"Mais où vas-tu ? Je t’ai demandé de m’accompagner chez mes parents ! ". Liliane Damoiseau tourne vers son mari un regard suppliant. Daniel fixe la route avec une sorte de rage, en cette nuit du 24 juin 1976. " Ferme ta gueule ! Nous sommes presque arrivés ". Les phares éclairent un instant le poteau indicateur de La Chapelle-Saint-Luc. Le conducteur freine devant un pavillon. Il donne deux appels d’avertisseur, bondit hors du véhicule, répand sur le trottoir les affaires de Liliane hâtivement emballées dans une valise. «"Gortz, hurle-t-il, je te laisse la putain !". Eperdue de honte, Liliane sent des larmes d’humiliation rouler le long de ses joues, tandis que son mari démarre en trombe. Elle se trouve devant le domicile de son ex-amant. Comment Daniel en a-t-il connu l’adresse ? La porte s’ouvre, Mme Gortz demande : " Que s’est-il passé ? Avez-vous besoin d’aide ? ".
Il y a 9 ans, à 31 ans elle accepte les regards masculins, comme un hommage à sa beauté. C’est ce regard là qu’Adolphe Gortz lui jette dans un supermarché de Troyes. 7 novembre 1967, Liliane répond par un sourire à l’homme distrait pendant un instant de son travail : il est en train de réparer une caisse enregistreuse. Elle sourit, et reste là à le contempler. "J’en ai pour un moment. Vous feriez mieux d’aller à une autre caisse ". " C’est un drôle de métier, lance-t-elle. Moi, je suis dans un bureau toute la journée ". Un quart d’heure plus tard, ils quittent le magasin ensemble pour aller boire un verre. Le soir, Liliane retrouve Daniel, son mari depuis douze ans. Elle est si absorbée par l’étrangeté de son comportement qu’elle n’entend pas Daniel : " Qu’est-ce que tu as aujourd’hui ? Cela fait trois fois que je te pose la même question ". "Je suis un peu fatiguée ". Elle espère avoir réussi à tromper la vigilance de son mari. Il est déjà tellement soupçonneux. S’il savait qu’elle vient d’accepter un rendez-vous pour le lendemain, avec un inconnu ! Il est 18 h, ce 8 novembre, quand elle pénètre dans une brasserie du boulevard Victor Hugo. Adolphe est là, elle s’assied à côté de lui. " J’ai pensé à vous ", dit-il. " Moi aussi ". Trois jours plus tard, elle devient sa maîtresse, dans un hôtel. Pour Liliane, c’est une première aventure. Mais il est difficile de tromper la méfiance du mari. Jamais Liliane ne peut rester longtemps auprès d’Adolphe : " Ton époux te surveille tout le temps ? ". " Il me téléphone au bureau deux fois par jour pour me demander si ça va, ou bien il vient me chercher à la sortie, à l’improviste ". " C’est un jaloux ! ". Adolphe est marié, il a trois enfants. Liliane a l’impression que Daniel soupçonne quelque chose depuis le début de l’année 1969. Il la questionne sur son emploi du temps, le soir, après le bureau : " Tu rentres directement ? ", lui demande-t-il d’un air sombre ? " Oui, bien sûr. Parfois je flâne dans les magasins ". Le 13 août 1969, elle arrive chez elle à 19 h. Daniel est déjà là : " D’où viens-tu ? " interroge-t-il : " Du bureau ". Il la repousse si violemment, qu’elle se tord une cheville. " Menteuse ! Tu viens de coucher avec ton amant ! ". " Tu es fou " proteste-t-elle faiblement. " Tu vas me dire qui c’est ". Il l’empoigne par les cheveux, lui assène gifle sur gifle. " Il s’appelle Adolphe Gortz, je l’ai rencontré en faisant des courses au supermarché ". " Où habite-t-il ? ". " Il est marié, je t’en prie. D’ailleurs, je vais rompre, pardonne-moi. ". Elle dit tout ce que Daniel veut savoir. " Je vais le voir ton mec ! ". Il revient deux heures plus tard, fou de colère : " Il n’est pas rentré ! J’ai tout raconté à sa femme. Elle ne voulait pas me croire, mais je lui ai donné assez de preuves. Maintenant, je vais m’occuper de toi ". Ils déménagent, dans un pavillon, 3 rue Edme-Auguste Millard. " Comme ça, se dit-il, si l’autre veut la retrouver, il ne saura pas où s’adresser ". Puis il lui fait quitter son emploi : " Tu vas travailler avec moi ". Et il parvient à la faire entrer à l’Hôpital des Hauts-Clos, où il est agent dans les services administratifs. Ils arrivent ensemble, déjeunent ensemble, partent ensemble. Cette liaison avec Adolphe s’est terminée d’elle-même, sans une explication, ils ne se voient plus, tout simplement. Ce qu’elle ignore, c’est que, de la même façon, le couple Gortz déménage pour aller s’installer dans un pavillon de la Chapelle-Saint-Luc. Sept ans ont passé depuis ce 13 août 1969, où Liliane a avoué son infidélité. Et voilà que Daniel rentre, le 24 juillet 1976, écumant de colère : " Alors, tu t’es débrouillée pour le retrouver ? Tu n’as pas cessé de me tromper ! Ne nie pas, l’un de mes amis t’a vue dans la rue avec un homme ! Salope, putain ! ". " Daniel, si tu continues, je rentre chez mes parents, et je demande le divorce ". " Eh bien, retournes-y dans ta famille, je vais t’y conduire en auto, je ne veux plus de toi ". Il roule vers La Chapelle-Saint-Luc. Enfin, il s’arrête : " Gortz, je te laisse la putain ! ". Adolphe et sa femme, accourent auprès de Liliane. Elle les met au courant : "Voulez-vous me raccompagner chez mes parents ? ". Ils se mettent tous les trois en route, dans la R16 d’Adolphe. Celui-ci se retourne vers elle et déclare : "Je vous ramène chez vous ! Je veux avoir une explication avec Damoiseau ". " Il est armé, balbutie Liliane. Il se prépare pour la chasse ". 23 h 10, la R 16 s’arrête devant chez elle. Gortz sonne. Le mari surgit, fusil braqué : " Remonte dans ta voiture ou je te fiche en l’air ". " Je veux te parler ". " Non ! fous le camp ". Adolphe avance la main vers la grille. C’est alors que la détonation éclate. Adolphe s’effondre.
C’est le 11 mai 1978 que s’ouvre le procès de Daniel Damoiseau, aux Assises de Troyes. La famille Gortz s’est portée partie civile en la personne de Maître Vigo. Le meurtrier, inculpé d’homicide volontaire, est défendu par Mme Dayan. Le mystère de cette vengeance à retardement est loin d’être éclairci. " J’ai tué, dit Daniel, parce qu’elle n’avait jamais vraiment rompu ". " C’est vrai, confirme Liliane, mes relations avec Adolphe ont repris dès le début de l’année 72. Tout a recommencé un jour où je l’ai rencontré, par hasard, dans une rue de Troyes ". " C’est faux ! affirme Mme Gortz, leur aventure était terminée depuis 1969. J’en ai la certitude. Il n’avait plus jamais vu cette femme, il l’avait oubliée. Mon époux a été tué pour un acte commis sept auparavant ".
Malentendu ou " justice " faite par un mari bafoué…les débats n’ont pas permis à la vérité d’éclater.
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