Un tableau du Musée de Troyes présente un intérêt réel, au point de vue de l’histoire de la localité, des mœurs et des institutions sociales. Ce tableau, daté de 1616, nous montre 2 ouvriers, en costume de travail, se livrant à l’exercice de leur profession, tandis que la mort, représentée par un squelette, semble les attendre. Au bas du médaillon, qui renferme ce tableau et qui est décoré d’arabesques, on peut lire ces lignes aussi naïves que bizarres :
Cette légende nous apprend que les ouvriers dont il s’agit sont des tondeurs de grandes forces, dont la corporation a existé à Troyes jusqu’en 1791.
Les 2 ouvriers se servent en effet de 2 grands ciseaux appelés forces et destinés à la tonte des draps, tandis que sur la table se trouve une planchette, qui est le frisoir dont parle la légende.
Le travail est très divisé au moyen âge. Ainsi, le drap, après avoir été tissé par les tisserands, passe entre les mains des fouleurs, qui le remettent aux laneurs chargés de le renforcer avant de le livrer aux tondeurs.
Les tondeurs de draps n’ont une existence légale de corporation qu’en 1510, époque à laquelle Louis XII leur confère des statuts. Mais ils sont déjà constitués en confrérie. Leur siège est dans l’église de l’Hôtel-Dieu-Saint-Esprit.
La confrérie des tondeurs fait chanter chaque jour une grand’messe, pour l’entretien de laquelle chaque maître met à la boîte 2 deniers tournois pas semaine. Tant sont vives les croyances religieuses à cette époque ! C’est aussi sous la protection de l’autel que l’on met le coffre de la confrérie, qui contient les titres et les statuts. Ce coffre fut brûlé dans le grand incendie de 1524, qui détruit l’église du Saint-Esprit ainsi que les maisons de la plupart des maîtres tondeurs, qui résidaient alentour.
La confrérie du métier et collège des tondeurs est érigée « en l’honneur de Dieu et de la Vierge Marie », et sa fête patronale est à l’Assomption.
La confrérie dure jusqu’à la Révolution, mais au XVIII° siècle, elle ne fait plus célébrer une messe quotidienne.
En 1776, elle possède, outre une armoire et un petit coffre, 2 torches, un bâton de confrérie et un vieux drap mortuaire.
La confrérie, qui constitue pour l’artisan une sorte de famille professionnelle, fait dire des services pour ceux de ses membres qui sont décédés. L’assistance à leurs funérailles est obligatoire pour les confrères.
Lorsque Louis XII, pendant son séjour à Troyes, donne des statuts aux tondeurs de grandes forces, il les autorise à continuer leur ancienne confrérie. Il fixe en même temps le nombre de leurs prud’hommes élus, les conditions de l’apprentissage et de la maîtrise, le taux des cotisations hebdomadaires, édicte l’interdiction de travailler chez les marchands de draps.
En 1510, la corporation se compose de 20 maîtres. Elle suit les fluctuations de l’industrie des draps, qui après avoir subi une décadence à la fin du XVII° siècle, se relève au milieu du XVIII° siècle.
En 1776, elle compte 14 maîtres, en 1784, elle ne compte plus que 9 boutiques.
L’industrie des tondeurs paraît avoir été prospère sous Henri IV, car en 1604, Nicolas Boulenger « exerçait la profession d’esmoleur de grandes forces ».
En 1524, les tondeurs vendent le drap à la requête des fabricants, après l’avoir auné et mesuré eux-mêmes. Il y a cependant 4 auneurs-jurés à Troyes, mais une multitude de gens de village « venant des environs », apportent beaucoup de draps le samedi, et les marchands forains aussi, de sorte que les auneurs-jurés ne peuvent suffire et font appel aux tondeurs qui se contentent « de petits salaires ».
L’industrie de la draperie n’est pas concentrée à Troyes, elle est exercée dans les bourgs et villages des environs.
Le métier de tondeur n’est pas toujours rémunérateur, et on voit dans une enquête de 1537, plusieurs anciens maîtres qui changent de métier.
En 1586, la corporation des tondeurs figure parmi les plus pauvres, avec celles des épingliers, tisserands et teinturiers.
En 1779, le roi rétablit la corporation des tondeurs qu’un édit de l’année précédente avait supprimé.
Les syndics visitent 2 fois par an les boutiques des maîtres, ils veillent à l’exécution des règlements et à ce que rien ne vienne nuire à la réputation de la communauté.
Le baillage de Troyes ordonne en 1580, que chaque tondeur doit marquer, d’une marque spéciale, les draps qui lui sont confiés, ce qui rend chaque maître responsable de ses œuvres.
L’industrie des tondeurs de grandes forces disparait avec celle de la draperie.
Le seul souvenir qui en reste, est le nom de la rue des Forces qui provient non pas de la résidence qu’y faisaient les tondeurs, mais d’une enseigne qui reproduisait l’outil dont ils se servaient.
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