Le 10 août 1951, dans la salle de classe de la mairie-école de Chamoy, Mme Labrut, 73 ans, sa bonne, Lucie Roussel et son fils Louis Labrut, tentent de se disculper des soupçons que leur attitude a suscités après la découverte du cadavre de Mme veuve Barrat, l’octogénaire du pays, disparue depuis le jeudi 26 juillet.
Malgré ses questions énergiques ou rusées, malgré ses hommes et ceux de la brigade d’Ervy-le-Châtel disséminés dans la classe, le brigadier-chef Michelin, commandant la Brigade des recherches de Troyes, a devant lui trois " élèves " récalcitrants, aux réponses fuyantes.
Pourtant, trois jours plus tôt, le fluide d’un seul homme, agissant, à quelque 60 km de là, a suffi à éclairer l’enquête.
Après 13 jours de vaines recherches, grâce aux indications de M. Guay-Hampe, fermier à Dienville, et fervent radiesthésiste, les enquêteurs savent ce qu’il est advenu à Mme Barrat.
Née à Paris, mariée à Chamoy, à un homme de 17 ans son aîné, elle vit plusieurs années dans ce village avant de regagner Paris, pour s’y faire soigner, atteinte de troubles mentaux. Au bout d’une cure de quelques mois, on la suppose guérie, mais son instabilité d’humeur ne disparaît jamais complètement : après 35 ans de mariage, elle se sépare de son mari, l’accusant de l’empoisonner à l’arsenic, et elle reste dans la capitale, son travail de lingère lui permettant de gagner aisément sa vie. En 1948, elle écrit à Mme Bourgeois, sa nièce qui habite Chamoy, la suppliant de la prendre auprès d’elle.
Mme Barrat habite plusieurs mois chez elle, jusqu’au jour où, l’atmosphère de cette maison ne lui plaisant plus, elle supplie une cousine de l’installer chez elle, à 100 mètres de là. Elle a 83 ans et d’humbles rentes, qui décident cette parente à lui donner l’hospitalité.
Depuis son retour à Chamoy, Mme Barrat se lie d’amitié pour une autre cousine, la veuve Labrut, et devient même la marraine de son fils Jean, qui habite Maison-Laffite. Mme Labrut vit seule avec sa bonne, dans une maison isolée, entre le village et la gare, où la veuve Barrat déjeune plusieurs fois par mois. Elle promet à son filleul Jean Labrut, de lui laisser tout ce qu’elle possède, et elle se prend de sympathie pour les 18 ans de Lucie Roussel, enfant de l’Assistance Publique, et petite bonne de Mme Labrut.
Le mercredi 25 juillet Lucie Roussel, se rend au village pour y chercher du lait, et passe saluer Mme Barrat. La voisine Mme Cloquemin, affirme avoir alors entendu la jeune fille dire à l’octogénaire : " Venez déjeuner à midi, votre filleul est là ". Vers 16 h, Mme Barrat regagne le village. A l’épicerie de Mme Biche, on l’entend raconter : " Je viens de déjeuner chez Mme Labrut. On m’avait dit que mon filleul serait là, mais je ne l’ai pas vu ".
Mme Labrut et sa bonne, tout en reconnaissant que leur vieille amie a déjeuné avec elles, nient l’avoir invitée, et encore moins avoir parlé de la présence de Jean à Chamoy.
Le lendemain, jeudi 26 juillet, on voit, le matin, Mme Barrat chez elle. Vers 14 heures, Lucie Roussel qui revient d’une course, la dépasse à bicyclette. A pied, la vieille dame quitte le village : " Je vais au bois ", dit-elle à la jeune fille.
Nul ne revoit plus la vieille dame vivante. Le vendredi et le samedi passent. Au soir du dimanche 29, M. Cloquemin signale au maire la disparition de sa voisine. Le lendemain, les gendarmes d’Ervy-le-Châtel, commencent leurs recherches. Ils fouillent même, avec un chien policier, les rives de la Trémagne. En vain.
Le samedi 4 août, M. Gay-Hampe, le paysan radiesthésiste de Dienville, déclare à un gendarme d’Ervy : " J’ai cherché à retrouver la disparue de Chamoy. Mon pendule la suit jusqu’à la gare. Ou bien elle a pris le train, ou bien elle est dans la Trémagne qui passe juste à côté ". Le mardi 7 août, le pendule du fermier conduit l’enquête jusqu’au cadavre : il est couché, face contre terre dans les 50 centimètres d’eau de la rivière, à 200 mètres de la maison de Mme Labrut. Un sac de toile, vide, est abandonné sur la rive. On ne retrouve pas l’argent de la morte, entre autres : 13.750 francs que la malheureuse avait touchés à la poste quelques jours plus tôt, et 5 bons du Trésor de mille francs. L’autopsie confirme que la vieille femme est morte avant d’avoir été jettée dans l’eau. On recherche partout, avec annonces dans la presse locale, les bons et l’argent disparus. Mme Bourgeois va même demander à Mme Labrut si la vieille tante ne les lui aurait pas confiés : " Non, non ", assure l’amie de la morte. Jusqu’au jeudi 9 août, tard dans la soirée, où Mme Labrut se souvient brusquement que la veille même de sa disparition, la victime lui a remis les 5 bons introuvables. Elle le déclare au maire, M. Joffrin, qui avise les gendarmes. Et, dans la classe de Chamoy, où les 3 témoins ont été amenés, ces contradictions sont loin d’être balayées.
Bien des points demeurent troublants : 1) Mme Barrat n’a pas pu gagner seule l’endroit de la rivière où on l’a retrouvée : le chemin est impraticable pour elle, qui ne marche qu’avec peine. Peut-être même n’y était-elle pas encore au moment des premières battues, car 2 gendarmes et 1 chien policier sont passés à 10 mètres de là sans rien voir. 2) les versions fantaisistes données par Lucie Roussel et Mme Labrut ne cachent peut-être que le désir de conserver les quelques billets de la défunte. Le pendule a conduit le début de l’enquête et dévoile à son médium, M. Gay-Hampe, que Mme Barrat a été assassinée par un homme qui est parti, son coup fait, à Paris, et détroussée par une femme qui possède encore l’argent.
Coup de théâtre lors de la reconstitution : " J'ai
menti ", avoua Mme... Le 20 avril 1953, elle paraît devant la Cour d'Assises de l'Aube. Le Président : " Vous vous êtes acharnée sur elle, vous avez eu ce triste courage. Sans aucun affolement,
vous l'avez dévalisée. Tout était méticuleusement préparé pour égarer les soupçons ". Avant que les jurés ne se retirent, Mme ... eut ce tardif repentir : " Je demande pardon à la Société ".
3/4 d'heure plus tard, le Président prononçait le verdict : " 15 ans de travaux forcés " pour la diabolique de Chamoy.
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