" Toi, va jouer dehors ! " dit Medhi à son fils. Sa planche à roulettes sous le bras, il déboule dans la petite cour où sont déjà rassemblés ses copains. Dans l’appartement, sa sœur aînée attend sans bouger tandis que son beau-père tire les rideaux du living. Cette scène de cauchemar, Amélia l’a vécue d’innombrables fois depuis quatre ans, depuis ce jour où son beau-père l’a violée pour la première fois, alors qu’elle avait tout juste 9 ans.
Aujourd’hui, en ce samedi de septembre 1992, elle en a 13. Mais, rien n’a changé. " Pas un mot à personne ", répète son beau-père quelques minutes plus tard en allant rouvrir les rideaux. Amélia n’a pas la force de parler. " D’ailleurs, ajoute l’homme avec cynisme, personne ne te croirait et cela ferait de la peine à ta maman…". Cette phrase, depuis quatre ans, Amélia la retient.
Sa mère rentre, peu après, du supermarché en compagnie du dernier enfant, un bébé de 2 ans. La petite ne lui dit rien, pour ne pas lui faire de chagrin. Parce qu’une petite fille comme elle ne connaît que la honte et le silence…
Amélia s’emploie à donner le change. D’abord à ses camarades du cours privé où sa mère l’a inscrite en 1990, à Sainte-Savine, à quelques centaines de mètres de l’appartement familial. Pas question d’avouer, même à ses meilleures amies, que Medhi n’est pas son vrai père – celui-là, elle ne l’a jamais connu -, mais simplement le mari de sa mère. Elle n’a pas révélé non plus que ses deux frères de 10 et 2 ans ne sont que ses demi-frères. Elle veut avant tout donner l’image d’une famille normale. Elle s’invente une existence sentimentale. Elle raconte qu’elle a un petit ami qui l’emmène le samedi faire du patin à glace. En fait, elle n’a le droit de sortir que dans la petite cour de la résidence où elle habite, et encore, la plupart du temps elle est accompagnée de son demi-frère de 10 ans, qu’elle a la charge de surveiller… Amélia affiche la même réserve avec ses professeurs. Ceux-ci prêtent peu d’attention à cette grande fille qui est en retard de deux ans sur les autres élèves, mais qui met une bonne volonté évidente à essayer de suivre le rythme de la classe. Comment pourraient-ils imaginer qu’elle a commencé à avoir de mauvaises notes lorsque son beau-père a tué d’un coup son enfance ?
A partir de l’automne 1992, ce secret devient encore plus lourd à porter, car Amélia est enceinte d’un enfant de son beau-père. Medhi pense tout de suite à un avortement, une IVG, comme cela s’appelle dans le langage administratif au bureau du planning familial tout proche de chez eux. Mais Amélia est enceinte de plus de huit semaines, délai légal au-delà duquel aucun médecin n’accepterait de pratiquer un avortement. Medhi dit que puisque l’enfant doit naître, il naîtra. Mais Amélia accouchera seule, en cachette, et ils se débarrasseront du nouveau-né… La petite fille ne proteste pas, elle va cacher sa grossesse. Cela lui est d’autant plus facile qu’elle a toujours été un peu boulotte. Ses amies qui la savent gourmande, la voient grossir sans surprise. Sa mère lui dit que si elle n’arrête pas de manger des crêpes, elle va devenir énorme.
En théorie, la naissance est prévue pour le début du mois de mai, mais dans la nuit du vendredi au samedi 6 mars, Amélia se réveille, elle ressent des contractions. Elle souffre tant qu’elle finit par appeler son beau-père. Elle le fait discrètement, pour ne pas réveiller ni sa mère ni ses frères. Une demi-heure plus tard, Medhi coupe le cordon ombilical. Sans un mot, il tend à sa belle-fille un sac en plastique dans lequel elle enfourne le bébé. Puis Amélia quitte l’appartement avec son fardeau. Quand elle revient quelques minutes plus tard, elle a les mains vides. Elle va se recoucher, mais elle perd son sang en abondance. A 6 heures du matin, elle appelle sa mère qui alerte le SAMU. Le médecin comprend tout de suite l’origine de l’hémorragie. A l’hôpital, Amélia, dès la première question qu’on lui pose, s’effondre. La voix entrecoupée de sanglots, elle raconte l’inceste, les menaces, la grossesse, l’accouchement et le dernier acte atroce, ce sac en plastique qu’elle est allée jeter elle-même dans une bouche d’égout. Les policiers retrouvent le macabre paquet, à l’angle de la rue Médéric et de la rue Claude-Foullon. Le bébé, dont l’autopsie démontrera qu’il était vivant au moment où il a été jeté là, est mort faute de soins. Medhi, le beau-père est entendu, il avoue.
Mis en examen par la juge d’instruction pour viol par surprise, attentat à la pudeur de moins de 15 ans, et complicité d’infanticide il est écroué à la prison de la rue Hennequin.
Dans sa chambre d’hôpital, Amélia se remet doucement de ce drame, en attendant d’être entendue par le juge d’instruction qui décidera ou non, de la poursuivre pour infanticide.
Mais n’a-t-elle pas déjà assez payé ? Et comment pourra-t-elle oublier ces quatre années de viols incessants ? Comment pourra-t-elle oublier cette jeunesse qu’il lui a volée, brisée ? Comment pourra-t-elle effacer de sa mémoire cet accouchement sordide, en présence de cet homme qui était à la fois son tortionnaire et le père de l’enfant dont elle allait se débarrasser ?
J’ai changé le prénom de la jeune fille.
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