Pendant les Guerres



Méry-sur-Seine 1814


Dans les premiers jours de février 1814, Méry, comme Troyes, tombe sous le joug odieux de l’étranger.

 

         Un corps russe faisant partie de la grande armée, aux ordres de Schwartzenberg, y pénètre le premier.

 

         Bien que 40 maisons furent pillées le premier jour, ce fut celui dont ils eurent le moins à se plaindre. Les Prussiens et les Wurtembergeois les remplacèrent et se livrèrent à leurs excès habituels, et pillèrent toutes les maisons sans exception, et cela dura jusqu’au moment de l’incendie, le 22. L’hospice y échappa, et aussi l’église qui est à l’extérieure de la commune.

 

         L’incendie général fut ordonné par Blucher, ainsi que les réquisitions en argent, bestiaux, grains, fourrages, pain, vin, eau-de-vie… qui frappèrent journellement la ville.

 

         Voici quelques extraits du compte-rendu que je lis sur un journal de l’époque, le « Journal de Troyes et de la Champagne méridionale » :

 

         « La conduite de l’étranger, celle des chefs et des soldats envers l’habitant en général, surtout envers le sexe et la vieillesse, n’est pas moins affreuse, n’excite pas moins la colère et l’indignation, outre le pillage, le viol et les excès en tout genre, auxquels s’abandonnaient ces bandes vandales retenues par aucun frein. 3 vieillards, après avoir éprouvé tout ce que la rage a de plus cruel en férocité, perdirent la vie au milieu des tourments les plus aigus, au milieu des flammes de leurs maisons embrasées. D’autres, et ces derniers furent en assez grand nombre, maltraités à un tel point, que plusieurs moururent sur le champ, ou quelques temps après, victimes des infâmes traitements exercés sur eux…

 

         Le feu fut mis au pont et à Méry en plus de 50 maisons, en peu de minutes, cette malheureuse petite ville ne présenta plus de toutes parts, qu’un vaste foyer de flammes, pendant 48 heures… 302 maisons furent la proie des flammes, et l’on vit même celui qui l’avait ordonné, Blucher, la torche à la main, lui-même mettre le feu.

 

         Que l’imagination peigne aux yeux de l’âme, si elle le peut, le hideux tableau, le spectacle déchirant et plein d’horreur à la fois, qu’offrit Méry, qu’on se représente le désespoir de 500 familles plongées dans la plus effroyable misère, ayant tout perdu, et dont partie des individus, partie de leurs membres errant çà et là, sans avoir su où les transportent leurs pas, ni où reposer leur tête, d’autres, baignés de larmes, poussant, dans leur horrible désespoir, des cris épouvantables, ou, suffoqués par les sanglots, contemplent, en proie au plus terrible, au plus effrayant délire, quelques uns à demi-inanimés, les  restes embrasés de leurs habitations.

 

         Tous sont réduits au dénuement le plus absolu : privés d’habits, de linge, de vêtements, de couchers, n’ayant pas même le plus léger morceau de pain à donner à leurs malheureux et innocents enfants… il faut les avoir vu, cruellement déchirés de l’aiguillon de la faim, élever suppliantes leurs petites mains tremblantes… il faut avoir vu cette foule de malheureux écrasés sous le poids de la douleur, les uns poussant d’effrayantes lamentations, d’autres immobiles devant le brasier de leurs maisons, se fixant d’un œil hagard, morne et silencieux, n’ayant d’autre langage que leur commune douleur, leurs sanglots et leurs soupirs. Là un père, une mère, pressant contre leur sein oppressé leur famille éplorée, un vieillard étendu sur la terre, nu, les yeux à demi-clos, attendant avec une joie douloureuse que la mort vienne mettre un terme à ses jours, à ses souffrances… Enfin, une population toute entière, retirée dans d’affreux souterrains que recouvrent les ruines charbonneuses, les cendres, la braise encore fumante de tant d’habitations. Tel est le tableau, le tableau terrible, et bien en petit, toutefois, que, pendant des mois, Méry offrait après l’épouvantable journée du 22…

 

         Tel fut l’horrible spectacle qui, dans la journée de 10 septembre 1814, frappa les yeux de Monsieur, comte d’Artois, depuis Charles X, lorsque, par ordre de son frère Louis XVIII, il parcourut, il visita les départements incendiés ».

 

         Le même journal, suite à cette visite écrit : « Nous aimons à penser que cet homme y fut sensible, qu’il en répandit, bien pourtant qu’il serait permis den douter de la part de l’auteur des sanglantes journées de juillet 1830, si la raison, la justice ne venaient nous éclairer et rejeter l’horreur de ces sanglantes journées sur des ministres perfides, sur d’infâmes conseillers, de vils courtisans, agissant au nom et sous le couvert de la majesté royale, seule garante, seule responsable de leurs fautes, de leurs crimes. Ah ! Non, non, le descendant d’Henri IV, le frère de l’infortuné Louis XVI, n’a pu être indifférent au cruel tableau déchirant que lui offrit Méry ».

 

         (On nomme Révolution de Juillet ou Journées de Juillet 1830, les événements qui ont conduit à l'abdication de Charles X et à la montée sur le trône de son cousin Louis-Philippe. Elle fut déclenchée par les mesures liberticides de Charles X, qui, par ordonnances, restreignait la liberté de la presse, prononçait la dissolution de la chambre des députés, et modifiait la loi électorale).


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