Quand elle sourd de la terre, fraîche et limpide, prête à étancher la soif des animaux et des humains, l’eau est véritablement l’aliment essentiel.
Elle est indispensable à toute vie et nous comprenons que nos premiers ascendants aient tout particulièrement recherché les sources et s’y soient attachés puisque c’était là qu’ils pouvaient trouver l’eau dans sa pureté originelle.
De nombreux souvenirs attestent du culte ancien rendu à l’eau pure de nos sources auboises. On a trouvé une statue d’Apollon dans la source de la Dhuie à Aix-en-Othe. La déesse de l’Abondance présidait autrefois à la source de Volanflot à Chasseney et les chasseurs lui faisaient offrande des plus beaux bois de cerfs abattus dans la forêt voisine.
Quand s’établit en nos contrées la religion chrétienne, elle s’élève avec vigueur contre ces pratiques païennes. Ainsi, en 452, au concile d’Arles, les fidèles qui s’obstinent à vénérer les fontaines sont excommuniés.
C’est aussi par la peur qu’on a essayé de détourner le peuple, des fontaines auprès desquelles risque de se perpétuer l’ancien culte. On disait que les sources d’Etourvy et de Chervey étaient celles du diable. Par leur bouillonnement, les eaux d’Engente et d’Etrelles donnaient une idée de la chaudière infernale. A Vendeuvre, l’eau de la fontaine du Père Mauvais était noire et bizarre depuis qu’un charretier avait invoqué Satan sur ses bords ; il n’était pas conseillé de la fréquenter. Et quand on essayait de chercher le trésor prétendu enfoui dans la citerne du château de Bagneux ou dans le puits du Petit Mesnil, on était assuré que le travail effectué pendant le jour serait détruit la nuit par de méchants esprits.
Malgré cela, les esprits des eaux n’en continuent pas moins à hanter l’âme des humains, et la hiérarchie chrétienne renonce à s’attaquer à ces habitudes. Elle adopte les lieux où le peuple vénère l’eau pure et ses divinités. Elle confie chacun d’eux au patronage d’un saint, y implante la croix du Christ, et, dès qu’il est possible, construit une chapelle sur la source ou dans sa proximité immédiate.
Ces pratiques ont persisté par delà les siècles, avec des pèlerinages (dont les dates correspondent aux divisions du calendrier celtique), au cours desquels, encore au siècle dernier, les aubois rendaient hommage à nos fontaines.
Ce sont de belles histoires qui disent comment la source est née et le pourquoi des bienfaits que lui attribuent les fidèles, ainsi que les vertus miraculeuses de certains puits, par les mérites de martyrs dont le corps y a été précipité : sainte Jule à Troyes, saint Balsème à Arcis, sainte Tanche à Lhuître.
L’eau des sources bénéfiques était censée procurer la prospérité, conformément à l’ancienne croyance en ses propriétés fécondantes.
On faisait procession vers certaines fontaines, il n’y a pas si longtemps, pour obtenir que la pluie tombe ou cesse : à Notre-Dame de Bar-sur-Seine, à sainte Germaine de Bar-sur-Aube, à sainte Anne de Cunfin et à Vendeuvre.
Certaines sources passaient pour combattre la stérilité féminine (Bérulle, Soligny), ou bien aider les femmes en couches (Saint-Flavy). D’autres aidaient les bébés et les enfants dans leur croissance (Brienne, Donnement, Jaucourt, Montceaux, Montpothier, Rouvres, Saint-Benoît et Saint-Nicolas-la-Chapelle). A La Chaise, la source de Saint Yvoce guérit les fièvres, calme les coliques, rend fécondes les femmes stériles. La source Sainte Anne près de Cunfin, était en grande réputation, elle guérissait les boiteux, était efficace pour les maux d'yeux, les douleurs et d'une façon générale comme le point de départ de toutes les maladies connues et inconnues. Il fallait boire de l'eau et y tremper des linges.
A Vitry-le-Croisé et à Vendeuvre, il était même possible de rappeler à la vie les enfants morts-nés, tout juste l’instant de les baptiser.
Les eaux de Chassericourt, Etourvy, Fontette, Saint-Benoît-sur-Seine, étaient capables de connaître de l’infidélité des épouses ou des fiancées.
Qui buvait de l’eau à Bar-sur-Aube, Moussey, Rumilly, Saint-Nicolas-la-Chapelle, était assuré de trouver à se marier dans l'année.
On ne trempe plus son doigt à Chassericourt à la fontaine saint Gengoult, comme le faisaient les jeunes gens, quelque temps avant leur mariage. Si celui-ci sortait mouillé, son possesseur était censé ne pas rester fidèle... les malins enduisaient alors leur doigt d'un corps gras pour prévenir la sentence.
De même, immerger son bras à la fontaine saint-Georges d'Etourvy, était une épreuve de fidélité conjugale.
La fontaine miraculeuse de saint Yvoce de La Chaise, dans le canton de Soulaines-Dhuys permettait d'éviter la sécheresse, et les femmes avaient l'habitude de la boire, pour éviter des problèmes de fécondité. La statue du Saint se trouve dans l'église de La Chaise, bâtie autrefois par les moines de Saint Berchaire.
A Trannes, la fontaine Saint Michel " à l'eau toujours pure, claire et limpide, a la puissante vertu de préserver les jeunes filles contre les entreprises amoureuses trop risquées ". Elle guérit également les enfants fiévreux qui en boivent.
Dans un bois près de Jaucourt, près d'une croix en fer forgé, se trouve la source Saint Jon, surmontée d'une pierre moussue. Saint Jon est le nom populaire du bienheureux Jean de Gand qui, vers 1440, vécu en ermite dans ce coin solitaire. La source avait " une efficacité merveilleuse sur les maladies infantiles ". Une autre particularité mérite d'être retenue : " elle ne déborde jamais sauf quand une guerre doit se produire dans l'année ". Ainsi, au cours de XX° siècle, elle a débordé en 1914 et en 1940 !
Les eaux du plus grand nombre de nos sources auboises guérissaient. En voici un résumé : la fièvre à Dierrey, Dosches ou Saint-Jean-de-Bossenay.
On soignait son estomac à Colombé, se débarrassait de ses coliques à Montreuil et Vallant-saint-Georges, on calmait ses maux de dents à Fontenay-de-Bossery, tempérait son foie à Bar-sur-Seine, débloquait ses reins à Rilly-sainte-Syre et Montceaux.
Les rhumatisants allaient à Bar-sur-Seine ou Cunfin, les nerveux à Brienne ou Pel-et-Der.
Qui craignait le choléra ou la peste s’adressait à saint Jean de Brienne et à sainte Jule de Troyes.
L’enflure trouvait remède à Neuville-sur-Vanne ou à Nozay.
Les maladies de peau s’effaçaient devant saint Gengoult de Vougrey, sainte Tanche de Montfey.
Saint Clair de Vaudes et de Moussey, sainte Anne à Cunfin, sainte Reine à Isle-Aumont, saint Quentin à Nozay, saint Gengoult à Ormes, conservaient ou redonnaient la vue.
La fontaine de la Creuse guérissait l’impétigo, celle de saint Eutrope les personnes souffrant d’hydropisie.
Captée en 1844, la source de St- Bouin (près de St-Mards-en-Othe), guérissait les fièvreux et les personnes convalescentes ou atteintes d'indispositions rétives.
Il nous reste quelques monuments : des chapelles parfois délabrées, des croix, des fontaines aménagées mais souvent envahies de ronces, des niches souvent vides de leurs saints (statues cassées, volées, au mieux, transportées en l'église du village)… mais il ne reste plus rien des pratiques anciennes près d’une source autrefois vénérée.
Le dernier pèlerinage de l’Aube où il y a encore de l’eau, est celui Notre-Dame-du-Chêne, près de Bar-sur-Seine. Au sortir de la chapelle, il y a une grotte rustique, avec une source qui ne tarit jamais. On ne manque pas d’attribuer une vertu à cette eau sanctifiée par le voisinage de Notre-Dame. En 1668, a été encastré dans la grotte, le bénitier en pierre de l’ancienne chapelle. Sur le frontispice, on peut lire : " Allez à la piscine de Siloé, votre foi vous a sauvé ". C’est une allusion à la guérison d’un aveugle de l’Evangile.
Ne sourions pas de ces croyances de nos ancêtres et de leur foi en les propriétés de nos sources. Le temps n’est peut-être pas loin où nous regretterons de ne plus trouver pour étancher notre soif, cette eau pure, naturelle et saine que, jusqu’à ce jour, elles nous prodiguaient.
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