C'est un métier vieux de plus de 3000 ans, ses gestes et ses outils n'ont guère évolué avec le temps. « Maître du fer et du feu », ainsi peut-on définir cet artisan qui, à longueur de journée, tire sur le soufflet de sa forge, tape sur une enclume qui résonne, et chausse les sabots des chevaux. Il dompte le feu dans sa forge, le réduit à une noix minuscule pour, tout à coup, l’attiser et le faire rougeoyer de colère. Il l’enferme alors comme dans une cage, pour mieux l’exploiter quelques instants plus tard. Il transforme le fer à sa guise : il en fait des socs de charrue, des crochets, les maillons d’une chaîne, un fer à cheval, des outils de toutes formes et toutes dimensions… Son tablier de cuir le protège des atteintes du feu, que ce soit le feu du charbon de son foyer ou qu’il s’agisse des étincelles que projette le fer brûlant sous le marteau.
C’est ainsi que l’on devine le maréchal forgeron, jusqu’à un peu après la guerre de 1939-1945, avant que les machines agricoles, nouvellement inventées, ne viennent, avec les tracteurs, supplanter les chariots à roues de bois et les anciens outils, tirés par les chevaux.
Toute la journée, le forgeron-maréchal vaque à ses travaux. Il entre dans son atelier à 5 heures du matin en hiver, et forge jusqu’au jour. Il ne quitte le travail qu’à 7 heures du soir. En été, sa journée débute une heure plus tôt et finit une heure plus tard, à 8 heures. Cela correspond à 14 ou 15 heures de travail chaque jour (au secours Madame Aubry !!).
Le maréchal-forgeron est donc à la disposition du client avant le jour et jusqu’à la nuit tombée, pour ferrer le cheval qu’il ne voit qu’une fois par an, aussi bien que celui dont le propriétaire fait entretenir régulièrement les sabots, pour construire une charrue neuve et aussi pour rebattre un soc jusqu’à l’extrême limite de la vétusté, comme pour reprendre le bandage d’une roue, pour effectuer les petites réparations, comme les gros travaux.
Tout cela pour être souvent accusé de « coûter trop cher ». Le maréchal est celui que l’on soupçonne d’être le plus exigeant quant à sa rémunération. Et pourtant ! De quels trésors d’imagination ne doit-il pas faire preuve, pour économiser le fer qu’il emploie, pour ne pas consommer trop de charbon dans sa forge ou trop de bois pour ses « rembattées ». Car l’habitude veut qu’on ne le paie qu’une fois par an. Chaque année, il fait la tournée de ses clients, présentant à chacun la facture des 12 mois écoulés. Dans le meilleur des cas, il est invité par les cultivateurs avec lesquels il est en compte pour un repas d’année à l’issue duquel on lui règle ce qu’on lui doit. C’était une coutume, pour ceux qui n’avaient pour salaire que leur récolte, de ne payer leurs fournisseurs qu’après avoir reçu eux-mêmes l’argent de cette récolte.
Chaque année, la coutume voulait que ces travailleurs se réunissent pour fêter la saint Eloi, leur saint patron, qui avait été lui-même un forgeron de grand talent. C’était une grande réunion d’hommes, pour une messe chantée, au cours de laquelle 2 hommes portaient la brioche pour que le prêtre la bénisse. Elle était ensuite distribuée aux assistants en guise de pain bénit. Elle avait été offerte par celui qui, l’année précédente avait « acquis » le « bâton de saint Eloi », celui dont l’enchère avait été la plus forte et qui avait reçu le « chanteau », en même temps que la charge de prévoir le pain bénit pour l’année à venir. La saint Eloi se déroulait le dimanche le plus près du 1er décembre. Au sortir de la messe, on retrouvait les hommes au café où le vin chaud était servi. Ils arboraient l’insigne de saint Eloi : un nœud de ruban vert, frangé d’or, portant les lettres dorées S.E., ainsi que les attributs agricoles : fourche, râteau, faux, bêche et panier, aussi en métal doré. Puis, chaque famille, avec ses invités, se retrouvait à table, pour un repas énorme, long. En soirée, jeunes et vieux se retrouvaient au bal. Bien souvent, la fête se poursuivait le lundi.
Aujourd’hui, les chevaux ne parcourent plus les chemins et les champs de nos campagnes. Les véhicules sont montés sur pneus et mus par des moteurs. Il est très rare maintenant que l’on entende encore raisonner son enclume.
Et pourtant, les anciens maréchaux n’ont pas oublié la braise rougeoyante du foyer, l’odeur de corne qui grille, ainsi que les durs travaux de la forge, du ferrage des chevaux et du « rembattage » des roues.
Un des derniers forgerons, M. Valentin dit : « Des métiers à crever. C’était trop dur. Passe encore pour la forge… mais tout le reste, toutes les réparations des outils agricoles, l’entretien de la charrue, le ferrage des chevaux. Quand un cheval arrivait, il était parfois 4 heures du matin, au petit jour. Et le soir, on travaillait jusqu’à ce qu’on n'y voit plus ! ». Cela est vrai. Les exemples ne manquent pas qui montrent les conditions difficiles dans lesquelles oeuvraient ces artisans, sans cesse tenus en haleine, tant par les clients qu’il fallait satisfaire sur le champ que par la matière travaillée qui, elle non plus, ne pouvait attendre.
Autrefois, le propriétaire d'un cheval le menait au maréchal-ferrant. De nos jours, ce dernier se déplace sur le lieu du travail à accomplir et dispose de tous les outils nécessaires dans une camionnette : fers, four à gaz, seaux, licols, tabliers, marteaux et autres outils… il ne forge plus lui-même les fers à cheval à l'exception notable de ceux de la Garde Républicaine.
On ne se doute plus aujourd'hui de la place que tenait le maréchal dans le village. Aux jours de pluie, qui empêchaient le travail aux champs, la forge devenait le lieu de rendez-vous des hommes de la terre. Ils lui apportaient quelques instruments ou outils à réparer. Dans l'arrière-forge ou sur le bord de la route, on voyait des brouettes, des charrues, des herses ou des tombereaux qui attendaient leurs réparations. La forge devenait pour les hommes ce qu'était le lavoir pour les femmes. On y discutait des questions qui passionnaient la commune. On y parlait même de politique, et c'est là que les jeunes venaient s'initier aux affaires publiques.
Le métier de maréchal-ferrant est de nouveau en essor pour accompagner l'augmentation du nombre de chevaux. Il y en 5 dans l’Aube.
Il reste encore aujourd’hui des girouettes rappelant cet ancien métier.
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