Ce doit être en 1967 que le dernier charbonnier cesse son activité, cuisant de manière traditionnelle. J’ai pu personnellement en voir un au travail dans la forêt du Temple. En 1890, il y avait encore un très grand nombre de familles de charbonniers. C’est en février, mars, avec les dernières gelées que le charbonnier quitte son village pour reprendre le chemin du bois. La première chose qu’il fait en arrivant : construire sa maison ou plutôt sa hutte, car il ne quittera le bois que vers le 15 novembre, quand les premières gelées durciront la terre et rendront son emploi de nouveau impossible. Il va donc couper 6 à 10 perches de 4 mètres qu’il va lier ensemble à un morceau de bois placé transversalement. Pour monter les murs, il découpe dans le sol des bandes de mousse et de terre de 50 cm sur 10 cm de large, qu’il empile les unes sur les autres en prenant soin qu’elles se chevauchent à la manière des tuiles. Il entasse ensuite des branchages sur les murs de sa hutte, afin de garantir du vent. Point d’ouverture vers le haut : quand il y a trop de fumée on ouvre la porte en planche, et pas de danger que l’eau ne rentre, car il a pris la précaution de faire un petit auvent. L’aménagement ne prend guère de temps : un tronc d’arbre placé au fond sert à la fois de siège et de bois de lit, 1 tonneau d’eau, une caisse servant de garde-manger, et au centre le foyer. Le lit est rapidement fait entre le mur de la cabane et le tronc d’arbre : 1 sommier de « rins de fagots », 1 matelas de paille et de feuilles, comme drap de dessous 1 sac à charbon, comme drap de dessus, un autre sac, et le chien comme édredon.
Maintenant, au travail ! Le bois a été préparé pendant les coupes d’hiver et rassemblé dans un coin de la forêt dégagé, mais peu venté (le plus grand ennemi étant le vent) à l’aide de brouettes ou de traîneaux dans les endroits en descente. Le charbonnier commence déjà par nettoyer la « place à fourneau », c’est-à-dire qu’il prépare un terre-plein de 5 m de diamètre environ. Au centre, il plante 1 piquet de 10 cm de diamètre et de 2 mètres de haut. Autour de ce piquet, il monte horizontalement, en triangle, des charbonnettes : c’est la cheminée. Puis, commence véritablement la construction du « fourneau ». Le charbonnier range verticalement et concentriquement les charbonnettes autour de la cheminée jusqu’à atteindre le diamètre voulu. En effet, toutes les meules ne sont pas identiques, car les charbonnettes mesurent soit 1 m, soit 66 cm. De plus, les meules peuvent être de 6, 8 ou 12 stères. Une fois ce diamètre atteint, on empile au dessus, toujours concentriquement, mais horizontalement de nouvelles charbonnettes jusqu’à hauteur de la cheminée. Pour terminer cette meule, il ne reste plus qu’à couvrir : pour cela, le charbonnier emploie le plus souvent de la mousse, du lierre ou des feuilles, le tout lui-même recouvert d’une légère couche de terre ou mieux, de « faisin ». On enlève alors le piquet central et l’on procède à la mise à feu en versant quelques pelletées de braises. ½ heure, ¾ d’heure plus tard, on alimente le feu en bourrant la cheminée jusqu’en haut avec du charbon de bois ou des « fumerons ». Puis on bouche la cheminée avec une feuille qui a pour rôle de réduire le tirage. Le plus dur est fait, mais le plus important maintenant, c’est de surveiller la cuisson, et cela, jour et nuit. Il faut être prêt à boucher le moindre trou, ou, au contraire, à en percer quelques uns au pied de la meule pour activer un peu. Seule indication pour le charbonnier : la fumée doit toujours être blanche. Si par malheur elle devient violette, c’est qu’il y a un trou et qu’il faut se hâter de boucher. Près de 4 heures après la mise à feu, la combustion se termine, la meule a diminué de moitié en hauteur. C’est le moment de dégager la tête pour faciliter la combustion des gaz, ce qui provoque une belle flamme rose, mais ne doit pas faire craindre pour le charbon. C’est aussi le moment le plus crucial : la moindre erreur peut réduire en cendres 3 jours de travail et plusieurs stères de bois. Enfin, il reste à arrêter le feu, à refroidir. Pour arrêter le feu, le charbonnier prend sa taloche et monte sur la meule en sabots (car c’est très chaud) et tape avec cette taloche sur toute la surface de la meule. Il enlève ensuite la couverture de terre qu’il répartit autour de la meule, puis il la recouvre de terre fraîche et remet par-dessus la terre de la cuisson (faisin). La meule va ainsi refroidir pendant une journée. Il reste encore au charbonnier à « tirer » le charbon. Pour cela, il utilise un croc et un râteau, ramasse, trie et sépare le charbon de bois des fumerons. Puis il met en sacs. Le rendement moyen est de 70 à 80 kg de charbon par stère. L’usage du charbon de bois était alors très répandu pour la cuisine familiale.
Que mangeait le charbonnier pour un si rude travail ? Beaucoup de haricots et de la soupe à l’oignon tous les jours, aussi quelques légumes de jardin que cultivait sa femme, et parfois de la volaille ou du lapin. Il essayait aussi de trouver des champignons, avec quelques pommes de terre cuites sur la meule, près de la cheminée.
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