une ecchymose violacée sur le côté droit. Il ne semblait pas faire de doute que l’homme avait été « serré », voire étranglé. Dans ces conditions, il n’était plus, question de délivrer le permis d’inhumer et les gendarmes étaient prévenus.
Les enquêteurs eurent tôt fait de préciser la personnalité de S… Curieux personnage : né en 1901, il avait été condamné quelques années avant la guerre par la Cour d’Assises à 20 ans de travaux forcés et 10 ans d’interdiction de séjour pour meurtre.
Ayant bénéficié d’une remise de peine pour bonne conduite, il était venu s’installer dans l’Aube, et il vivait depuis 4 ans avec la femme M… Il ne devait se signaler à l’attention des gendarmes que par des délits mineurs. Mais il buvait et, c’est plus d’une fois que sous l’emprise de la boisson il avait de violentes querelles avec sa compagne. En dernier, il ne travaillait que rarement. Quelque temps avant sa mort, on l’avait vu bêcher chez un médecin des environs.
Mme M… fut longuement entendue par les gendarmes. Elle expliqua que la veille de sa mort, l’ancien bagnard qui le jour précédent était revenu complètement ivre, était venu dans l’après-midi en se plaignant de la gorge. « J’ai dû –dit-il- attraper une angine en travaillant ».
Son amie s’aperçut alors que S… portait des traces au cou. Elle lui mit des compresses, mais l’état de l’ancien bagnard empira. Le médecin ne fut appelé que le lendemain. Il était trop tard.
Il restait à identifier ce mystérieux « Il » accusé par l’ancien bagnard de l’avoir « assaisonné ». Il s’agissait de savoir qui avait rencontré S… dans les jours précédant la mort. La faune qui fréquentait le café ne put apporter aucune indication utile. Quant aux voisins, ils n’avaient rien vu. Ni entendu d’anormal. Il est vrai que l’homme et la femme se disputaient si souvent, que l’entourage n’y faisait plus attention.
Le parquet de Troyes se rendit sur place. Les magistrats avaient ordonné que le cadavre soit laissé sur sa chaise afin que le médecin légiste puisse mieux se rendre compte des causes du décès. L’autopsie serait pratiquée par le professeur Martin de Paris. Il faudrait donc attendre pour éclairer le mystère du trépas de l’ancien bagnard. Le décès avait pu se produire plusieurs jours après une bagarre où S... aurait eu le cou serré. Il faudrait donc supposer dans ce cas que son antagoniste lui aurait détérioré les cartilages du cou. Dans ce cas le décès aurait pu intervenir 3 ou 4 jours plus tard.
Les premiers éléments rassemblés par la brigade des recherches de Troyes semblaient indiquer que cette bagarre remontait à 1 mois, de sorte que S…ne serait pas mort des suites de cette rixe lointaine. Toujours assis sur sa chaise, le cadavre attendait l’arrivée du médecin légiste.
Répondant aux questions de la police, M… dit : « J’étais veuve et il était seul. Vous savez, quand il n’avait pas bu, il était bien gentil. Il faut que l’on retrouve le criminel, car je suis innocente ».
Innocente, elle l’était en effet la pauvre femme. En réalité, il n’y avait jamais eu de crime, ainsi que devait formellement le conclure le professeur Martin de Paris dont le rapport devait constituer une manière de coup de théâtre : S… était mort d’une angine phlegmoneuse avec névrose ayant brusquement provoqué l’asphyxie mortelle.
Restait cependant à expliquer les ecchymoses relevées sur le cou : le malade se sentant étouffer avait pu lui-même porter ses mains à sa gorge. Il n’en demeurait pas moins que S… avait été mêlé à une bagarre et que les coups reçus avaient peut-être hâté le dénouement d’un mal dont il souffrait depuis longtemps.
On ne devait jamais entendre parler de « l’autre », celui avec lequel il s’était battu.
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