J’ai uni près de deux mille couples, pour le meilleur et pour le pire, pendant mes différents mandats municipaux. Certains plusieurs fois, après leur divorce, avec, à nouveau, leur première femme ! D’autres, à la maternité, car l’enfant était né le jour prévu pour le mariage de ses parents, et comme les repas étaient préparés, la famille a fêté en même temps le mariage et la naissance. D’autres encore, à l’hôpital, l’un des futurs conjoints étant à l’article de la mort, et voulant régulariser avant de quitter cette terre, où il avait déjà vécu depuis un grand nombre d’années en concubinage. La joie sur la figure du vieillard, qui laissait s’écouler quelques larmes, faisait plaisir à voir. Quelques fois aussi à la prison, afin que le futur marié reconnaisse la paternité d’un enfant qui allait naître, lui apportant ainsi quelques mois de sursis.
Mais un jour, j’ai eu un grave problème de conscience.
On me demande de faire un après-midi un mariage à l’hôpital : une dame ayant vécu 20 ans en concubinage, voyant sa santé se détériorer, souhaite régulariser avant de mourir. Je me rends avec un appariteur (Gérard Ross) et une secrétaire (Françoise Bourgoin), dans le service hospitalier, un mercredi. Devant la porte de la chambre, il y a le futur, son fils de 19 ans, et une amie de la famille. Je demande à voir l’infirmière en chef de l’étage qui me signale que la malade a un cancer généralisé, qu’elle n’en a certainement plus pour longtemps à vivre, et que depuis la veille, elle ne parle plus, et ne semble pas se rendre compte de ce qui se passe. Je suis ennuyé, car je ne peux marier que si les deux candidats sont consentants.
Je demande à tout le monde de rester dans le couloir, pour que je puisse rencontrer seul la malade, et que je reviendrai les chercher. Je vois la dame assise dans son lit, je lui dis bonjour, mais aucune réponse. Je tente quelques paroles. Comme le soleil entre à flot dans la chambre, je lui dis qu’il fait beau... Aucune réponse. Alors, je la regarde bien en face, et lui dis : " Vous êtes contente, je viens vous marier. " A ce moment, elle se sert les mains en faisant des signes de dénégation. Cela m’inquiète, elle n’a peut être pas compris la question posée. Je reparle de choses et d’autres, des fleurs dans la chambre, des repas... et repose la même question : "Vous êtes heureuse, vous allez enfin vous marier". Mêmes gestes et grimaces de dénégation. Je tente une troisième expérience, et ne peux que me convaincre que la dame ne désire pas se marier.
Je ressors dans le couloir, 10 minutes plus tard, et annonce que je ne puis procéder à la célébration du mariage, car la dame refuse.
Le futur mari entre dans une grande colère, me disant que ce n’est pas possible, qu’elle ne parle et ne comprend plus.
Je demande alors à l’infirmière chef de service de me prévenir jour ou nuit, dès que sa malade aura vraiment sa connaissance et réclamera d’être unie.
Je me déplacerai aussitôt, quelle que soit l’heure !
Et je repars avec les deux employés de la mairie.
J’adresse en arrivant une lettre au Procureur de la République, expliquant mon refus, et qu’en mon âme et conscience je suis persuadé que la personne refuse de se marier.
Trois jours plus tard, le samedi matin, le même appariteur qui est venu avec moi à l’hôpital, étant de service, vient me prévenir dans mon bureau que le futur mari de mercredi dernier demande que je le reçoive. Il ajoute qu’il restera dans le couloir, au cas où ce monsieur voudrait me casser la gueule.
Je reçois mon visiteur le plus courtoisement possible, lui demande des nouvelles de son amie, et en le faisant asseoir, lui dit encore toute mes excuses, pour le mercredi précédent.
" Elle est morte cette nuit ! me répond-il.
Un lourd silence s’établit, et je me fais en un éclair, de multiples reproches.
Je balbutie cependant pour ma défense : " Je peux vous affirmer que madame X m’a fait comprendre qu’elle ne voulait pas se marier. "
" Vous avez en partie raison. Il y a 20 ans que nous voulions nous marier, mais si elle refusait, c’est parce qu’étant veuve d’un pilote d’Air France, elle touchait une grosse pension, et pensait qu’elle ne lui serait plus versée si nous nous étions unis. Or, je suis artiste sculpteur et je ne gagne pas beaucoup d’argent... ".
En moi-même, j’ai poussé un soupir de soulagement, je ne m’étais pas trompé !
Le monsieur avait donc attendu que son amie soit pratiquement inconsciente, pour qu’elle ne puisse refuser. Il savait que si elle mourait, non mariée, il ne pourrait profiter de la succession.
J’ai appris par la suite que cela aurait arrangé ses affaires et celles de son fils.
Entre autres, une maison avait été achetée par elle, et c’est ainsi que son premier fils, né du pilote, a pu hériter normalement de sa mère...
En conclusion, je crois quand même avoir bien fait.
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