Le vendredi 21 janvier 1910, la pluie qui ne cesse de tomber depuis plusieurs jours, grossit considérablement la Seine et ses dérivatifs. Depuis la veille au soir, plusieurs quartiers de la banlieue sont inondés. Dans certains endroits, les habitants sont obligés de déménager.
Les inondations de 1866 et 1896, pourtant mémorables, semblent sans importance à côté. Le fleuve s’enfle d’heure en heure, il bouillonne, passe par-dessus ses digues, et inonde une grande partie de Troyes et de sa banlieue, avec 60 centimètres d’eau jaunâtre dans les quartiers des Tauxelles, des Charmilles, du Vouldy, de la Moline et de la Vacherie.
C’est un véritable désastre. Pour les habitants, c’est la désolation et la ruine. La plupart d’entre eux montent leur mobilier dans leurs greniers.
Plusieurs compagnies, de chasseurs et de pompiers de Troyes, sont mobilisées, et apportent leur précieux concours.
Le samedi 22 janvier, la crue augmente : l’inondation prend des proportions énormes. Cette fois, c’est un véritable désastre qui malheureusement éprouve surtout les quartiers ouvriers. L’eau gagne du terrain d’heure en heure, le quartier de la Préfecture et les Archives, étant envahi par les eaux, à 10 heures, l’école des Jacobins est évacuée par les élèves. Puis, c’est le tour des rues autour du canal, la place de l’Hôtel de Ville, le bas de la rue Emile Zola, les rues Urbain IV, de l’Hôtel de Ville, de la Petite et de la Grande Tannerie, Louis Ulbach, qui deviennent impraticables.
Les usines chôment, les services municipaux sont interrompus, les tramways ne marchent plus ...
Devant l’étendue du désastre, la municipalité de Troyes prend immédiatement les mesures que comporte une telle situation. A deux heures de l’après-midi, un avis est placardé en ville : l’administration municipale met à la disposition des habitants qui ne peuvent plus loger chez eux, les immeubles suivants : l’Ancien Evêché, le premier étage de l’usine Knapp rue Largentier, l’ancien Petit Séminaire rue de Paris. D’autre part, le maire de Troyes, Charles Lemblin-Armant, « a l’honneur de faire savoir à la population qu’une quête officielle est prévue en faveur des inondés, et sera faite par des employés municipaux le lendemain dimanche 23 janvier ».
Dans la nuit, le tocsin jette l’alarme, en carillonnant à plusieurs reprises, et dans les quartiers inondés, les clairons sonnent la générale, appelant ainsi les habitants à sortir de leurs demeures menacées.
Aux Tauxelles, à minuit, on déménage en toute hâte, à la lumière des torches. Les habitants emportent seulement leurs objets les plus indispensables, des enfants pieds nus, à moitié vêtus, pataugent dans l’eau. C’est la même chose à Pont-Hubert, où le vieux pont de bois est emporté par les eaux furieuses. Le quartier de la Vacherie est entièrement submergé, et tous les habitants fuient à quatre heures du matin, lors d’une nouvelle sonnerie du tocsin. Bientôt, le quartier bas est menacé à son tour, et les habitations sont évacuées. Le mail des Charmilles et les rues avoisinantes sont sous 1 mètre 50 d’eau. Le courant est si fort dans les rues Fortier et de Gournay, que deux soldats et leurs chevaux, venus au secours des habitants, sont renversés par le courant. Les cavaliers sont sauvés, mais les bêtes se noient.
Dorénavant, seules les barques sont utilisées pour secourir les personnes en détresse. C’est ensuite le faubourg Saint-Jacques qui est recouvert d’eau jusqu’au boulevard Danton, les riverains sont évacués. L’inondation gagne rapidement les rues Simart, de la Cité, Kléber, Michelet, des Trois-Godets, des Trois-ormes, Mitantier, Largentier... des torrents d’eau envahissent les caves et les rez-de-chaussée.
Ce samedi, à minuit, le maire se rend sur les endroits sinistrés.
Les secours aux inondés sont assurés chez Knapp, où il y a déjà 70 hospitalisés qui ont de la paille et des couvertures. Une soupe chaude préparée par les soins des cantines scolaires, leur est distribuée. L’ancien Evêché et le Petit Séminaire abritent déjà 600 sinistrés.
Malheureusement, on signale plusieurs cas de pillage aux Charmilles.
Le lundi 24, le maire fait un premier bilan : « Troyes a vécu depuis trois jours des heures poignantes, les dégâts sont énormes, tous les ménages d’ouvriers que l’inondation a chassés de leurs logis, se sont enfuis en n’emportant que leurs objets précieux et des ustensiles de première nécessité, tout le reste a été endommagé par les eaux. Pour beaucoup de ces familles, ce sera le dénuement... ».
Le maire réunit le soir même le Conseil Municipal et fait le point de la situation sur la terrible catastrophe qui vient de s’abattre sur presque toute la France, et n’a pas épargné la ville de Troyes, qui, au contraire pense-t-il, est parmi les plus éprouvées du pays. Il s’incline devant le dévouement et la solidarité de tous. Chacun a fait son devoir. Il félicite le personnel de police, les pompiers, les agents municipaux, les militaires de toutes armes, et tous ceux qui ont donné des secours en nature, qui ont été aussitôt distribués aux sinistrés. Il est décidé de donner 1 franc par personne victime des inondations, plus 50 centimes par enfant de moins de 13 ans. Le conseil municipal vote un budget en conséquence, les sinistrés ayant été évalués entre 6 et 7.000 personnes.
Le mercredi 26 janvier, le niveau de l’eau commence à baisser. Le jeudi 27, malgré la décrue, le niveau est encore supérieur au maximum de celui des années de crues exceptionnellement fortes: 1836, 1866, 1882 et 1896.
Le Conseil municipal, réunit en séance publique le vendredi 4 février, après avoir reconnu qu’une grande partie de la ville de Troyes a été inondée dans la nuit du 21 janvier par le manque de hauteur et d’entretien des digues de Foicy et de Fouchy, émet le vœu que le Bureau du Syndicat décide aussitôt que possible le rehaussement de 50 centimètres sur toute la longueur des quatre digues qui protègent la ville de Troyes contre les inondations et qui sont reconnues sous les noms de digues de Foicy, Fouchy, Pétal et La Moline. Il lui alloue la somme de 10.000 F pour lui venir en aide.
Le 9 février, en séance extraordinaire du conseil, le Maire lit les vœux émis par le Syndicat des digues et canaux : « Considérant qu’il est urgent de créer à Troyes, pour la Seine et pour tous ses affluents, un service de prévision des crues de manière que le maire de Troyes puisse prévenir les habitants des crues dangereuses, de leur rapidité et de leur intensité, afin que chacun ait le temps de mettre son mobilier à l’abri des atteintes de l’eau, considérant qu’à l’époque pluvieuse que nous traversons une nouvelle inondation est à redouter et qu’il importe donc que ce service fonctionne au plus tôt, considérant, d’autre part, que pour la rapidité des informations il est indispensable que le service des Ponts et Chaussées soit relié au réseau téléphonique, considérant enfin qu’il est établi qu’une des causes principales des désastres causés par l’eau dans notre région provient des remblais faits de main d’homme, qui, après avoir barré l’écoulement de l’eau et créé des lacs artificiels, ont presque tous crevé, déversant subitement un flot impétueux sur les propriétés en aval ou faisant déborder les digues et canaux… émet le vœu : 1) Qu’un service de prévision des crues soit immédiatement créé à Troyes, 2) Que les bureaux des Ponts et Chaussées soient reliés au réseau téléphonique, 3) Que l’Etat entreprenne dans le plus bref délai des études pour… 2° vœu :… la digue de Fouchy doit être exhaussée et élargie en crête de 6 mètres, si on n’obtient pas l’adhésion des propriétaires à des conditions raisonnables et s’il faut recourir à l’expropriation, et de 10 mètres si on obtient une majorité importante d’adhésion amiable…»
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