Métiers anciens



Culture des mûriers


Cocon de ver à soie
Cocon de ver à soie

J’ai créé mon site « Troyes et l’Aube, d’hier à aujourd’hui », pour une question de mémoire, pour que les Troyens et Aubois soient fiers d’y vivre, et apprennent ce que leurs ancêtres ont recherché pour apporter de la richesse à notre département.

 

         Y a-t-il un de mes visiteurs qui soient au courant de ce qui suit ?

 

         Bien entendu, à part mon ami Jean Lefèvre, qui s’est passionné pour Charles Baltet (voir ce chapitre).

 

         M. Baltet-Petit, pépiniériste, ancêtre de Charles Baltet, fit le 15 Juin 1838, le rapport qui suit à la Société d’Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du département de l’Aube dont il était membre résidant :

 

         « Aujourd’hui, sur tous les points du globe où la civilisation a pénétré, l’industrie qui produit la soie est l’objet d’essais, plus ou moins heureux, stimulés par l’appât des avantages qu’elle présente, il n’est pas un citoyen, ami de son pays, qui ne doive faire les plus grands efforts pour en doter ses compatriotes, surtout lorsque les faits, confirmés par une saine expérience, assurent le succès d’une semblable entreprise.

 

         J’ai depuis longtemps l’intime conviction que toutes les chances de réussite sont favorables dans notre département. C’est pourquoi  je viens plaider devant vous la cause des mûriers et de la production de la soie, certain de retrouver le sympathique intérêt que vous portez si ardemment à la prospérité de nos contrées. J’insiste sur la nécessité de multiplier chez nous les plantations de mûriers. Après 40 ans dans ma profession (horticulteur pépiniériste), mes concitoyens me connaissent assez, pour faire taire l’intérêt particulier.

 

         J’éprouve une vive crainte que notre département entre trop tard dans la carrière si fertile de l’industrie séricicole (élevage du ver à soie). En effet, nulle époque ne peut présenter plus d’opportunité que celle-ci, et il serait douloureux, dans un moment où les moyens de fortune sont plus rares à cause de la concurrence qui s’établit dans toutes les branches d’activité commerciale, de voir l’occasion de nous créer une nouvelle source de richesses s’évanouir sans résultats.

 

         De tous les Etats européens, la France la première a possédé le monopole de la fabrication des soieries. Aujourd’hui de nombreux rivaux s’essaient dans cette industrie non seulement en Europe, mais principalement en Amérique, et si les riches produits de nos manufactures lyonnaises n’ont point encore de concurrences véritables, il n’en est pas de même des étoffes d’un tissu uni, d’autant plus importantes que ce sont celles dont la consommation est le plus considérable. Dans une telle position, la France, pour conserver sa suprématie, doit rechercher tous les moyens économiques de fabrication. Mais, à cet égard, l’excellence des procédés, le perfectionnement des machines, et de l’art si précieux de la teinture, ne suffisent pas seuls. Ce qu’il faut surtout, c’est l’abondance de la matière première. Ce point mérite une sérieuse attention, car les importations s’élèvent, année commune, au chiffre énorme de soixante millions de francs, et elles ont été de 80.000.000 en 1835.

 

         L’élévation de ce chiffre démontre évidemment l’intérêt majeur qui s’attache à la production de la soie, pour laquelle des débouchés assurés sont ouverts sur notre territoire même, et conséquemment à l’abri de ces émotions politiques qui, en rompant les relations entre les Etats, anéantissent, dans les mains des producteurs, la valeur de leurs matières d’échange. Cette considération est d’une évidence si frappante qu’en déjà plusieurs départements, où la culture du mûrier est une innovation, se sont empressés de l’introduite chez eux, et en 1834 on comptait environ un million de mûriers plantés dans 12 nouveaux département, tandis que dans les 18 qui depuis longtemps sont en possession de l’industrie agricole, on a vu le  nombre des plantations, qui en 1820 ne comprenait en totalité que 9.630.000 mûriers, en contenir en 1834, 14.875.000 !

 

         Depuis cette époque que j’ai choisie à dessein pour offrir des chiffres officiels, les plantations ont continué à prendre de l’extension, et parmi les départements qui nous avoisinent, quelques uns ont commencé à marcher dans cette voie.

 

         L’éducation du précieux ver que la Chine exploite depuis un si grand nombre d’années est donc en ce moment l’objet des méditations de tous les économistes, et une impulsion générale vers cette industrie se manifeste en France, dans plusieurs royaumes d’Europe, et dans les Etats du nouveau monde.

 

         Notre département, presque seul parmi ceux où le succès d’une semblable entreprise est assuré, ne prend pas part à ce mouvement. Attendrons-nous, pour nous y livrer, que les débouchés qui sont ouverts aujourd’hui soit fermés, ou que le commerce ait pris l’habitude de se pourvoir ailleurs ? La concurrence étrangère n’a rien qui puisse nous effrayer. A frais égaux de produits, nous avons l’avantage de la proximité des lieux de fabrication, celle de l’intérieur n’est pas à craindre non plus, puisque la production de la matière première est de 80.000.000 de frs au-dessous des besoins de nos fabriques, et que sa grande abondance d’ailleurs encouragerait, n’en doutons pas, la création de nouvelles manufactures, dont quelques unes s’établiraient sur notre territoire et offriraient de nouveaux travaux à la classe si nombreuse et si intéressante des ouvriers.

 

         Après vous avoir démontré, je le pense, que nulle époque ne peut être plus opportune que celle-ci à l’introduction dans l’Aube de la culture en grand des mûriers pour la nourriture des vers à soie, permettez-moi, Messieurs, de vous donner quelques détails capables de rassurer les esprits craintifs qui pourraient appréhender que le succès ne couronnât pas une telle entreprise.

 

         Personne, je l’espère, ne doute que le mûrier puisse prospérer dans l’Aube où la vigne est cultivée avec avantage. Olivier de Serres (agronome français), ce père de l’industrie séricicole en France, écrivait, sous Henri IV, « que la soie peut croître belle et bonne par tout le royaume, peu de lieux exceptés ». Nous voyons les succès de la magnanerie (ce terme venant de l'occitan magnan, qui désigne le bombyx du mûrier, est un lieu d'élevage du ver à soie) à 4 lieues au sud de Paris, nous voyons, sur le domaine privé de Neuilly, notre Roi Louis-Philippe (1830-1848), à l’exemple de son aïeul qui avait fait planter des mûriers dans les Tuileries, faire cultiver cet arbre et élever des vers à soie pour prouver, par l’exemple, que cette industrie n’appartient pas seulement aux contrées méridionales de la France. Aussi, déjà un savant a-t-il écrit qu’on peu compter sur des bénéfices assurés en s’occupant de produire de la soie dans tous les pays situés au sud d’une ligne qui, partant du département de la Manche, et passant par Paris, irait se terminer à Strasbourg. Nous savons qu’au nord même de cette ligne on essaie cette industrie, ainsi, quand nous voyons les départements de la Seine, de Seine-et-Oise et de la Somme même, posséder des magnaneries dont les succès sont remarquables, il ne peut exister aucune indécision sur les résultats qui seraient obtenus dans l’Aube.

 

         A l’égard des mûriers, il ne s’agit uniquement que de choisir convenablement les espèces ou variétés dont les feuilles, élaborées par les vers, fournissent les meilleures qualités de soie, car il n’en coûte pas davantage de tenter d’arriver de suite aux productions les plus précieuses. Je crois donc qu’il convient de naturaliser dans l’Aube le « mûrier multicaule » ou « Perrottet », dont les larges feuilles offrent une nourriture délicate, et qui, malgré sa sensibilité au froid, peut encore rendre de grands services, cultivé en buisson et même recépé tous les ans et butté pour le garantir du froid. Dans cet état sa feuillaison au printemps est plus tardive, mais ce n’est pas un grand inconvénient, aujourd’hui qu’on sait retarder l’éclosion des œufs en les tenant à la cave jusqu’au moment où la subsistance est assurée. Le « mûrier blanc d’Espagne » qui résiste très bien aux intempéries, témoins ceux plantés à Varsovie par Sobieski (roi de Pologne et grand-duc de Lituanie, héros national polonais, en raison de sa victoire sur les Turcs en 1683) sur la fin du XVII° siècle, et dont les branches séculaires étendent leur ombrage. Enfin, le « moretti » qui est une variété du dernier très productive et remarquable par ses feuilles plus développées et rapprochées.

 

         Quant à l’éducation même des vers sur notre territoire, il n’y a aucun obstacle à craindre, l’expérience prouvant que ces chenilles peuvent partout remplir utilement leurs fonctions, pourvu qu’une nourriture fraiche et substantielle puisse leur être donnée en abondance… C’est donc principalement la culture des mûriers que tous nos efforts doivent tendre à propager dans l’Aube… Je suis sûr d’être bien compris, puisqu’en 1835, vous avez décidé qu’une médaille d’or serait décernée en 1840 à la personne qui aurait planté le plus de mûriers en grand et essayé l’éducation des vers… Par les ordres de Henri IV des pépinières de mûriers furent créés, et l’importation de la soie fut prohibée. Tout présageait un succès général lorsque le fisc, ennemi né des peuples et des rois, vint arrêter cet essor par l’assiette intempestive d’un impôt. Jusqu’au ministre Colbert qui voulut rétablir les finances de Louis XIV, l’industrie de la soie alla en déclinant. Mais cet homme d’Etat, comprenant tout le profit qu’en pouvait tirer le commerce français, fit rétablir les pépinières. Des distributions de mûriers furent  faites gratuitement par tout le royaume, et les berges des chemins en furent plantées aux frais de l’Etat… Pour doter l’Aube de cette nouvelle richesse agricole, il faudrait que des fonds fussent votés pour distribuer gratuitement, dans les diverses communes, des plants de mûriers, qui aujourd’hui peuvent être achetés à très bas prix et sans sortir du département… Répétons sans cesse à nos concitoyens : le moment est favorable, plantez des mûriers, formez-en des haies autour de vos vergers, de vos jardins, élevez-en à tige sur les berges de vos chemins et partout où vous trouverez de la place, peu à peu, le succès vous encouragera, et un jour, sera créé au milieu de nous un établissement et notre département prendra rang parmi les producteurs de cette matière précieuse dont l’usage sera une nouvelle source de richesse et de travail ».

 

         En 1930, la soie artificielle a ruiné la sériciculture.

 

         Aujourd’hui, en Chine ou en Corée, les chenilles sont très appréciées comme mets culinaire et sont récupérées après avoir récolté le fil de soie de leur cocon ou peuvent être élevées expressément pour cet usage.

 

         Plus étonnant et moins connu, des élevages de vers à soie sont désormais menés par des particuliers pour nourrir leurs nouveaux animaux de compagnie tels que reptiles et batraciens.

 

         Survivance ? Dans la maison de campagne des grands parents de mon épouse à Maisons Blanches, il y avait un très ancien mûrier, et en 1930, on lui a offert des vers à soie pour qu’elle les nourrisse !

 

         Pour information : originaire de la Chine méridionale, le ver à soie y était déjà élevé 2.700 ans avant J.-C. Le secret de l’élevage du ver à soie fut découvert et l'élevage se répandit en Europe. On fit de l'élevage en France, au XIII° siècle. L'élevage du ver à soie connut son essor du XVI° au XVIII° siècle. Au fur et à mesure de sa domestication, l'animal s'est transformé, devenant incapable de voler et de se nourrir sans l'aide de l'Homme.

 


Sur le bandeau du  bas de chaque page, vous cliquez sur "Plan du site", qui est la table des matières, et vous choisissez le chapitre qui vous intéresse. 

Cliquez sur "Nouveaux chapitres"  vous accédez aux dernières pages mises en ligne.


Rechercher sur le site :