Jusqu’au XIX° siècle, les puits artésiens constituent un espoir de trouver de nouvelles sources d’eau à moindre frais. Ils doivent leur nom au fait que le forage à grande profondeur est apparu en Artois au cours du XIII° siècle, mais ce n’est qu’au début du XVIII° siècle qu’ils prennent l’allure d’une innovation technologique. Une fois au point la technique qui permet de maîtriser les eaux jaillissant par ce trou foré jusqu’à une nappe captive, le puits artésien constitue théoriquement le moyen le plus économique pour desservir une agglomération par gravité. Leur constante surpression supprime le pompage. Ils résolvent également une contradiction de l’industrie naissante : bénéficier d’une source d’eau abondante et constante, à moindre frais.
En 1806, l’administration municipale, sous l’autorité du maire Louis-Joseph Bourgoin, de concert avec Charles Liborel, ingénieur géographe et ingénieur des ponts et chaussées dans notre département, choisit l’intérieur d’un souterrain de la Tour-Boileau pour y établir un puits artésien : « pourquoi aller chercher les Viennes à quelques kilomètres, puisque nous les avons sous nos pieds ? » dit l’ingénieur. Le 3 juillet, il atteint, à 25 m 65 au-dessous du terrain naturel, une première nappe d’eau qui n’est pas assez ascendante. Le 15 août, après avoir creusé un banc de silex de 60 cm, il trouve à 54 m 72 au-dessous du terrain naturel, une seconde nappe d’eau artésienne, qui jaillit dans la Tour-Boileau à la hauteur de 3 mètres au-dessus du fond d’un réservoir construit dans le souterrain de cette tour (la Tour-Boileau existait à l’emplacement de la caserne Beurnonville). Le fond du souterrain est à 4 m 20 au-dessous du terrain naturel. A cette expérience de M. Liborel, assistent le préfet, le maire, le conseil municipal et tous les notables de la ville. En 1807, M. Liborel compare cette eau avec les eaux de la Seine, de la fontaine de Nago, et à celles de quarante puits de la ville, classés d’après la quantité de substance salines qui s’y trouvent en dissolution par 1.000 grammes. Cette eau est constante dans sa composition. L’excellence de sa qualité est reconnue par tous les chimistes qui en ont fait l’analyse. Elle est meilleure que toutes les eaux des puits de Troyes, et n’est pas exposée, comme la Seine à être troublée par les parties terreuses entraînées par les pluies, ou être arrêtée dans son cours par les gelées. Dans son rapport à la Société Académique, M. Gréau dit : « Que ferons-nous donc de ce cours d’eau souterrain qui vient jaillir à la surface de notre sol, pour que nous puissions l’utiliser dans l’intérêt de la santé de nos concitoyens ? Refuserons-nous ce don, que je regarde comme providentiel, et ne nous en servirons-nous pas pour procurer beaucoup de bien-être à la ville, conserver l’état florissant de sa position financière, et créer en même temps de nouveaux établissements d’utilité publique ?… Nous avons constaté en 1806, au moment de l’établissement de la pompe à la Tour Boileau, sur le puits artésien, en présence des autorités civiles et militaires, que cette pompe pouvait fournir 56 litres d’eau par minute, soit 80.640 litres en vingt-quatre heures… et l’on peut accroître la quantité d’eau ascensionnelle en augmentant le diamètre du tube artésien, qui, n’étant que de 8 centimètres, pourrait être porté à 20 centimètres, et fournir 483.840 litres d’eau en vingt-quatre heures… cette eau alimente la fontaine Napoléon, près de l’église Saint-Nicolas, qui satisfait tous les habitants du Quartier Haut, où sont les eaux les plus insalubres de la ville. On y voyait même affluer un grand nombre d’habitants des autres quartiers, qui venaient s’approvisionner de l’eau la plus pure de la cité… ».
On met alors en adjudication les travaux projetés, se montant à la somme de 40.000 francs. L’eau devait être élevée au sommet du bastion, puis dirigée par des conduites en fonte et en plomb, dans un réservoir situé près de l’église Saint-Nicolas, où une fontaine publique était établie. Le moteur était, selon le projet, un moulin à vent dans le genre hollandais. Mais ce dernier ne fut pas établi, et 30.000 francs furent dépensés en pure perte pour la ville. Entre 1818 et 1827, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale tente de propager et de perfectionner la technique des puits artésiens. Dans la séance du 19 décembre 1828, M. Dubois de Morambert, secrétaire perpétuel de la Société Académique, donne lecture d’une étude sur les puits artésiens et la possibilité de leur bonne exécution dans le sol crayeux de notre département. La Société n’ayant pas de ressources financières pour entreprendre les travaux, il pense qu’elle doit organiser des souscriptions et solliciter la générosité du Conseil général. M. Sturm, membre résidant, vient en aide à son collègue par un exposé très clair des avantages de l’esprit d’association appliqué spécialement au creusement des puits artésiens, et demande à la Société Académique de prendre l’initiative d’une première souscription divisée en cent actions de 10 francs chacune. Une commission, comprenant d’anciens élèves de l’Ecole des Arts et Métiers de Châlons-sur-Marne, examine les différents projets et M. Jourdan, ingénieur du Cadastre, en est le rapporteur. Les conclusions données le 20 mars 1829, sont tout à fait favorables au forage de puits artésiens, aussi bien dans le département de l’Aube que dans la ville de Troyes. Les puisatiers commencent les opérations le 19 juillet, dans un pré aux Trévois. Le 14 août, la sonde pénètre à 142 pieds. Au 1er mai 1830, elle parvient à plus de 412 pieds, lorsque des éboulements viennent boucher l’orifice du puits, ce qui décourage les opérateurs. Claude Ferrand Lamotte, maire de Troyes (1837-1840, 1848-1852), demande un rapport relatif aux Etudes sur le forage projeté d’un puits artésien à Troyes, à une Commission spéciale de la Société Académique, présidée par M. Boutiot, qui le rend le 21 novembre 1851. Il résume toutes les opinions précédentes, et analyse les données scientifiques sur lesquelles se basent les chances de réussite du forage d’un puits artésien au lieu le plus élevé de la ville, sur la place de l’ancien Marché au Blé (place Jean-Jaurès aujourd’hui). Ce rapport est lu lors de la réunion du conseil municipal du 20 février 1852, mais le docteur François Carteron nie l’existence d’un cours d’eau souterrain assez puissant et assez fort pour déterminer un jaillissement artésien sur le sol de Troyes, et fait de nombreuses objections. Lors de la séance du 19 mars, est nommée une Commission pour donner ses observations concernant les « Etudes sur les puits artésiens », du docteur Carteron. Le 2 avril, lors de la séance de la Société Académique de l’Aube, M. Boutiot produit de nouvelles observations faites par la Commission, tout en maintenant les conclusions de son premier rapport, et en relevant les très nombreuses contradictions et erreurs de physique et d’hydraulique du rapport Carteron. Mais les données de la science, à cette époque, ne permettent d’espérer une eau jaillissante qu’en perçant la couche de craie dont l’épaisseur varie de 300 à 350 mètres (et encore, ce n’est qu’un simple espoir !). Les frais de forage, sans compter ceux du tubage définitif, seraient de 50.000 francs, et le Conseil ne veut pas risquer cette somme considérable. Le débat est donc clos.
Le puits artésien a suscité bien des espoirs, mais est vite tombé en désuétude.
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