Cela aurait pu se passer aujourd’hui.
En 1916, une affaire aussi sensationnelle que révoltante se fait jour dans notre ville et cause une vive émotion, tant dans la population, qu’au conseil municipal, où un conseiller déclare ce qui suit :
" ... Comme la population troyenne, et avec la presse locale, nous apprenons avec stupéfaction que les individus arrêtés avant-hier, par M. Bert, commissaire de police, ont été remis en liberté provisoire par M. le juge d’instruction quoique ayant été mis sous mandat de dépôt par M. le Procureur de la République.
Ils n’ont plus qu’à recommencer ou tout au moins à flanquer une belle correction aux filles qui ont eu l’audace de se plaindre au commissariat !
C’est probablement pour leur en laisser tout le loisir qu’on les a remis en liberté.
Il est inimaginable de voir circuler, goguenards, en ville des jeunes gens qui ont commis un acte que le code pénal qualifie de crime et qui ont avoué l’avoir commis.
Jusqu’ici, on connaît des associations de malfaiteurs ayant pour but le vol ou l’assassinat, mais on en a encore jamais rencontré ayant le viol pour motif.
Or, c’est là le but honteux entre tous qui met en mouvement une bande dont la police vient de mettre fin aux agissements.
Nous en passerons de répugnants détails sous silence. On a peine à concevoir de tels faits qui font singulièrement descendre l’étiage de la moralité d’une certaine classe d’individus et qui semblent ne pouvoir être accomplis que par la pègre.
Il faut savoir que ces actes odieux ont été commis par de tous jeunes gens.
Ils s’intitulent " La Bande des Z ", ou si vous aimez mieux, la bande des " Zigomars ", du nom d’un héros de film de bas étage qui apparaît toujours masqué.
Le 27 juillet, une plainte est produite au commissariat.
Au bout de 24 h, le commissaire réussit un coup de filet magnifique 21 individus passent aux aveux complets.
La plainte vient d’une jeune bonnetière. Elle raconte que depuis 15 jours, une bande de jeunes gens la suivent quand elle rentre tardivement à son domicile, car elle accomplit une fonction qui la fait revenir chez elle lorsque la nuit est close.
Le 21, elle se promène mail des Charmilles avec un jeune homme qu’elle connaît. Lorsque le couple arrive dans un endroit désert, une bande 20 individus surgit, leurs visages dissimulés par un mouchoir. Ils tombent sur le couple, font mine d’administrer une correction au jeune homme et entraînent sa compagne dans un champ de blé voisin. La jeune fille est alors victime de toute la bande !
Une seconde victime de 16 ans vient aussi porter plainte. Le 17 juillet, elle se promène en amoureuse compagnie rue de Gournay. La même scène se renouvelle.
Une troisième vient se plaindre. Le 20 juillet, elle se trouve boulevard du 14 juillet, avec un ami. Les Zigomars bondissent, le visage masqué. Le compagnon de la jeune fille l’abandonne après un simulacre de combat et elle est bâillonnée. Pour être délivrée, elle simule des étouffements. Ils lui enlèvent alors le mouchoir, et elle peut crier au secours. Un sous-officier qui passe intervient, et les agresseurs prennent la fuite.
Le commissaire apprend qu’un rabatteur, expert en galanterie est chargé de capturer le gibier, comme disent les zigomars.
Vingt et un, âgés de 17 à 20 ans sont arrêtés et inculpés de viol.
Ils le reconnaissent et désignent leur triste opération : " faire passer une corvée à une fille ".
Leurs noms sont des sobriquets : le Frisé, la Puce, Tatave…
Ces jeunes gens sont remis en liberté ! Cette décision cause une réelle émotion, et l’opinion publique est fort irritée !
Les Z sortent du Palais de Justice, narguant les agents qui les ont amenés, vont boire l’apéritif au Café de la Poste, faire la bombe aux Charmilles et commencent leurs représailles.
C’est ainsi qu’une dame Brugnereau, rue Viardin, est allée au commissariat et a déclaré que le nommé K..., un des chefs de la bande, s’est présenté chez elle parce qu’il la soupçonnait d’être l’auteur de la dénonciation. Il entre de vive force, lui fait une scène violente, la frappe et emmène sa fille, avec laquelle il entretient des relations auxquelles la mère s’oppose...
Oui ou non, y a-t-il encore une justice à Troyes ?
On arrive à en douter.
En tout cas, pour ma part comme pour celle de nombreux de nos concitoyens, je ne sortirai plus le soir qu’avec un solide browning dans ma poche.
Ce sera plus sûr et plus rapide !
Nous vous demandons ce soir, monsieur le Maire, de bien vouloir intervenir pour obliger le Procureur à reprendre l’instruction de cette affaire. Il y va de la sécurité de nos rues et de la moralité publique. "
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