Ce chapitre est important pour savoir que ce ne sont pas seulement les occupations de 1814, ou les guerres de 1870, 1914 ou 1939 qui ont été les plus meurtrières pour nos campagnes, et que ce n’était pas toujours l’ennemi qui saccageait ainsi. Cela provenait très souvent des troupes du roi elles-mêmes, de celles de la Reine, de celles du maréchal de Turenne. Le cardinal de Mazarin avait érigé en système le pillage des blés et des avoines, trouvant plus simple d’approvisionner ainsi ses troupes !
En 1643, Jean Louis d’Erlach, général mercenaire, avec une armée non soldée, composée de luthériens allemands ignorant le français, commet toutes sortes de brigandages. En 1645, il pénètre en Champagne avec une armée de Suisses, de Polonais et de Suédois.
Le 15 janvier 1648, le roi tenant un lit de justice (Séance solennelle du parlement par laquelle le roi ordonnait à cette assemblée d'enregistrer les édits et ordonnances qu'elle contestait), le renommé Omer Talon, avocat général au parlement de Paris, lui adressait cet éloquent appel : « Il y a, sire, 10 ans que la campagne est ruinée, les paysans réduits à coucher sur la paille, leurs meubles vendus pour le paiement des impositions auxquelles ils ne peuvent satisfaire, et que, pour entretenir le luxe de Paris, des millions d’âmes innocentes sont obligées de vivre de pain de son et d’avoine et de n’espérer d’autre protection que celle de leur impuissance ».
En peignant ce tableau lugubre, qui rappelle un peu la révolte des « Gilets Jaunes » de 2018, Omer Talon songeait à la pauvre Champagne réduite aux abois et gémissante sous les continuelles incursions de la soldatesque.
La crainte des soldats était telle que le 3 mars 1638, le régiment de Navarre voulant entrer à Troyes par les faubourgs de Sainte-Savine et de Saint-Martin, les gens de ces faubourgs s’y opposèrent et élevèrent des barricades pour les arrêter. Quoique n’ayant « ni hallebardes, ni arquebuses », ils leurs tinrent tête avec des bâtons. Mais les troupes entrèrent par surprise la nuit suivante et demeurèrent à Troyes jusqu'au 15 avril.
C’est principalement dans les doyennés d’Arcis-sur-Aube et de Margerie, que les violences et les rapines des gens de guerre furent fréquentes et terribles. En 1656, le doyen rural de Margerie atteste dans un mémoire que les 42 curés de son doyenné ont été contraints depuis 6 ans, d’abandonner leurs presbytères à cause des gens de guerre qui pillaient sans cesse.
Dès 1638, les habitants de Mesnil-Sellières demandent à être déchargés de tailles pendant 3 ans, attendu que « le 23 janvier dernier, une compagnie de cavalerie allemande s’étant présentée nuitamment pour loger, les pauvres ne pouvant leur résister, les reçurent bien qu’ils n’aient aucun ordre ni bulletin pour ce faire, et, avec méchanceté, ils allèrent dans les meilleures granges avec des pailles allumées pour y mettre le feu, ce qu’ils firent, en telle sorte qu’il y eut 39 maisons brûlées entièrement ».
Même supplique est adressée par les habitants de Soulaines, qui demandent l’exemption de tailles pour 16 ans, attendu que « le colonel Strif aurait le 15 mars 1638, conduit son régiment, et ceux de Bouillon et Hans, audit Soulaines, et ils auraient, le flambeau à la main, entré dans toutes les maisons auxquelles ils auraient mis le feu. Les habitants s’étant sauvé en l’église, ils avaient une heure après, embrasé tout ledit lieu, et eux dans l’impossibilité de sauver quoi que ce soit ».
La plupart des villages sont déserts et les bourgs qui étaient composés de 200 à 300 feux sont réduits à 30 et 40, en telle extrémité « qu’ils ne vivent que de pain d’orge et sont contraints de se réfugier dans les bois ».
En 1641, des troupes en armes incendiaient l’église de Trouan-le-Grand, dans laquelle s’étaient réfugiés les habitants épouvantés. L’année suivante, des hommes du régiment de Vaubecourt, quittant Troyes par le faubourg Croncels, tiraient sur les habitants et en tuaient ou blessaient plusieurs. En 1644, les soldats du régiment de Gassion volaient des futaines et des toiles dans les prés des blanchisseurs.
Le 22 novembre 1652, le curé de Donnement « fut dépouillé tout nu par les Allemands sans lui avoir laissé de quoi cacher sa nudité ».
Le 12 décembre 1652, même vexation fut infligée dans son église au curé de Pars-les-Chavanges.
Le régiment de Marolles a tout détruit pendant 2 mois à Hamcourt et réduit tout le pays à la misère.
Etrelles-sur-Aube : en 1646, les gens d’armes de M. de Grandmont passent à Etrelles-sur-Aube et y exercent de grands ravages « par le moyen de vols et rançonnements ». Le 20 février 1652, plus de 1.200 cavaliers passent dans ce pays et commettent « des vols excessifs ». De 1653 à 1654, des incursions de cavaliers emmènent le bétail et les chevaux. En 1654, on ne peut semer à cause des « courses terrorisantes ».
Les troupes en garnison à Méry-sur-Seine et Arcis-sur-Aube désolent le pays par des incursions continuelles, emmenant les chevaux et les hommes à l’époque des semailles, qui ne peuvent se faire. Il en est de même en 1649, mais en plus, une grêle gâte la moisson et une maladie du bétail achève de ruiner les malheureux habitants. Aussi, en 1651, ils sont réduits à la mendicité. Le 5 janvier les troupes de Mazarin commettent toutes sortes de pillage. Le 22 mars, un incendie détruit le quart du village.
Saint-Etienne-sous-Barbuise : cette commune fut également très éprouvée. En février 1653, le régiment de Turenne, en 2 jours, dérobe les corporaux et les calices, 5 compagnies étant logées dans l’église. Les soldats ouvrent le ciboire, partagent les espèces eucharistiques, rompent la croix espérant qu’elle soit en argent, égorgent 80 moutons et brebis et se servent des « tringles » de l’autel pour les suspendre. Du 20 au 28 juin, 17 passages et logements de gens de guerre ont lieu.
Boulages : le 28 février 1656, un capitaine au Régiment royal et ses cavaliers entrent de force au presbytère, et « armés de haches et pistolets, jurant et blasphémant le saint nom de Dieu », brisent les vitres, les coffres et les buffets, prennent l’argent du curé, son grain, son vin, son linge et ses vêtements, ses papiers « promesses, obligations, testaments et autres papiers, sans oublier les couteaux et cuillères, et ne lui laissent que sa chemise ». Le prêtre est contraint de s’enfuir tout nu et de se cacher dans la paille, pour éviter la mort.
Pâlis : de 1651 à 1656, le pays eut à souffrir de nombres passages de gens de guerre, qui campèrent dans ce pays, y apportant désastres et misères. Les habitants furent obligés de leur abandonner leurs chaumières. Un régiment ravagea les troupeaux et les agneaux. D’autres finirent par arrêter totalement le labour et la culture des vignes.
Saint-Oulph : de 1648 à 1656, des désastres sont commis par les gens de guerre. Sur 35 maisons, il n’en reste que 28, les autres ayant été brûlées. Pendant 8 années consécutives, Saint-Oulph subit de terribles vexations, et tous les foyers sont imposés d’énormes contributions, leurs meubles et leur bétail sont enlevés.
Charny-le-Bachot : en 1648, les compagnies passent et lèvent des rançons, réquisitionnent des fourrages, « foins, paille, avoines, vin, œufs ». En 1649, 14 compagnies d’infanterie logent 6 jours. En 1650, une compagnie vit 10 jours à discrétion. Fin 1650, la compagnie de la Reine et d’autres, environ 120 chevaux, passent et égorgent presque tous les troupeaux. Suivent ces premières bandes, 500 cavaliers qui rançonnent sans pitié les habitants. En 1651, 32 compagnies pillent l’église, le curé et ses ouailles et les rançonnent. Le 15 août 1652, les Lorrains de l’armée ennemie envahissent le château dont ils vident les coffres, emportant vêtements, vaisselle, argenterie. Ils emmènent les chevaux et les vaches, et font prisonniers 15 paysans. En 1653, nouvelles incursions qui pillent les habitants et prennent au curé pour la 3° fois, son linge et sa vaisselle. Peu après, 2 autres compagnies détruisent les ruches et les pigeons, et les soldats brûlent les poutres et les solives des greniers. D’autres troupes achèvent de désoler Charny-le-Bachot toute l’année 1653 : elles tyrannisent les habitants, brûlent ou démolissent les maisons, brisent les meubles, sapent les cheminées, abattent les fours, mettent le feu aux greniers et volent les fers des charrues et autres ustensiles.
Rhèges fut un des villages les plus éprouvés par la Fronde. En 20 ans, presque tous les régiments, amis ou ennemis, y logèrent ou y passèrent. En 1656, il ne restait plus que 150 habitants sur 200. Les habitants avaient été obligés de vendre tous les trésors de l’église, qui fut pillée par les Allemands, ils eurent à subir de très fortes impositions, une maison fut brûlée, 900 cavaliers pillèrent entièrement le village, allumèrent des incendies et emmenèrent les bestiaux et les chevaux.
Viâpres-le-Grand : la paroisse fut réduite à 10 habitants, les autres s’en étant enfuis, laissant le village en friche. Ils en furent réduits à mendier et à faire « valoir de leurs mains quelques terres ingrates ». En 1650, une brigade enleva les grains pendant la nuit. En 1651, un régiment emmena les chevaux du pays. En 1652, 4.000 hommes campent et fauchent les blés. Un capitaine fait un pillage général des charrues, harnais et autres ustensiles de culture. Puis 500 soldats de Turenne pénètrent par violence au presbytère et le dévalisent. Le 19 janvier 1653, la cavalerie escortant le cardinal Mazarin, puis le régiment Royal et 3 autres pillent Viâpres-le-Grand. Le 15 août, 600 cavaliers font de même. En 1655, 5 régiments de cavalerie allemande, en garnison à Troyes, font une incursion dans ce village, abattent et brûlent le presbytère dont ils emportent lit, matelas, ravagent le jardin et « 18 paniers de mouches à miel » appartenant à la fabrique. De plus, 60 chevaux campent dans l’église avec leurs cavaliers qui y font leur cuisine et se servent des bancs, des chaises, du lutrin et des coffres, pour faire du feu.
Nozay : en avril 1653, 30 régiments, dont 2 de Mazarin et 4 Irlandais logèrent ou passèrent à Nozay et ravagèrent le pays de fond en comble. Plusieurs maisons tombant en ruines, les soldats y mirent le feu « pour se chauffer », et l’incendie se communiqua à d’autres qui furent aussi brûlées. L’église fut pillée, les vitraux cassés.
Villette : en 1650 15 compagnies et en 1651 une armée, ravagèrent le territoire de Villette et emmenèrent le bétail. En 1652 un régiment y vécut 2 jours à discrétion, et une compagnie rançonna les habitants. En 1653, 2 régiments de cavalerie fauchent les emblaves et emmènent les chevaux. En 1654, pendant 4 jours, des cavaliers gâtent les emblaves.
Arcis-sur-Aube et Ormes eurent à subir à cette même époque le passage de régiments du Roi, puis vinrent les Lorrains et les Allemands qui campèrent et volèrent les bestiaux. Les habitants s’enfuirent en partie.
Le Chêne : en 1652, l’armée du maréchal de La Ferté pille, en 1653, un régiment d’infanterie, puis une partie de l’armée de Turenne et en mai, 3 autres compagnies, en juin 2 autres, en décembre 2 autres de cavalerie puis 4 régiments irlandais et des coureurs des Grand et Petit-Créquy, volent vin, grains habits… Il en est de même en 1654 avec 2 compagnies de gendarmes de la Reine et 6 régiments de cavalerie. En 1655, occupation par 4 régiments de cavalerie, en 1656, les Lorrains en garnison à Troyes passent 3 jours et de mai à août, 9 détachements de cavalerie brisent tout chez le curé.
Vaupoisson : en 1654, il ne restait plus que 10 maisons « fortement démolies » sur 40 que comptait précédemment le village. C’est que de 1647 et les années suivantes, il avait eu à subir de nombreux passages et logements de gens de guerre, qui incendièrent plusieurs maisons. En 1653, un régiment y séjourna 5 jours, détruisant les emblaves et brûlant 7 maisons. En 1654, ces violences devinrent si fréquentes que les habitants prirent la fuite, laissant derrière eux quelques « pauvres gens et femmes, réduites à la mendicité ».
Trouan-le-Grand : le 18 juin 1641, un régiment d’infanterie et de cavalerie de 1.200 hommes arrivait à Trouan-le-Grand. Les habitants s’étaient réfugiés, les uns dans l’église, avec leurs bestiaux, les autres au logis du capitaine de Nanteuil, avec des chevaux. Ce dernier refuge fut d’abord pillé par les soldats, puis le comte de Roussillon vint mettre le siège devant l’église. Il somma les habitants d’en sortir. Ceux-ci refusèrent, alléguant par malheur pour eux ce qui faisait la case de leur retraite : leurs biens mis en sûreté dans cet asile, et offrant de pourvoir à la subsistance de ses hommes s’il voulait prendre patience. Ils lui fournirent même 42 pains. Irrité, le comte fait alors mettre son régiment en bataille, sonner les trompettes et battre les tambours. Les coups de mousquets et de piques pleuvent sur l’église. Les habitants, affolés, se réfugient dans les voûtes. Alors, de toutes parts, les assiégeants jettent dans le temple des bottes de fascines (fagots de branchages) allumées. En quelques minutes, l’autel et le jubé sont consumés. Les malheureux se décident enfin à sortir, non sans laisser plusieurs des leurs asphyxiés et brûlés. « On les dépouille tout nus, on les roue de coups, on les lie avec des cordes et on les emmène ». Quelques-uns seulement obtiennent à prix d’argent leur délivrance. L’église est alors mise au pillage. Le calice, la croix et tous les ornements deviennent la proie des soldats. 4 cloches sont fondues par l’incendie, une maison incendiée, les chevaux et le bétail enlevé, les ruches détruites. Les habitants étaient réduits à « demander leur vie ».
Braux-le-Comte : de 1652 à 1654, les troupes de Turenne composées de Français, de Lorrains et de Suédois, passèrent à différentes reprises à Braux, pillant et ravageant le pays. Le seigneur Pierre de la Motte et plusieurs paysans furent tués par ces hordes.
Saint-Léger-sous-Margerie : en 1650, l’armée de Sa Majesté passa à Saint-Léger, et les soldats pillèrent. En 1651, l’armée passa 4 fois, dévastant le village à chacune de ses courses. Le 15 janvier 1652, nouveau passage du « quartier du Roi de l’armée », avec 1 régiment irlandais, qui traînait l’artillerie et un si grand nombre d’équipages que le pays fut entièrement défoncé. Le curé dut héberger 20 personnes avec tout leur attirail, 30 chevaux et d’autres bêtes de somme. De plus, les soldats se fournirent de vivres et de fourrages. Le 13 mai 1652, 200 cavaliers lorrains se jettent sur la maison seigneuriale de Saint-Utin et la pillent sans merci. La dame du lieu se voit dépouillée de ses bestiaux et de sa garde-robe. Le 23 août, 300 autres arrivent et, trouvant quelque résistance, mettent le feu à la moitié du village et emmènent les chevaux. Le 6 novembre, nouvelle dévastation par 200 cavaliers. Enfin, de 1653 à la fin de 1655, c’est un perpétuel passage de troupes sur le finage de Saint-Léger.
Montmorency-Beaufort : les Lorrains pillent et ravagent 2 fois le pays et tuent 12 personnes. Ils ravagent 7 fois Lentilles et mettent à mort 3 personnes.
Ruvigny : en 1652, l’infanterie de Sainte-Maure séjourne de Noël à l’Annonciation. Le 21 juillet 1653, 3.000 cavaliers logent à Ruvigny. Pour les nourrir, il fallut faucher les blés et les avoines. Ils abattent la cure et quelques maisons. La même année un régiment de 600 hommes séjourne 3 semaines. A la Pentecôte suivante, une troupe suivie du régiment de Turenne et de 3 autres compagnies, soit plus de 1.500 hommes, tient le pays pendant 3 jours. A la saint Jean, 1.200 soldats lui succèdent. En 1654, 200 hommes restent du 11 avril au 24 juin. Enfin, 500 soldats séjournent pendant 3 jours, et pour lesquels il fallut faucher les prés, afin de nourrir leurs chevaux.
Arrembécourt : ce village fut également très éprouvé. En juin 1652, 36 cavaliers enlèvent dans les pâturages 30 chevaux, et le 23 août, 7 escadrons de cavaliers des troupes ennemies, soit 450 chevaux, commettent toutes sortes d’atrocités et de brigandages. Le 20 novembre 1653, l’armée de Turenne vole 20 chevaux et 30 vaches, bat le tiers des grains et brûle 2 granges pleines. Le 7 mars 1654, 2 compagnies d’ordonnance du Cardinal Mazarin rançonnent et pillent Arrembécourt pendant 24 heures. Dans la nuit du 12, une garnison met plusieurs maisons à sac, emmènent des chevaux et jettent au feu le mobilier des paysans. Enfin, le 23 et le 24 avril, 800 cavaliers et 2.500 fantassins s’arrêtent à Arrembécourt « qui ne compte que 45 feux ». Le pays est totalement réduit à la misère.
Ainsi se passèrent environ 20 années. On comprendra quelles responsabilités terribles pèsent sur la mémoire de ces fauteurs de troubles que la première moitié du XVII° siècle a vu naître si nombreux, et que « l’histoire n’ait que des paroles de blâme envers cette société frivole qui s’engagea follement dans la Fronde, cette guerre pour rire, comme l’appelait une grande dame, qui fit cependant couler tant de larmes et verser tant de sang ».
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