Les textes des auteurs anciens nous apprennent que l’orfèvrerie fut en grand honneur dans l’antiquité, son origine se perd très loin dans la nuit des temps. Ses techniques compliquées et variées dans ses applications en ont fait notre art d’ornementation le plus somptuaire. De tous temps, il a suscité un vif intérêt chez les princes et les grands de ce monde, et bien entendu à Troyes et dans l’Aube.
L’orfèvrerie a toujours eu un triple rôle : politique, économique et social. Les orfèvres ont été, et sont restés, une aristocratie dans le monde du travail. Il est permis de les regarder comme les initiateurs de tous les arts manuels. Très réputés dans la mythologie, ils apparaissent déjà avec l’orfèvre Laercée à qui Nestor (dans la mythologie grecque, Nestor est le plus jeune des fils de Nélée et de Chloris, roi de Pylos) ordonna d’entourer d’or les cornes de la génisse pour qu’ainsi parée elle charme les regards de la déesse Minerve (fille de Jupiter, déesse de la sagesse, de la guerre, des sciences et des arts) à laquelle elle sera immolée. Ils se font remarquer à Babylone au temps de Nabuchodonosor où le luxe des métaux précieux était étonnant, en Phénicie avec l’orfèvre Hiram que le roi Salomon fit appeler de Tyr, pour exécuter des vases et des meubles d’or qu’il destinait au temple de Jérusalem, chez les Mèdes, les Perses, les Arsacides et les Achéménides pour leurs opulents trésors, chez les Egyptiens qui connaissaient la technique du laminage et la soudure d’or 2.000 ans avant les Grecs, chez les Etrusques pour leur habileté et leurs procédés inégalés dans le travail des métaux précieux, à Rome où les orfèvres formaient déjà une corporation sous le nom d’aurificos, dans le Velabrum (marché aux bestiaux à Rome) ils élevèrent un arc de triomphe en l’honneur de Septime Sévère.
Les orfèvres manifestèrent en Gaule un sens inné pour l’élégance discrète des formes et, sous le règne de Charlemagne, l’orfèvrerie atteignit un haut degré de splendeur, principalement à Troyes.
Avant de devenir leur patron et après avoir travaillé chez Albon, orfèvre et monétaire de Limoges, le plus grand orfèvre de cette époque, le ministre de Dagobert 1er et futur évêque Eloi est fait orfèvre de la maison royale et maître de la monnaie. C’est en 631 que Dagobert donne à son orfèvre le fameux et réputé domaine de Solignac pour y construire un monastère dans lequel les moines artisans avaient l’obligation de se livrer à la fabrication de l’orfèvrerie sacrée. Ne s’en tenant pas là, saint Eloi fit construire un second couvent qui fut placé sous l’invocation de saint Martial, le premier patron des orfèvres, avant lui.
Eustache Deschamps (1340-1404), le célèbre poète champenois, au service de Philippe d’Orléans, huissier d’armes pour le roi Charles V le Sage (1364-1380), dans une chanson où il énumère les joyaux que les dames de ce temps recevaient en présent de leurs maris ou amants, cite Troyes comme ville très réputée pour la qualité de ses orfèvres :
« Encor vois-je que leurs maris,
Quand ils reviennent de Paris,
De Reims, de Rouen et de Troyes,
Leur rapportent gants et courroyes…
Tasses d’argent ou gobelets…
Bourse de pierreries,
Coulteaux à imageries,
Espingliers (étuis) taillés à émaux ».
Lorsque Charles V le Sage (1364-1380) fit visite à Troyes en 1367, une très riche croix empierrée et émaillée, fabriquée par un orfèvre troyen, et donnée par le comte Henri 1er à la Collégiale Saint-Etienne, lui fut offerte sur sa demande. Le Chapitre n’osa pas la lui refuser et il chargea 2 de ses membres de lui remettre ce précieux présent qui, depuis figure au trésor de la Sainte-Chapelle.
Déjà dès l’antiquité, le pouvoir mystique des pierres fines passait pour donner des vertus curatives. On relève dans les « Statuts de l’Hôtel-Dieu de Troyes », rédigés en 1263, la recommandation suivante : « Nulle (religieuse) ne doit porter anneau de pierres précieuses, si ce n’est pour cause de maladie ».
Jean de la Taille (1533-1611), dans ses tragédies dites humanistes, reprend des thèmes antiques et bibliques, et prend soin de nous édifier en vers sur les propriétés merveilleuses des pierres précieuses :
« Je chante des pierres d’élites,
La force et valeur non petite,
Dont l’une à la prospérité,
Aide l’autre aux longueurs de la vie,
L’une à l’amour, à la santé,
L’autre aux biens de fortune amie,
Il n’est pierre (outre sa beauté),
Qui n’ait quelque propriété ».
On en prodiguait même sur les joyaux d’église. Toutes ces pierres précieuses provenaient de dons d’origines illustres, fruits souvent de la rapine et de butins de guerre qui ne tardèrent pas à affluer dans les églises. C’est ainsi que nos abbayes reçurent des objets de grande valeur, donations des comtes Thibaut II le Grand (1125-1151) et Henri 1er le Libéral (1151-1181) pour acheter des indulgences et des prières.
Chaque communauté se trouvait avoir sa marque que les gardes apposaient sur les ouvrages à la suite des poinçons de maître, après avoir contrôlé et pesé le métal. Avant la Révolution, les marques ou « Jurandes » représentaient des armes parlantes, des figures, des objets, des lettres dates ou des animaux. Ces symboles permettaient ainsi de retrouver la communauté d’où provenait l’ouvrage. Pour la communauté des orfèvres de Troyes ce symbole représentait, dès 1369, un manche de bobine. Il était insculpé (marqué d’un poinçon certifiant l’origine de l’œuvre) sur 2 plaques de cuivre et confié aux gardes de la communauté de Troyes.
De nos jours, on peut encore admirer, dans l’abside de l’église Sainte-Madeleine, les armoiries de la corporation des orfèvres de Troyes dans l’un des 16 magnifiques vitraux du XVI°, œuvre de Nicolas Cordonnier rappelant la vie légendaire de saint Eloi.
Les bannières ne se déployaient que dans les grandes cérémonies, aux processions solennelles, aux entrées, mariages, obsèques des rois, des reines, princes et princesses.
Les orfèvres sont accoutumés de toute ancienneté, « à faire solennité, confrérie et joyes » le jour de la fête de saint Eloi, d’aller
processionnellement ce jour-là à l’église de la Madeleine, 1 cierge allumé dans la main, d’y faire célébrer une messe solennelle…
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