Métiers anciens



Les cordonniers


 

La communauté troyenne des Cordonniers est une des plus anciennes.

 

Une Ordonnance de Philippe V, rendue en 1317, publiée sous le sceau de Jean de Vermoise bailli de Troyes, mentionne que c’est du consentement des cordonniers de la ville, qu’ils soient hommes appartenant aux églises, aux chevaliers, aux écuyers comme au Roi, qu’ils ont élu 4 prudhommes de leur métier en qualité de maîtres, lesquels ont prêté serment devant le prévôt de Troyes.

 

Un règlement a été dressé, qui fixe le prix des souliers de diverses natures, la règle d’emploi des cuirs, défend d’ouvrer de nuit, en quelque saison que ce soit, si ce n’est pour le roi, son lieutenant ou quelqu’un de son conseil. Des amendes sont infligées aux contrevenants par les 4 maîtres jurés, qui seuls ont le droit de connaître des contraventions au règlement.

 

         Un arrêt des Grands-Jours tenus à Troyes en 1409 « règle l’industrie et le commerce des cuirs dans la ville de Troyes ». Ce document édicte la loi à laquelle sont soumis les bouchers, les écorcheurs, les tanneurs, les chippiers, les corroyeurs, les sueurs (artisan qui prépare et coud le cuir pour en faire des chaussures), autrement dit tous les artisans cousant et travaillant le cuir, comme « cordonniers, selliers, gainiers (fabricants de fourreaux et étuis en cuir destinés aux armes principalement), tassetiers ou fabricants de bourses et de petits sacs, fourbisseurs, faiseurs de boucailles ». C’est un code complet, pour l’époque, de cette industrie, fort importante à Troyes. Les 4 maîtres prudhommes feront la visite des marchandises et des ateliers. Les cuirs visités, reconnus de bonne qualité, étaient marqués d’une fleur de lys, chaque maître ayant en outre sa marque particulière. Les cuirs amenés en ville pour y être vendus, reconnus mauvais, étaient travaillés de nouveau, mais à Troyes et non ailleurs. Nulle peau de vache, de beuvrons (jeunes bœufs), de porcs, de poulains, de cerfs ou de biches, ne pouvaient être « barroyée », si la bête était âgée de moins d’un an. Les cordonniers ne pouvaient faire préparer du cuir pour les besoins de leur métier, et ne pouvaient « rôtir » ni faire sécher leurs souliers au feu. Nul ne pouvait mouiller les cuirs, sous peine d’une amende.

 

Pour passer maître, un apprentissage de 5 ans est prescrit. Tout étranger pouvait fabriquer en ville, après avoir été reconnu capable.

 

         De nouveaux statuts furent octroyés aux Cordonniers par Charles VI, lors de son séjour à Troyes, en 1419. Le préambule trace un tableau saisissant de la misère de la France à cette époque. Il y est dit que, lors de la rédaction des statuts de 1317, il y avait à Troyes « 500 ouvriers, valets, apprentis dudit métier », mais que par suite « de graves moralités, guerres, débats et divisions », qui ont dépeuplé le pays, personne n’apprend plus la profession et que les ouvriers étrangers ne viennent pas se fixer dans la ville, à cause de l’interdiction de travailler de nuit, qui ramène la journée d’hiver, saison où l’on devrait travailler le plus, à un prix trop minime, alors que la vie est si chère.

 

Faisant droit aux justes représentations qui lui sont faites, le Roi  autorise le travail de nuit, à charge de visite de l’ouvrage par les jurés, ordonne que chaque valet paiera, pour 1 fois, 10 sols tournois à la confrérie de Saint Crépin, dès sa réception en icelle, que les apprentis paieront 5 sols, que chaque maître paiera 2 deniers tournois par semaine, et chaque valet 1 denier tournois.

 

En 1430, « il est défendu à tout cordonniers de prendre en paiement aucune dette contractée pour cause de rançon, à peine d’amende ».

 

Entre les cordonniers, les basaniers et les savetiers, il intervint une décision du 25 septembre 1442, qui apaisa les difficultés. Les limites assez délicates de ces professions s’étaient confondues depuis la publication du règlement de 1419. Les cordonniers et les basaniers travaillaient le vieux cuir et les savetiers usaient du cuir neuf, d’où résultait la confusion. Les cordonniers pourront « remauder et careler » leurs chaussures, celles de leurs femmes et celles de leurs enfants, en raison de la difficulté de constater la fraude.

 

Il y avait à Troyes, au temps des célèbres foires, une halle spéciale au commerce des cuirs, nommée Halle aux cordonniers, à la cordonnerie, aux cuirs, aux vacheries. Les cordonniers et les basaniers la possédaient de temps immémorial. La comtesse Jeanne de Navarre en était propriétaire en 1287. En 1487, après la création de nouvelles foires, l’échevinage racheta les droits dus au roi sur cette halle et les supprima. Elle fut enfin rendue au roi en 1538. Depuis lors, ils sont autorisés à exposer leurs marchandises "sur leurs étaux", sur le pavé royal, devant et hors de leurs maisons, à la charge de payer au roi 13 sous tournois par an. Ainsi disparut la halle à la cordonnerie. 

 

Profitant du passage à Troyes de Charles VIII, les Cordonniers obtinrent de ce prince, en juin 1486, un nouveau règlement dont les 12 articles donnent une idée assez complète de l’organisation corporative de l’époque. Quelques articles : II) : Pour éviter la confusion entre les 3 métiers de cordonnerie, basanerie et saveterie, « nuls ne pourront faire souliers ni autre ouvrage de cordouan de vache ni de veau… », s’ils n’ont été reçus maîtres par les jurés des cordonniers, à peine de 20 sous d’amende, à partager entre le Roi et la confrérie. III) : « Les cordonniers « ne pourront faire souliers ni escassins à rivets de basane grasse ni courroyée si ce n’est pour petits enfants ou pour gens qui auront mal aux pieds… ».

 

En 1582, la corporation des cordonniers et celle des basaniers sont réunies pour ne plus en former qu’une seule.

 

Un « Marché aux souliers » existait encore au XVIII° siècle. La ville en louait les places aux Cordonniers. Il était situé aux environ du Marché aux oignons, à la jonction de la rue Notre-Dame et de celle de la Trinité.

 

         La confrérie des Cordonniers était liée à l’église des RR. PP. Cordeliers, où se trouvait le tableau du groupe des saint Crépin et saint Crespinien de François Gentil, transporté depuis à Saint-Pantaléon.

 

         La fête corporative était célébrée le jour de la Saint Crépin, le 25 octobre. Il y avait aussi une « petite fête » le dimanche précédent la pentecôte.

 

La corporation des Cordonniers a toujours été fort nombreuse à Troyes. Mais, si au commencement du XIV° siècle, il y avait 500 ouvriers, valets et apprentis de ce métier, il en restait moins de 50,  100 ans après.

 

La corporation des cordonniers comptait un grand nombre d’adeptes. En 1648, de par le roi, il fut fait à Troyes, en 1 seul jour, 45 maîtres, parmi lesquels il y en avait qui étaient âgés de 3 ans et le roi les dispensait de faire chef-d’œuvre, mais non de payer l’entrée !

 

En 1671, un compagnon est payé 8 sous par paire de souliers d’homme, femme ou autres. La paie a lieu le dimanche. Il reçoit, de plus, une paire de souliers pour lui et une pour sa femme.

 

En 1690, il paraîtrait n’avoir à Troyes que 14 maîtres cordonniers, c’est bien peu.

 

En 1776, le « Questionnaire » énumérait les titres possédés par la communauté des Cordonniers-Savetiers alors réunis.

 

Les membres de la corporation des cordonniers comprenaient : les Apprentis, avec des contrats d’apprentissage, les Compagnons qui s’engageaient quelquefois par contrats de 1 an ou 2 au plus. Ils sont logés, entretenus de souliers et fournis d’outils, sans à payer quoi que ce soit. Il y avait enfin les Maîtres. La bonne harmonie ne régnait pas toujours entre compagnons et maîtres.

 

         Les compagnons cordonniers se faisaient remarquer par l’excentricité lors de leurs cérémonies. Le 21 septembre 1645, les docteurs de la Faculté de Paris réprouvaient les pratiques de leur réception qui furent condamnées par l’Official de Paris, le 30 mai 1648. Un exemple de 1635 : « Les compagnons cordonniers prennent du pain, du vin, du sel et de l’eau, qu’ils appellent les 4 aliments, les mettent sur une table, et ayant mis devant celui qu’ils veulent recevoir compagnon, le font jurer sur ces 4 choses, par sa foi, sa part de paradis, son Dieu, et son baptême. Ensuite, ils lui disent qu’il faut qu’il prenne un nouveau nom et qu’il soit baptisé. Lorsqu’il a déclaré le nom qu’il veut prendre, un des compagnons qui se tient derrière lui, lui verse sur la tête une verrée d’eau en lui disant : Je te baptise au nom du Père, du Fils et du St-Esprit. Le parrain et le sous-parrain s’obligent aussitôt à lui enseigner les choses appartenant au dit devoir ».

 

La bibliothèque de Troyes possède un brevet de maître cordonnier accordé en 1773.

 

Les Cordonniers furent convoqués par la municipalité, le 24 décembre 1789, pour donner leur avis et s’assurer du prix des journées de leurs ouvriers.

 

Les Etats généraux de 1789 donnèrent lieu à la rédaction d’un cahier intitulé : « Plaintes et Doléances de la Communauté des Maîtres Cordonniers de la Ville, Faubourgs et Banlieue de Troyes ». En voici le début : « Les maîtres cordonniers de cette ville ne se bornent pas à voter, avec leurs concitoyens pour la suppression de tous les impôts actuels et leur remplacement par d’autres sur tous les 3 ordres, ils demandent et désirent que la marque des cuirs soit entièrement supprimée… que nos syndics accompagnés d’un huissier de police soient autorisés à faire toutes saisies contre les contrevenants, colporteurs et « revendresses », de leurs marchandises souvent prohibées… Que les veuves jouissent du privilège de leurs maris…».

 

Les Cordonniers se sont fait autrefois une réputation d’originalité : on les traitait de « porte-amuse », à cause de la forme de leur tablier de cuir, ou encore de « pontifes », qualification dont on trouve un écho dans les 2 vers suivants : « Les cordonniers sont pires que des évêques,

 

                     Car du lundi ils font une fête… ».

 

Enfin, si l’on reprochait à notre ville d’avoir donné le jour au geôlier du Dauphin, fils de Louis XVI, le fameux cordonnier Simon, dont un portrait peint par le baron Gros existe au Musée municipal, la bibliographie locale pourrait citer le « recueil de chansons nationales et de société », dédié à MM. Mesgrigny père et fils, par J-B. Gomand, cordonnier à Landreville.

 

Les saints patrons des cordonniers, savetiers et basaniers sont saint Crépin et saint Crépinien, martyrs du III° siècle, qui étaient cordonniers à Soissons. Ils fabriquaient des chaussures pour les pauvres, qu’ils ne faisaient pas payer. Leur fête est célébrée le 25 octobre.

 

Il y a à Saint-Pantaléon une sculpture remarquable, groupe polychrome de ces deux saints, qui décoraient à l’origine l’église des Cordeliers (prison de la rue Hennequin).

 



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