Cette paix, depuis longtemps souhaitée, mettait fin à la longue guerre dite de la Succession d’Espagne. Commencée en 1701, cette dernière entreprise du grand Roi, à part quelques succès sans lendemain, n’avait guère été qu’une suite de revers où, non seulement les généraux incapables comme Villeroi et Tallard, mais des hommes de guerre de la valeur de Catinat et de Villars, avaient été successivement battus à Ramilies, à Ouderarde et à Malplaquet. Nous avions contre nous l’Angleterre, la Hollande, l’Empereur, le Danemark, la Suède, l’Electeur palatin et les Electeurs de Hanovre et de Brandebourg.
Au mois de juillet 1712, la situation était pour Troyes et la France, déjà épuisée par le terrible hiver de 1709, par le chômage et par une misère générale, la même que fin août 1914. Le Prince Eugène marchait sur Paris avec 130.000hommes et 160 camions. Ses éclaireurs étaient aux portes de Reims et de Soissons.
Âgé alors de 74 ans, durement frappé tout récemment dans ses affections paternelles par les morts survenues coup sur coup, de son fils le grand Dauphin, de son petit fils le duc de Bourgogne et la duchesse sa femme, du duc de Bretagne, et du duc de Berry, Louis XIV remit en pleurant sa dernière armée à Villars et lui dit : « S’il vous arrive malheur, vous l’écrirez à moi seul. Je monterai à cheval, je passerai par Paris, votre lettre à la main. Je connais les Français, je vous mènerai 200.000 hommes. Et nous mourrons ensemble ou nous sauverons l’Etat ». Le 24 juillet 1712, le Maréchal battait l’ennemi à plate couture, à Denain.
Une fois de plus, la France était sauvée, et l’on conçoit avec quelle allégresse les Troyens s’empressèrent de fêter la paix qui s’ensuivit.
Un recueil manuscrit de la Médiathèque de Troyes donne le compte-rendu concernant les réjouissances données à Troyes en 1713, lors de la proclamation de la Paix contresignée par le « Traité d’Utrecht », du 11 avril 1713. Voici ce que raconte à ce sujet ce manuscrit, dont je respecterai l’orthographe :
« L’an 1713, le mercredi 14 juin, à 10 heures du matin, fut publiée à Troyes la paix que le roi avait faite avec l’Angleterre, la Hollande, la Savoie et le Portugal, et qui avait été signée à Utrecht, le 11 avril dernier, et le dimanche 18 juin, fut lu dans les églises et affiché aux portes d’icelle, un mandement de M. L’Evêque de Troyes, pour chanter ce dit jour, après les vêpres à Saint-Pierre, ainsi qu’il fut fait un Te Deum pour remercier Dieu de ladite paix et le soir à 9 heures et demie fut tiré devant l’Hôtel de Ville, un feu d’artifice dont toute la disposition marquait les fruits qu’on espérait de ladite paix. L’édifice était éclairé, chaque face avait 15 pieds de long et 13 à 14 de hauteur. Le bas représentait une espèce de temple orné de festons, de guirlandes et de tableaux. Au-dessus était une plate-forme carrée environnée d’une balustrade au milieu de laquelle était placée sur un piédestal de 12 pieds de haut, une statue de 7 pieds habillée de blanc, représentant la paix, tenant de la main droite une branche d’olivier et de la main gauche une corne d’abondance. Chaque face de ce piédestal était ornée d’un médaillon symbolique. Le premier représentait 2 cornes d’abondance avec ces mots : Retour de l’abondance. Le second était un caducée, autour était ceci : Sûreté du commerce. Le 3° représentait une main de justice et son sceptre, et au-dessous, un ciboire, avec cette devise : Affermissement de l’autorité de l’église et du roi. Au 4° on avait mis une couronne de branches d’olivier et de laurier entre-lassés de lierre et ces mots : Ainsi réunies elles ne flétriront jamais. Dans le milieu de la balustrade de chaque face était un tableau : le premier représentait le temple de Janus fermé et des laboureurs, vignerons et bergers qui, par leur tranquillité laissaient voir qu’ils ne craignaient plus les armes. Au haut du tableau on lisait un distique ou 2 vers latins et où il y avait cette version :
Que les instruments de la paix
Succèdent à ceux de la guerre
Otez à Mars le fer qui désolait la terre
Cérès va nous combler de ses nouveaux bienfaits.
Dans le second, on avait représenté le rétablissement du commerce et un Mars enchaîné et plusieurs vaisseaux sur la mer et en haut il y avait un distique latin et au bas cette version d’iceux :
Partez, vaisseaux, volez sur l’onde
Neptune offre à vos vœux et ses mers et ses ports,
Revenez chargés de trésors
Que prépare à la paix et l’un l’autre monde.
Deux un 3° tableau étaient représentés des juges rendant la justice et des églises où la piété et les exercices de notre religion reprenaient leur ancienne… avec encore des distiques.
Le 4° tableau représentait Apollon et les Muses sur le mont Parnasse et des distiques :
Muses, ne craignez plus les trompettes de Mars
La paix règne, Apollon respire
Unissez-vous aux doux sons de sa lyre
Et ramenez tous les beaux-arts.
Aux angles de la même balustrade étaient peintes les armes du Roi, de la ville, du lieutenant du roi, du maire et des échevins. Cet édifice ainsi orné était rempli sur sa plate-forme de toutes sortes de fusées pour feu d’artifice, qui firent une très belle illumination. 150 fusées partirent par intervalle ».
Si nos aïeux de 1713 avaient pu deviner que le siècle qui s’ouvrait comporterait encore, à 20 ans de là, la guerre de Sept ans, la guerre de la Succession de Pologne, la guerre de la succession d’Autriche, puis la guerre contre les Anglais dans l’Inde et au Canada, pour finir par les guerres de la Révolution qui amorceraient celles du 1er Empire, ils auraient démoli la statue de la Paix et l’auraient brûlée avec ses tableaux et ses quatrains en criant de toutes leurs forces que ces horoscopes menteurs les prenaient pour de pauvres d’esprit.
Si les descendants des Troyens de 1713 ont eu leur large part de souffrances et d’épreuves, ils ont aussi trinqué et dansé gaiement dans les rues à l’occasion de la paix, assisté à de beaux feux d’artifice, comme à la Libération de 1945.
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